Résumé : Reprenant un arrêt du Conseil d’Etat, la CAA de Nantes confirme que le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants ne s’applique pas dans la bande de cent mètres (CAA Nantes, 7 février 2020, Commune de Saint-Cast-le-Guildo, req. n° 19NT01038).
Mise à jour du 5 janvier 2023 : la solution dégagée dans cet arrêt ne semble plus d’actualité puisque les décisions récentes appliquent en même temps les dispositions des articles L. 121-8 et L. 121-16 du code de l’urbanisme.
Les dispositions dont il est ici question sont bien connues : L’article L.121-8 du code de l’urbanisme dispose que l’extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et les villages existants. L’article L.121-16 prévoit, pour sa part, qu’en dehors des espaces urbanisés, la bande de cent mètres à compter de la limite haute du rivage, est inconstructible sous réserve des constructions et installations nécessaires à des activités économiques ou à des services publics qui exigent la proximité immédiate de l’eau.
Même s’il reste encore ici et là des difficultés d’interprétation, la jurisprudence a bien défini les modalités d’application de ces dispositions. La question de leur articulation est en revanche un sujet plus complexe. Dès les premières années d’application de la loi Littoral, l’idée selon laquelle les règles permettant d’assurer la maîtrise de l’urbanisation (principe de continuité, espaces proches du rivage et bande de cent mètres) devaient s’appliquer de manière cumulée, s’est imposée.
L’application cumulée du principe de continuité avec les agglomérations et les villages, des règles des espaces proches du rivage et de la bande de cent mètres
Le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que, dans la bande de cent mètres, les dispositions relatives à la continuité avec les agglomérations et les villages existants étaient applicables simultanément (CE, 26 janv. 2005, Préfet de Corse du Sud, req. n° 260188, CAA Lyon, 21 déc. 2004, Préfet de la Haute-Savoie, req. n° 03LY01801, AJDA 2005, p. 687, n° 12). Il avait également rappelé que le principe de continuité était applicable aux espaces proches du rivage (CE, 10 janv. 2001, Blanc, req. n° 211459) et que ces derniers englobaient également la bande de cent mètres ( CE, 5 févr. 2001, SA SEERI Méditerranée, req. n° 211875).
Vers un régime autonome pour la bande de cent mètres
L’arrêt rendu le 7 février dernier par la Cour administrative d’appel de Nantes remet en cause cette application cumulée. Dans cette affaire, le Tribunal administratif de Rennes avait annulé le permis de construire délivré par le Maire de Saint-Cast-le-Guildo pour une maison d’habitation. Le Tribunal s’était fondé d’une part, sur la méconnaissance du principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme, et d’autre part, sur la violation des règles de la bande de cent mètres de l’article L.121-16. Cette motivation est logique car dès lors qu’un terrain n’est pas situé dans une agglomération ou un village, il ne peut pas être regardé comme étant situé dans un espace urbanisé. C’est la conséquence de l’assimilation entre les notions d’agglomération et de village et d’espaces urbanisés opérée par l’arrêt « Bazarbachi » (CE, 22 février 2008, Bazarbachi, req. n° 280189, BJDU 2008, n° 2, p. 89, concl. Y. Aguila).
Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, le raisonnement du Tribunal est toutefois entaché d’erreur de droit :
« Par le jugement attaqué, le tribunal, pour annuler les décisions litigieuses, a accueilli à la fois le moyen tiré de la méconnaissance du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme et le moyen tiré de la méconnaissance du III de l’article L. 146-4 du même code. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le projet en cause est intégralement situé dans la bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage. Ainsi, seules étaient applicables les dispositions du III de l’article L. 146-4 et non pas également celles du I. Dès lors, il y a lieu de soulever d’office le moyen tiré de l’erreur commise par le tribunal administratif de Rennes dans le champ d’application de la loi en faisant droit à une demande en se fondant sur le moyen tiré de la méconnaissance du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme alors que ce moyen était inopérant » (CAA Nantes, 7 février 2020, Commune de Saint-Cast-le-Guildo, req. n° 19NT01038).
Le terrain d’assiette du projet sur la commune de Saint-Cast-le-Guildo (parcelle cadastrée section AN n° 92, avenue de Pen-Guen)
L’arrêt est particulièrement clair. Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, dès lors qu’un terrain est situé dans la bande de cent mètres, les dispositions relatives à la continuité avec les agglomérations et les villages existants ne sont pas applicables.
Un précédent rappelé par le Conseil d’Etat en 2018
Si cet arrêt est le premier à poser ce principe de manière aussi claire, il n’est toutefois pas vraiment innovant. En 2018, Le Conseil d’État, après avoir cité les articles L.121-8, L.121-13 et L.121-16 du code de l’urbanisme, avait posé le principe suivant : « il résulte de ces dispositions, sous réserve des exceptions qu’elles prévoient, notamment pour les activités agricoles, que, dans les communes littorales, ne peuvent être autorisées, dans les zones situées en dehors des espaces déjà urbanisés, que les constructions réalisées en continuité soit avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, et, s’agissant des espaces proches du rivage, à la condition qu’elles n’entraînent qu’une extension limitée de l’urbanisation spécialement justifiée et motivée et qu’elles soient situées en dehors de la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage. Ne peuvent déroger à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces » (CE, 21 juin 2018, req. n° 416564, R. Bonnefont, Précisions sur les règles applicables dans la bande littorale des cent mètres, AJCT 2018, p. 591, DMF déc. 2018, p. 1042, note J.-M. Bécet).
Selon le Conseil d’Etat, si les dispositions relatives aux espaces proches du rivage se cumulent avec le principe de continuité avec les agglomérations, la bande de cent mètres fait exception et ni la règle de la continuité ni celle de l’extension limitée ne s’y appliquent. Il n’y a donc pas d’application cumulée des articles L.121-8, L.121-13 et L.121-16 comme semblait l’affirmer jusque là la jurisprudence. La bande de cent mètres échappe à ce cumul et bénéficie en quelque sorte d’un régime autonome.
Les conséquences limitées de l’inapplication du principe de continuité avec les agglomérations et les villages dans la bande de cent mètres
Les conséquences de cette nouvelle approche sont toutefois limitées. En effet, si le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants ne s’applique pas dans la bande de cent mètres, la jurisprudence a pris soin de rappeler qu’un espace urbanisé au sens de l’article L 121-16 devait être caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions (CE, 13 mars 2017, req. n° 395643). Or, ces critères de nombre et de densité sont précisément ceux de l’agglomération ou de village existants (CE, 9 nov. 2015, Commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531). La jurisprudence exclut donc qu’un espace urbanisé au sens de la bande de cent mètres soit apprécié de manière plus souple qu’une agglomération ou un village. La solution inverse serait paradoxale car elle permettrait des constructions dans la bande de cent mètres alors qu’elles seraient interdites à l’intérieur des terres.
Le fait que les règles relatives aux espaces proches du rivage semblent ne pas non plus être appliquées dans la bande de cent mètres n’est guère plus préjudiciable. En effet, si le régime de l’extension limitée de l’urbanisation n’est pas applicable, le Conseil d’Etat exige que les constructions autorisées dans les espaces urbanisés de la bande de cent mètres n’entraînent pas une densification significative de ces espaces. La solution est donc équivalente.
La nouvelle approche de l’articulation des articles L.121-8, L.121-13 et L.121-16 apporte en revanche une réponse à une question qui ne semblait pas avoir été tranchée jusqu’alors. Les articles L.121-16 et L.121-17 du Code de l’urbanisme autorisent dans la bande de cent mètres, en dehors des espaces urbanisés, des constructions ou installations nécessaires à des activités économiques ou à des services publics qui exigent la proximité immédiate de l’eau. De telles constructions, dès lors qu’elles constituent une urbanisation, seraient logiquement dans l’obligation de respecter le principe de continuité avec les agglomérations et villages existants si celui-ci devait être appliqué dans la bande de cent mètres. Une telle solution ne serait pas opportune dans la mesure où le législateur a expressément admis que les activités exigeant la proximité immédiate de l’eau pouvaient s’implanter à l’écart des espaces urbanisés au plus près des sites de production pour l’aquaculture ou des espaces fréquentés par le public pour les postes de surveillance et de secours ou les installations liées aux loisirs nautiques. L’autonomie du régime juridique de la bande de cent mètres qui semble se dessiner évite une telle incohérence.