Chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de mai 2024

par | Août 29, 2024 | Chroniques, Jurisprudence - Loi littoral, Loi littoral, Publication | 0 commentaires

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Résumé : La chronique de jurisprudence relative à la loi Littoral du mois de mai 2024 comporte quelques décisions intéressantes sur les notions d’agglomération et de village. A noter, un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui permet de comprendre la distinction entre ces deux notions et celle d’autre secteur urbanisé introduite par la loi ELAN en 2018.

 

Agglomérations, villages et autres secteurs déjà urbanisés

Notion d’agglomération ou de village existant – Par un arrêté du 4 août 2017, le maire de Lugrin, commune riveraine du lac Léman, a refusé la demande de permis d’aménager un lotissement de 3 lots au lieu-dit Troubois. Saisi par le pétitionnaire, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté ce recours. La Cour administrative d’appel de Lyon confirme ce jugement au motif que hameau de Troubois ne comprend qu’une faible urbanisation, essentiellement linéaire et pavillonnaire, dans un environnement constitué de parcelles demeurées à l’état naturel et ne supportant qu’un faible nombre de constructions, souvent espacées les unes des autre (CAA Lyon, 14 mai 2024, n° 22LY02428). L’arrêt est assez sévère dans la mesure où ce secteur comporte plus de quarante constructions groupées ce qui est généralement jugé suffisant par la jurisprudence pour caractériser une agglomération ou un village.

Le hameau de Troubois que la commune de Lugrin (photographie interactive Géoportail)

Différence entre une agglomération ou un village et un secteur déjà urbanisé – Le Conseil d’Etat a rappelé que les secteurs déjà urbanisés ne doivent pas être définis selon les mêmes critères que les agglomérations et les villages existants notamment pour ce qui concerne leur densité (CE, 22 avril 2022, Office public de l’habitat des Pyrénées-Atlantiques, n° 450229). Cet arrêt est commenté par le Blog Loi Littoral. L’arrêt qui suit permet de mieux comprendre cette distinction.

Par un arrêté du 6 novembre 2019, le maire de Saint-Jean-de-Luz avait refusé une demande de permis de construire une maison d’habitation, un abri de voiture et une piscine sur une parcelle n° AS 417 située au lieu-dit Chantaco. Ce refus faisait suite à la décision de non opposition à une division parcellaire du 5 avril 2016 et à un certificat d’urbanisme positif délivré le 4 mars 2016.

Pour la Cour administrative d’appel de Bordeaux, la partie du quartier de Chantaco dans laquelle se situe le terrain d’assiette du projet ne peut pas être qualifiée d’agglomération ou de village compte tenu du caractère très aéré de son urbanisation. La jurisprudence rappelle en effet que seuls les espaces qui comportent un nombre et une densité significatifs de constructions peuvent recevoir cette qualification. Le Blog avait commenté une décision de la Cour administrative de Marseille sur l’appréciation de la densité.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge en revanche que s’il ne peut être regardé comme étant densément urbanisé, ce quartier comporte de nombreuses constructions regroupées autour du golf et des axes de circulation le bordant et qu’il ne peut ainsi être regardé comme une zone d’urbanisation diffuse. La Cour ajoute que la parcelle concernée est entourée d’une quinzaine de maisons implantées le long du chemin de Chantaco et dans le haut de l’allée du Golf, et de l’allée du Parc et constitue un « trou » dans cette urbanisation délimitée au nord par la dernière parcelle construite, cadastrée AP n° 149, bordant le chemin de Chantaco, et au sud par les boisements et le secteur naturel la séparant du lotissement de Laraldia auquel elle fait face. Dans ces conditions, il relève d’un secteur déjà urbanisé (CAA Bordeaux, 7 mai 2024, n° 22BX01245, voir également CAA Bordeaux, 7 mai 2024, n° 22BX01174 pour la parcelle AS n° 401).

La parcelle AS n° 417 (au centre de l’image, au nord du terrain de tennis) au lieu-dit Chantaco sur la commune de Saint-Jean-de-Luz. A l’est, la parcelle 401.

Espaces proches du rivage

Extension limitée de l’urbanisation – prise en compte du SCOT – L’article L. 121-13 du code de l’urbanisme dispose que, dans les espaces proches du rivage, l’extension de l’urbanisation doit présenter un caractère limité. La jurisprudence rappelle de manière constante que la mise en oeuvre de ces dispositions suppose de répondre à plusieurs questions successives : le projet est-il en espaces proches du rivage ? Entraîne t-il une extension de l’urbanisation ? Si oui est-elle limitée ? Le Blog loi Littoral a régulièrement expliqué ce dispositif.

L’arrêt rendu le 14 mai 2024 par la cour administrative d’appel de Nantes en constitue une intéressante application (CAA Nantes, 14 mai 2024, n° 23NT01715). Par un arrêté du 7 juillet 2021, le maire de la commune du Relecq-Kerhuon a délivré à la société FMT un permis d’aménager un lotissement de 48 lots, dont 45 lots individuels et 3 macro-lots destinés à la création de 35 logements sociaux, d’une surface de plancher maximale de 15 150 m² sur un terrain d’une superficie de 40 7693 m² situé boulevard Gambetta. Cet arrêté a été contesté par des riverains qui soulevaient notamment un moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. En première instance, le Tribunal administratif de Rennes avait accueilli ce moyen et annulé le permis d’aménager au motif qu’il entraînait une extension de l’urbanisation qui n’avait pas un caractère limité (TA Rennes, 14 avril 2023, n° 2200168). La Cour administrative d’appel de Nantes est d’un autre avis.

Vue aérienne et plan de composition du lotissement

Plan de composition du lotissement (sources : Géoportail et dossier de demande de permis d’aménager)

  • Le terrain est-il dans un espace proche du rivage ?

Le Conseil d’État a rappelé que pour déterminer si une zone peut être qualifiée d’espace proche du rivage, trois critères doivent être pris en compte : la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la co-visibilité entre cette zone et le plan d’eau (CE, 3 juin 2009, n° 310587, Commune de Rognac). Ici, le terrain d’assiette du projet est incontestablement situé dans un espace proche du rivage. Il est en effet proche de la mer et en est séparé, en tous cas sur sa partie Est, par un espace demeuré naturel. Ce point ne retient d’ailleurs pas longtemps la Cour.

  • Le projet entraîne t-il une extension de l’urbanisation ?

Le Conseil d’Etat a jugé qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L.121-13 du Code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. La décision ajoute que la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi (CE, 7 février 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune de Menton). Le principe a été rappelé en 2007 par le Conseil d’État qui a jugé qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis, élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Dès lors qu’elle se prononce directement sur le caractère limité de l’extension de l’urbanisation, la cour estime implicitement que le projet entraîne une extension de l’urbanisation au sens de la jurisprudence « Soleil d’Or ». Cette qualification n’allait pas de soi et la même Cour a pu retenir une solution différente dans ces circonstances pourtant très proches.

  • L’extension a t-elle un caractère limité ?

De manière constante, la jurisprudence considère qu’une opération d’urbanisation présente un caractère limité dès lors qu’elle ne modifie pas de manière significative les caractéristiques du bâti avoisinant. Cette appréciation du caractère limité d’une extension de l’urbanisation doit être réalisée en fonction des caractéristiques du quartier, mais rappelle le juge, pas à l’échelle du territoire couvert par le PLU (CE, 11 avril 2018, Commune d’Annecy, req. n° 399094). Depuis un important arrêt du Conseil d’Etat du 11 mars 2020, l’appréciation du caractère limité de l’extension de l’urbanisation doit également tenir compte des dispositions du SCOT. L’appréciation du caractère limité relève donc tout à la fois de la configuration des lieux et des dispositions du SCOT en la matière. En l’espèce, la Cour relève que le projet se situe en continuité immédiate d’espaces urbanisés comprenant des maisons d’habitations et des immeubles collectifs en R+2 ainsi que des serres de dimensions importantes alors que les constructions projetées seront d’une hauteur maximale sera de R+1+ combles ou attiques. Pour la Cour le projet ne présente donc pas une densité plus élevée que celle des espaces proches dans lesquels il s’insère. La Cour prend également en compte le SCOT du Pays de Brest dont le DOO dispose que l’ « extension de l’urbanisation doit respecter une proportion avec l’urbanisation existante » et encourage « la densification et le renouvellement urbain, ainsi que l’atteinte d’un certain niveau de densité dans les extensions urbaines » (CAA Nantes, 14 mai 2024, n° 23NT01715).

 

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