Résumé : La Réunion, La Martinique, La Guadeloupe, La Guyane et Mayotte sont couvertes par des schémas d’aménagement régionaux (SAR). Ces schémas peuvent comporter des dispositions qui tiennent lieu de schéma de mise en valeur de la mer (SMVM). Lorsque les communes concernées par un SAR sont des communes littorales, la question de l’opposabilité de la loi Littoral se pose. La Cour administrative d’appel de Bordeaux vient de rappeler que dès lors que le SAR de la Réunion apportait des précisions sur la mise en œuvre de la loi Littoral, cette dernière devait être appliquée en fonction des précisions apportées (CAA Bordeaux, 11 juin 2020, n° 18BX03224).
Les schémas d’aménagement régionaux sont régis par l’article L.4433-7 du code général des collectivités territoriales. Ils doivent fixer les orientations en terme de développement durable, de mise en valeur des territoires et de protection de l’environnement et la destination générale des différentes parties du territoire qui en résultent. De ce point de vue, ce sont de classiques schémas de planification spatiale. Ils ont en revanche un rôle plus original qui leur permet de mettre en oeuvre la loi Littoral.
Les SAR, le PADDUC et les SMVM avaient les mêmes effets que les DTA pour mettre en oeuvre la loi Littoral
La loi du 2 février 1995 a conféré aux SAR les mêmes effets que les directives territoriales d’aménagement (DTA). Ces directives permettent à l’Etat d’imposer ses grands choix d’aménagement. Le législateur a également prévu qu’elles pouvaient adapter la loi Littoral aux particularités géographiques locales. La jurisprudence en a tiré les conséquences : elle a rappelé, d’une part, que l’effet d’échelle des DTA permettait une marge de manœuvre dans la mise en application de la loi Littoral (CE, 27 juill. 2005, n° 264336, Comité sauvegarde Port Vauban, Vieille-Ville et Antibes-Est). D’autre part, elle a indiqué que dès lors qu’une DTA comportait des dispositions précises et compatibles avec la loi, cette dernière devait être appliquée en fonction des précisions apportées (CE, 16 juill. 2010, n° 313768, min. Écologie Développement Aménagement durables c/ SARL Les Casuccie). Cela signifie en pratique que les documents d’urbanisme et les décisions liées à l’usage du sol ne sont plus directement confrontés aux articles L.121-1 et suivants du code de l’urbanisme mais à la mise en oeuvre qui est faite des dispositions législatives par la DTA.
Quatre DTA concernant le littoral ont été approuvées : la DTA des Alpes-Maritimes, la DTA de l’estuaire de la Seine la DTA de l’estuaire de la Loire et la DTA des Bouches-du-Rhône. Le législateur a également conféré les effets des DTA à d’autres schémas : outre les SAR, il s’agit de l’ancien schéma d’aménagement de la Corse, de l’actuel plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) et des schémas de mise en valeur de la mer.
La jurisprudence avait tiré les conséquences de l’assimilation des SAR aux DTA : la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait par exemple jugé que dans la mesure où la Réunion comporte un SAR, les dispositions de la loi Littoral ne sont pas directement applicables à un permis de construire (CAA Bordeaux, 26 déc. 2006, n° 02BX00529, Assoc. défense environnement à la Possession). Le raisonnement est le même pour le PADDUC (La cour administrative d’appel de Marseille l’a rappelé dans un arrêt du début de l’année 2020).
Les conséquences de la suppression des DTA par la loi « Grenelle » 2
La loi du 10 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a supprimé les DTA. Celles déjà approuvées sont toutefois maintenues mais elles ne pourront plus évoluer. Le régime des différents schémas valant DTA est nécessairement affecté par la disparition des DTA. Les SMVM sont désormais privés de l’effet des DTA. L’article 57 de la loi du 7 janvier 1983 dispose toutefois que les schémas de mise en valeur mis à disposition du public à la date de la publication de la loi du 23 février 2005 conservent leurs effets. En pratique, cela ne concerne que le SMVM du Bassin d’Arcachon et celui du Trégor-Goëlo.
Le successeur de schéma Corse, le Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) prévu par la loi du 22 janvier 2002, était lui aussi assimilé à une DTA. La référence aux DTA a logiquement disparu depuis la loi portant engagement national pour l’environnement, mais le nouvel article L. 4424-11 du Code général des collectivités territoriales permet au PADDUC de préciser les modalités d’application des dispositions particulières au littoral. Sa capacité a comporter des dispositions qui mettent en oeuvre la loi Littoral opposables aux documents d’urbanisme et aux décisions liées à l’usage du sol n’est donc pas affectée.
La situation est moins claire pour les SAR car l’assimilation aux DTA a également disparu des articles L. 4433-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales après la loi du 10 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. L’article L. 4433-8 du Code général des collectivités territoriale dispose aujourd’hui que le schéma d’aménagement régional doit respecter les dispositions particulières au littoral. En tant que tel, il semble que les SAR aient perdu leurs effets sur la mise en oeuvre de la loi Littoral. Ils peuvent naturellement comporter des dispositions en ce sens mais la loi ne prévoit plus qu’elles seront directement opposables aux décisions liées à l’usage du sol.
Si les SAR n’ont plus par eux-mêmes valeur de DTA, ils peuvent en revanche tenir lieu de SMVM (article L.4433-7-2 du code général des collectivités territoriales). Or, comme cela a été rappelé, les SMVM mis à disposition du public avant la publication de la loi du 23 février 2005 conservent leurs effets. Il en résulte que dès lors que le volet SMVM d’un SAR comporte des dispositions précises et compatibles avec la loi Littoral, les dispositions législatives correspondantes ne sont plus directement applicables. Elles ne le sont qu’à travers les précisions apportées par le schéma d’aménagement.
Le volet SMVM du SAR de La Réunion lui permet toujours de mettre en oeuvre la loi Littoral
Dans l’affaire que la Cour administrative d’appel de Bordeaux devait juger, le préfet de La Réunion demandait l’annulation de l’arrêté du maire de Saint-André du 3 mai 2017 accordant un permis de construire pour une maison d’habitation située chemin Patelin, sur une parcelle enregistrée au cadastre sous le numéro BC 227.
La parcelle BC 0227, sur la commune de Saint-André (carte interactive)
A cette fin, le préfet soulevait un moyen tiré de la violation de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme aux termes duquel l’extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et les villages existants.
Dans les régions Outre-Mer, ces dispositions sont complétées par des règles spécifiques aux espaces proches du rivage. Dans ces espaces, l’article L.121-40 du code de l’urbanisme permet une extension de l’urbanisation dans les espaces d’urbanisation diffuse ainsi que les opérations d’aménagement prévues par le volet SMVM du SAR.
Le SAR de la Réunion actuellement en vigueur a été approuvé par décret du 22 novembre 2011. Il comporte un chapitre individualisé qui tient lieu de SMVM. Ce chapitre comporte des dispositions qui mettent en oeuvre la loi littoral, notamment dans les espaces proches du rivage dans lesquels le projet querellé par le Préfet de La Réunion se situe.
Pour la Cour administrative d’appel de Bordeaux, dès lors que le volet SMVM du SAR de la Réunion comporte des dispositions précises et compatibles avec les articles L.121-40 et suivants du code de l’urbanisme, la loi Littoral n’est pas directement applicable. Elle ne l’est qu’à travers les prescriptions du SAR. La Cour en déduit alors que le moyen tiré de la violation de l’article L.121-8 du code de l’urbanisme est inopérant :
« Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation, d’occupation ou d’utilisation du sol mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 121-3 du code de l’urbanisme, de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral. Dans le cas où le territoire de la commune est couvert par une directive territoriale d’aménagement définie à l’article L. 172-2 du même code, ou par un document en tenant lieu, cette conformité doit s’apprécier au regard des éventuelles prescriptions édictées par ce document d’urbanisme, sous réserve que les dispositions qu’il comporte sur les modalités d’application des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme soient, d’une part, suffisamment précises et, d’autre part, compatibles avec ces mêmes dispositions.
Il ressort des annexes cartographiques du chapitre individualisé valant schéma de mise en valeur de la mer du schéma d’aménagement régional de La Réunion que le terrain d’assiette du projet est situé au sein des espaces proches du rivage. Les dispositions du schéma d’aménagement régional de La Réunion précisent les conditions dans lesquelles peuvent être autorisées, conformément à l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme, l’extension de l’urbanisation et la réalisation d’opérations d’aménagement dans les espaces proches du rivage. Par suite, la conformité du projet doit s’apprécier au regard des prescriptions édictées par le chapitre du schéma d’aménagement régional valant schéma de mise en valeur de la mer. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme est inopérant » (CAA Bordeaux, 11 juin 2020, n° 18BX03224).
Le raisonnement de la Cour soulève une question que la rédaction de l’arrêt ne permet pas de régler. Le paragraphe 8 de l’arrêt évoque les DTA et les documents en tenant lieu. Or, le SAR de La Réunion ayant été approuvé le 22 novembre 2011, il ne peut bénéficier de l’assimilation aux DTA qui prévalait avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2010 mais qui n’existe plus aujourd’hui. Le SAR comporte certes un volet SMVM mais, là encore, ce document n’a pas valeur de DTA dans la mesure où il n’a pas été rendu public avant la publication de la loi du 23 février 2005. Ce n’est donc pas du fait de son assimilation à une DTA que les dispositions du SAR de la Réunion qui mettent en oeuvre la loi Littoral sont applicables à un permis de construire.
En revanche, l’article L.121-40 du code de l’urbanisme dispose que dans les espaces proches du rivage, sont autorisées « les opérations d’aménagement préalablement prévues par le chapitre particulier valant schéma de mise en valeur de la mer du schéma d’aménagement régional prévu par l’article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales ». C’est peut-être de cette habilitation législative que le juge déduit que les dispositions du volet SMVM du SAR sont directement opposables aux décisions liées à l’usage du sol.