Résumé : l’article L.121-23 du code de l’urbanisme dispose que dans les espaces proches du rivage, les extensions de l’urbanisation doivent présenter un caractère limité. La jurisprudence rappelle de manière régulière que dès lors que l’urbanisation nouvelle est similaire à celle existante, le caractère limité est respecté. Cette logique conduit à reproduire les formes urbaines voisines du projet. Le seul fait de prévoir des pavillons dans un secteur de maisons individuelles ne suffit toutefois pas à garantir le respect des règles relatives aux espaces proches du rivage. La Cour administrative d’appel de Nantes vient ainsi de rappeler qu’un projet de lotissement entraîne une extension de l’urbanisation qui n’est pas limitée dès lors qu’il augmente de manière significative le nombre de constructions dans un secteur jusque là peu construit (CAA Nantes, 20 octobre 2020, n° 19NT03333, Association « Qualité de la vie à Larmor-Baden »). La décision n’est pas publiée à ce jour sur Légifrance ou sur la base Ariane du Conseil d’Etat.
Par un arrêté du 25 mars 2017, le maire de Larmor-Baden avait délivré à l’association foncière urbaine libre de Pen An Toul un permis d’aménager portant sur un lotissement de 20 lots sur un terrain de 18 593 mètres carrés. L’association « Qualité de la vie à Larmor Baden » avait saisi le Tribunal administratif de Rennes d’un recours pour excès de pouvoir. Ce recours avait été rejeté par un jugement du 14 juin 2019. La Cour administrative d’appel de Nantes avait alors été saisie.
Le terrain d’assiette du projet de lotissement (parcelles AC 33, 34, 582, 583 et 747p) sur la commune de Larmor-Baden (carte Géoportail interactive)
L’association soutenait notamment que le projet de lotissement entraînait une extension de l’urbanisation qui n’était pas limitée au sens de l’article L.123-13 du code de l’urbanisme.
Cet article dispose que dans les espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs désignés au 1° de l’article L.321-2 du code de l’environnement, l’extension de l’urbanisation doit présenter un caractère limité. Les modalités de mise en œuvre de ces dispositions prévues pour mettre fin aux gros projets immobiliers en front de mer sont désormais bien délimitées par la jurisprudence. L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes est l’occasion d’en faire une synthèse.
Lorsque l’on s’interroge sur la mise en oeuvre de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme, la première étape est naturellement de vérifier que le projet se situe dans un espace proche du rivage. Depuis l’arrêt « Barrière » de 2004 (CE, 3 mai 2004, n° 251534, Barrière), la jurisprudence rappelle de manière constante que l’espace proche du rivage doit être délimité en fonction de critères de co-visibilité, de distance et de nature des espaces. En l’espèce, même si la Cour ne se prononce pas sur la question, il ne fait guère de doute que le terrain d’assiette du projet, situé à quelques centaines de mètres du golfe du Morbihan à l’est et d’un marais à l’ouest, est inclus dans un espace proche du rivage.
Cette première étape étant franchie, il faut ensuite vérifier si le projet étend l’urbanisation. La jurisprudence opère, en effet, une distinction entre les opérations de constructions et les extensions de l’urbanisation. Les premières, puisqu’elles n’entraînent pas d’extension de l’urbanisation, ne sont pas assujetties aux règles posées par l’article L.121-13. Les secondes, doivent présenter un caractère limité et être, soit justifiées par le document d’urbanisme, soit faire l’objet d’un accord du préfet. Cette distinction a été faite par le Conseil d’Etat qui a rappelé qu’une opération dans un espace déjà urbanisé ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. Il ajoute que la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi (CE, 7 févr. 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune Menton). Ce principe a été rappelé en 2007 par le Conseil d’État qui a jugé qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Le blog a récemment commenté plusieurs décisions qui mettent en oeuvre ce principe. Vous les retrouverez ici et là.
En l’espèce, si le terrain d’assiette du projet jouxte une zone dense au sud, il s’insère dans un espace ou les constructions sont plus diffuses. La Cour administrative d’appel de Nantes a donc estimé que ce projet entraînait une extension de l’urbanisation.
Cette qualification étant acquise, il restait alors à s’interroger sur le caractère limité de cette extension de l’urbanisation. Pour le Conseil d’État, « le caractère limité de l’urbanisation (…) s’apprécie compte tenu de l’implantation, de l’importance, de la densité et de la destination des constructions envisagées » (CE, 2 oct. 2006, n° 271327, Société Marcellesi, CE, 5 janv. 2012, n° 339630, Société Belrobi). Les caractéristiques topographiques du terrain sont aussi prises en compte (CE, 27 sept. 1999, n° 178866 et n° 178869, Commune de Bidart). En application de ces principes, un projet qui entraîne une urbanisation comparable à celle déjà présente dans le secteur, sera considérée comme limitée. C’est par exemple pour un lotissement de 13 lots qui s’inscrit dans un environnement supportant une urbanisation similaire (CAA Marseille, 26 janv. 2006, n° 05MA01317, Association de protection des sites et du littoral de Brusc et de la presqu’île Cap Sicié). A l’inverse, un projet de construction dont la densité est significativement plus importante que celles des constructions sur les terrains environnants ne sera pas jugé comme limité (CAA Nantes, 29 déc. 2014, n° 13NT02070, Association Kerner entre terre et mer).
Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, dès lors que le projet de lotissement a pour effet de doubler le nombre de constructions dans un compartiment de terrain, il entraîne une extension de l’urbanisation qui n’est pas limitée :
« Il ressort des pièces du dossier, notamment des documents cartographiques et des photographies aériennes que le terrain d’assiette du projet se situe à l’extrémité nord-est du bourg de Larmor-Baden, dans la partie de la commune qui forme une pointe, longée à l’ouest par le marais de Pen en Toul et à l’est par le Golfe du Morbihan. Il ressort également de ces pièces qu’à partir de la rue des Tennis, l’urbanisation dense du bourg laisse place à une urbanisation beaucoup plus diffuse, le long des voies, dans un environnement agricole et naturel. Le projet d’aménagement contesté qui prévoit, sur un terrain naturel de prairies de 1,8 hectare, la construction de 20 maisons individuelles, de voies de desserte, de places de stationnement et d’espaces verts aménagés, a pour effet de doubler le nombre de constructions dans le compartiment foncier concerné, avec une occupation et un aménagement non plus des seules bordures sud, ouest et nord mais de l’ensemble du compartiment concerné. Il suit de là que le permis d’aménager n’a pas le caractère d’une extension limitée de l’urbanisation au sens de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme ».
Le raisonnement de la Cour administrative d’appel est classique. Il peut poser problème dans certains cas car il est parfois vertueux d’autoriser une densification de l’urbanisation plus significative dans les espaces proches du rivage notamment lorsqu’il existe des équipements publics ou des transports en commun à proximité. La réponse pourra alors être apportée par le SCOT puisque le Conseil d’Etat a rappelé que le caractère limité d’une extension de l’urbanisation devait être appréciée en tenant compte des prescriptions de ce document. Dès lors que les modalités de l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage auront été précisées par le SCOT (et sous réserve de sa compatibilité avec la loi Littoral), un lotissement, même s’il augmente la densité d’un espace, pourra être regardé comme n’entraînant qu’une extension limitée de l’urbanisation.