Un SCOT qui apporte des précisions sur la loi Littoral est-il applicable à un permis de construire ? (CE, 11 mars 2020, Confédération Environnement Méditerranée, req. n° 419861)

par | Mar 31, 2020 | Jurisprudence - Loi littoral, Loi littoral | 0 commentaires

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Résumé : dès lors qu’un SCOT comporte des dispositions précises et compatibles avec la loi Littoral sur la notion d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage, la légalité du permis de construire doit être appréciée en fonction des précisions apportées. L’arrêt du Conseil d’Etat atténue la jurisprudence habituelle qui considère que la loi Littoral est toujours directement applicables aux décisions liées à l’usage du sol.

L’article L.321-1 du code de l’environnement dispose que l’action des collectivités publiques en matière de planification contribue à la politique d’aménagement du littoral. La jurisprudence donne, en partie, corps à ce principe en rappelant que dès lors qu’un SCOT comporte des dispositions précises et compatibles avec la loi Littoral, cette dernière doit être appliquée à travers le prisme du SCOT (CAA Nantes, 14 mars 2018, Les amis des chemins de ronde du Morbihan, req. n° 16NT01335CAA Marseille, 12 juin 2018, req. n° 16MA03735).

La récente loi ELAN confirme cette logique puisque l’article L 121-3 du code de l’urbanisme qui en est issu dispose que le SCOT doit préciser les modalités d’application de la loi Littoral et déterminer les critères d’identification puis localiser les villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés prévus à l’article L. 121-8. La jurisprudence est, en quelque sorte, codifiée par la loi ELAN qui fait du SCOT un instrument de référence privilégié pour la mise en œuvre de la loi Littoral.

Le rôle des documents d’urbanisme est toutefois limité par la jurisprudence du Conseil d’Etat qui rappelle de manière constante que les dispositions de la loi Littoral sont directement applicables aux décisions liées à l’usage du sol (CE, 31 mars 2017, SARL Savoie Investissement, req. n° 392186 et CE, 31 mars 2017, Epoux Beauvais, req. n° 396938, BJDU 4/2017, p. 217, Conclusions A. BRETONNEAU). En pratique, cela signifie que même si un SCOT apporte des précisions sur la mise en œuvre de la loi Littoral, les dispositions de cette dernière demeurent directement applicables aux décisions liées à l’usage du sol.

Cette solution, sous-tendue par l’idée que les juridictions administratives garantiraient un niveau de protection du littoral plus élevé que les documents d’urbanisme locaux, n’est pas exempte de critiques (le blog en parle dans cet article). En pratique, le principal inconvénient de la jurisprudence « SARL Savoie Investissement » est de réduire à néant les efforts de mise en œuvre de la loi Littoral dans le SCOT en permettant au juge, en toute hypothèse, de vérifier directement la conformité des décisions liées à l’usage du sol aux dispositions de la loi Littoral (CE, 1er juin 2017, Commune de Bénodet, req. n° 396498).

Le Conseil d’Etat, par un arrêt « Confédération Environnement Méditerranée » du 11 mars 2020 mentionné aux tables du Recueil Lebon, vient d’atténuer les effets de cette jurisprudence. Le juge était saisi de la légalité d’un permis de construire pour un projet de 352 logements, dans les espaces proches du rivage de la commune de la Seyne-sur-Mer, au 617 de la corniche Philippe Giovanni, au lieu-dit le Bois Sacré. La commune est couverte par un plan local d’urbanisme mais aussi par le SCOT Provence Méditerranée dans sa version applicable avant sa récente révision.

Le lieu-dit « Le Bois Sacré » sur la commune de la Seyne-sur-Mer

Le terrain d’assiette du projet de construction étant situé à quelques dizaines de mètres de la mer, en covisibilité avec celle-ci et sans en être séparé par une urbanisation, le Conseil d’Etat, en application de la jurisprudence « Barrière » (CE, 3 mai 2004, Barrière, req. n° 251534), confirme sans difficulté qu’il se situe dans un espace proche du rivage au sens de l’article L 121-13 du code de l’urbanisme.

Conformément à ces mêmes dispositions, le projet de construction n’est alors possible que s’il entraîne une extension limitée de l’urbanisation. C’est sur ce second point que la décision du Conseil d’Etat innove.

L’extension limitée de l’urbanisation dans la jurisprudence

De manière constante, la jurisprudence considère qu’une opération d’urbanisation présente un caractère limité dès lors qu’elle ne modifie pas de manière significative les caractéristiques du bâti avoisinant. Cette appréciation du caractère limité d’une extension de l’urbanisation doit être réalisée en fonction des caractéristiques du quartier, mais rappelle le juge, pas à l’échelle du territoire couvert par le PLU (CE, 11 avril 2018, Commune d’Annecy, req. n° 399094).

Conformément à ce principe, un projet de 108 logements bordé par des terrains comportant des constructions présentant un gabarit comparable et qui, compte tenu de la topographie, ne renforce pas l’impression de densité, sera regardé comme une extension limitée de l’urbanisation (CAA Douai, 1er févr. 2018, Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, req. n° 16DA00364). Ce sera aussi le cas de la construction d’un immeuble de 20 appartements en continuité d’un espace caractérisé par une forte densité bâtie et à proximité d’immeubles aux caractéristiques comparables (CAA Douai, 23 nov. 2017, Association Hardelot Opale Environnement, req. n° 16DA00232).

À l’inverse, dès lors que les caractéristiques d’un projet s’écartent de celles de l’environnement bâti, l’extension ne sera plus jugée limitée. Par exemple, une opération qui consiste à créer 103 logements, un hôtel de 29 chambres et un restaurant, dans trois bâtiments comprenant quatre niveaux d’habitation, ne s’inscrit pas dans la continuité des constructions de taille modeste qui existent sur les parcelles voisines. Il ne respecte donc pas l’article L. 121-13 du Code de l’urbanisme (CAA Douai, 26 nov. 2009, Commune de Cayeux-sur-Mer, req. n° 08DA00447).

L’appréciation du caractère limité de l’extension de l’urbanisation à l’échelle du SCOT

Lorsque la loi Littoral est mise en oeuvre dans un SCOT, la jurisprudence retient une méthode différente qui consiste à apprécier le caractère limité d’une extension de l’urbanisation non pas à l’échelle du projet ou quartier mais à celle du SCOT. La cour administrative d’appel de Marseille qui a eu à se prononcer sur la légalité du SCOT Provence Méditerranée, reprend la formule dégagée par le Conseil d’État à propos des DTA (CE, 27 juill. 2005, Comité sauvegarde Port Vauban, req. n° 264336) en rappelant que la « compatibilité du SCOT avec les articles L. 146-1 [devenu L 121-1] et suivants du Code de l’urbanisme, doit s’apprécier à l’échelle du territoire qu’il couvre et compte tenu de l’ensemble de ses orientations et prescriptions (et) que cette appréciation ne peut conduire à examiner isolément les orientations arrêtées en ce qui concerne tel ou tel point du territoire couvert, au regard des dispositions législatives de protection du littoral » (CAA Marseille, 23 juill. 2014, Association Union Régionale Vie et Nature, req. n° 12MA00268).

Cette formule est reprise par la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 1er déc. 2016, SARL Dumas Henri Participations, req. n° 14BX03282 – CAA Bordeaux, 28 déc. 2017, Confédération pour les entrepreneurs et la préservation du pays du bassin d’Arcachon, req. n° 15BX02851).

Conformément à ce principe et selon une logique proche de celle adoptée par la directive territoriale d’aménagement des Alpes Maritimes (CE, 27 juillet 2005, précité), le SCOT Provence Méditerranée alors en vigueur avait organisé l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage en distinguant trois catégories d’espaces :

  • Les espaces littoraux à forts enjeux et stratégiques où les opérations d’urbanisme peuvent se faire par renouvellement ou par extension de manière significative par rapport aux caractéristiques du bâti existant environnant ;
  • Les espaces littoraux sensibles du fait de leur localisation en bord de mer, leur qualité architecturale et / ou paysagère où les opérations d’urbanisme doivent être plus particulièrement limitées et intégrées;
  • Les espaces littoraux neutres (sans enjeu particulier de développement et sans qualité patrimoniale ou paysagère spécifique), où le critère de l’extension limitée ne fait pas l’objet de précision.

Le site du Bois-Sacré relevant expressément de la catégorie des espaces à forts enjeux, il avait donc vocation à accueillir une urbanisation significative par rapport au bâti environnant. Compte tenu de la jurisprudence qui vient d’être rappelée, ce choix n’encourait guère de critique et, à l’échelle du SCOT, la compatibilité avec le principe de l’extension limitée de l’urbanisation était assurée.

Toutefois, cette relative marge de manœuvre dans la mise en œuvre de la loi littoral risquait d’être perdue au niveau du permis de construire. En effet, conformément aux principes dégagés par la jurisprudence « SARL Savoie Investissement », la légalité du permis de construire devait être directement appréciée par rapport aux dispositions de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme telles qu’interprétées par la jurisprudence rappelée plus haut.

L’incohérence surgit alors. Le PLU, en application d’un SCOT compatible avec la loi Littoral, pourrait autoriser une urbanisation significative mais au moment de délivrer le permis de construire, le SCOT devrait être laissé de côté, et seule la loi Littoral devrait être appliquée. C’est justement sur ce point que la décision rompt avec l’approche habituelle.

L’appréciation de la légalité du permis de construire en fonction des précisions apportées par le SCOT

L’article L.121-13 du code de l’urbanisme dispose que dans les espaces proches du rivage l’extension de l’urbanisation doit présenter un caractère limité. Il ajoute que cette extension de l’urbanisation doit être justifiée et motivée par le PLU selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables si l’urbanisation est conforme aux dispositions d’un SCOT ou d’un SMVM. En l’absence de ces documents, l’urbanisation ne pourra être réalisée qu’avec l’accord du préfet. Pour le Conseil d’Etat :

« Il résulte de ces dispositions qu’une opération conduisant à étendre l’urbanisation d’un espace proche du rivage ne peut être légalement autorisée que si elle est, d’une part, de caractère limité, et, d’autre part, justifiée et motivée dans le plan local d’urbanisme selon les critères qu’elles énumèrent. Cependant, lorsqu’un schéma de cohérence territoriale ou un des autres schémas mentionnés par les dispositions du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme [actuel L 121-13] comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dans l’espace proche du rivage dans lequel l’opération est envisagée, le caractère limité de l’urbanisation qui résulte de cette opération s’apprécie en tenant compte de ces dispositions du schéma concerné ».

La précision apportée est essentielle. Le Conseil d’Etat juge que dès lors qu’un SCOT comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec les dispositions de l’article L.121-13 relatives au régime des espaces proches du rivage, le caractère limité de l’opération autorisée par le permis de construire doit être apprécié non pas par rapport aux seules dispositions de la loi Littoral mais à travers la mise en oeuvre qui en est faite par le SCOT. Ce principe novateur étant posé, le Conseil d’Etat juge :

« Par ailleurs, après avoir relevé, par des motifs non contestés en cassation, que, selon les dispositions du SCOT Provence Méditerranée alors en vigueur, une extension de l’urbanisation pouvait être réalisée dans la zone du  » Bois sacré « , terrain d’assiette du projet,  » de manière significative par rapport aux caractéristiques du bâti existant « , le tribunal administratif a pu écarter, sans dénaturer les pièces des dossiers qui lui étaient soumis, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait la règle de l’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage eu égard aux caractéristiques du projet litigieux qui lui était soumis, qui tend à la réalisation, sur environ six hectares, d’un ensemble immobilier comprenant sept bâtiments d’habitation collectifs destinés à accueillir 344 logements, huit villas et des locaux d’activité, pour une surface de plancher créée de 23 781,22 m2, ainsi qu’aux caractéristiques du bâti environnant ».

Le dispositif gagne incontestablement en cohérence car dès lors que le SCOT met en œuvre le principe d’extension limitée de l’urbanisation en étant à la fois précis et compatible avec la loi, les précisions apportées sont applicables tant aux PLU qu’aux décisions liées à l’usage du sol.

Pour que cette approche nouvelle donne toute sa mesure, il faudra naturellement que les SCOT comportent des dispositions suffisamment précises sur les opérations envisagées dans les espaces proches du rivage. Il faudra aussi qu’il soit compatible avec les dispositions législatives. A défaut, la loi Littoral continuera à s’appliquer directement.

Une brèche dans la jurisprudence « SARL Savoie Investissement » ?

La solution de l’arrêt du 11 mars 2020 doit être rapprochée de celle de l’arrêt « SARL Savoie Investissement » du 31 mars 2017 qui pose le principe de l’application directe de la loi Littoral aux décisions liées à l’usage du sol (l’analyse de l’arrêt sur Legifrance compare d’ailleurs les deux décisions).

Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence mais à tout le moins d’une atténuation rendue possible par la rédaction de l’article L.121-13 qui dispose que l’extension de l’urbanisation peut être autorisée si elle est conforme à un SCOT. C’est uniquement dans la mesure où le SCOT est invité par la loi à prévoir les modalités de l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage que le juge s’autorise à donner le plein effet à ce dispositif en rappelant que ces modalités sont applicables aux décisions liées à l’usage du sol. La solution de l’arrêt du 11 mars 2020 ne devrait donc pas, dans l’immédiat, être étendue aux autres dispositions de la loi Littoral, quand bien même elles feraient l’objet de dispositions précises dans un SCOT.

La loi ELAN pourrait toutefois modifier la situation. Le nouvel article L.121-3 du code de l’urbanisme habilite les SCOT à préciser les modalités d’application de la loi Littoral et, plus particulièrement, à localiser les agglomérations, villages et autres secteurs urbanisés. La volonté du législateur étant de faire du SCOT l’instrument de référence pour la mise en œuvre de la loi Littoral, il serait désormais logique que ses dispositions, sous réserve d’être à la fois précises et compatibles avec la loi, soient directement applicables aux décisions liées à l’usage du sol.

La débat sur l’application directe de la loi Littoral que la jurisprudence « SARL Savoie Investissement » semblait avoir clos est donc relancé.

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