La construction juridique du littoral (1) : L’ordonnance de Colbert sur la Marine de 1681 et la définition du rivage de la mer.

par | Juil 18, 2019 | Article, Construction juridique du littoral, Loi littoral | 0 commentaires

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Richard LE ROY
Le Télégramme
de Brest

Ce premier article inaugure une série consacrée à l’histoire du droit du littoral. Il s’agit de montrer comment s’est construit ce droit dont l’un des principaux objectifs est de garantir le libre accès du bord de mer au public. Le titre de la série, « la construction juridique du littoral », est un hommage à Richard LE ROY, Avocat et Maître de conférences à l’université de Bretagne occidentale, qui a consacré sa thèse de Doctorat à ce sujet. Richard LE ROY a fondé le cabinet LGP au début des années 1990 et a su transmettre sa passion pour le droit du littoral à toute l’équipe.

Pendant plusieurs siècles, le rivage de la mer n’a été régi que par des règles issues du droit romain (N. Charbonnel, M. Morabito, Les rivages de la mer : droit romain et glossateurs : RHDFE 1987, n° 65, p. 23). Au début de la dynastie capétienne (987-1328), alors que le pouvoir central n’est pas encore établi, le rivage appartient aux seigneurs riverains du littoral. Dans les régions où la coutume normande s’applique, ils s’approprient les côtes jusqu’à l’endroit où un homme à cheval peut planter sa lance (J.-Y. Launay, Les rivages de la mer : Thèse de droit, Paris, 1968, p. 5).

Il faut attendre que l’autorité du Roi s’affirme pour que sa souveraineté sur les rivages de la mer soit établie. À cette fin, un édit du 30 juin 1539 rappelle le caractère inaliénable du domaine de la couronne et par conséquent des rivages de la mer qui en sont l’une des composantes.

L’édit sur l’inaliénabilité du domaine de la couronne, dit édit de Moulins, du mois de février 1566, réaffirme ce principe.

Sur l’ensemble de la question historique, le lecteur pourra se reporter à la belle thèse de Richard LE ROY, La construction juridique du littoral (Thèse de droit, Université de Bretagne occidentale, 1992, 365 pages).

Si le régime juridique du rivage est établi, le droit n’en fixe cependant pas la consistance. Il faut attendre l’ordonnance de Colbert sur la Marine de 1681 pour que le rivage de la mer soit défini comme « tout ce que [la mer] couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le plus grand flot de mars se peut étendre sur les grèves ».

Il n’est alors nullement question de favoriser l’accès au rivage. L’ordonnance de Colbert est tournée vers la mer et si le rivage ne peut être encombré, c’est avant tout pour ne mettre aucun obstacle à l’exercice de la pêche et de la navigation. Son préambule rappelle ainsi qu’elle est prise pour « ne rien laisser à désirer au bien de la navigation et du commerce ». Ces dispositions, explique Valin (R.-J. Valin, Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, t. II : éd. originale 1760), sont nécessaires pour que chacun puisse pêcher, aborder sur le rivage, y décharger ce qui embarrasse le navire, ou sécher les filets.

L’ordonnance de Colbert n’aborde pas la question de l’utilisation du rivage par le public. Il n’en était alors nullement besoin ; personne ne songeait à l’époque de Colbert à fréquenter un espace perçu comme le lieu des naufrages et des épidémies. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment le littoral est représenté dans l’art de l’époque de Colbert. Les représentations littéraires et picturales du littoral sont des images d’horreur et de vide. « le littoral est (…) un lieu d’horreur, c’est le lieu du déluge, le contraire du calme et de la tranquillité, c’est le bord du gouffre, des abysses, c’est le lieu des apparitions des monstres de la mer, c’est le lieu du rejet des excréments de la mer, le lieu des rapts, des pirates, c’est le lieu de l’anti-hygiénisme qui se manifeste à travers les récits des marins dans le mal de mer, les épidémies dans les navires » explique Yves Luginbülh (La découverte du paysage littoral ou la transition vers l’exotisme, Le Paysage littoral, voir, lire, dire, Presses Universitaires de Rennes, Ecole régionale des beaux-arts de Rennes, Cahiers paysages et espaces urbains, n° 3, 1995, p. 8. Une « chape d’images répulsives » empêche le public d’aller vers le rivage écrit pour sa part Alain Corbin (Alain Corbin, Le territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage 1750 – 1840, Champs Flammarion, 1990, p. 11).

ordonnance colbert marine
Image par David Mark de Pixabay


Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir évoluer la perception qu’a le public du littoral. Ce phénomène, explique Yves Luginbülh, est lié à trois raisons : La première est liée à l’expérience des loisirs à la campagne. Une partie de la population commence à s’intéresser à ce qui existe à l’extérieur. La seconde est liée au développement de la science et en particulier de la théologie scientifique qui cherche à expliquer les origines de la création divine. Le rapprochement avec Dieu a des implications esthétiques dans la mesure où le spectacle qu’il a créé est un objet qui mérite la contemplation. C’est à cette époque que l’intérêt s’éveille pour les phénomènes observables : marées, vents, courants. En 1864, le géographe Jean-Jacques Elisée Reclus consacre un ouvrage au « littoral de la France ». L’hygiénisme qui se développe à la Renaissance explique aussi cet attrait : l’idée d’une masse d’eau en mouvement, synonyme de pureté, est alors particulièrement attractive. Les bains de mer apparaissent vers la fin du XVIIe siècle. Enfin, les descriptions des voyages des grands explorateurs et leurs récits qui décrivent les rivages des îles comme le paradis terrestre vont peu à peu modifier la perception du littoral.

Cette attirance pour le littoral ne se renversera pas et, peu à peu, elle entraînera la construction d’un droit du Littoral. Prochaine étape, 1858, l’arrêt Vernes du Conseil d’Etat.

Pour en savoir plus : Loïc Prieur, L’accès au rivage, Revue Juridique de l’Environnement, numéro spécial, 2012. Les 25 ans de la Loi Littoral

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