Résumé : l’article L.121-13 du code de l’urbanisme dispose que dans les espaces proches du rivage, l’extension de l’urbanisation doit présenter un caractère limité. La jurisprudence a précisé qu’une construction dans un espace urbanisé constitue une extension de l’urbanisation si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. Dans l’affaire qui est ici rapportée, la Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que l’édification d’un bâtiment de 1 807 mètres carrés de surface de plancher dans un quartier dense et structuré n’entraîne, pas une extension de l’urbanisation (CAA Bordeaux, 15 décembre 2020, n° 18BX04375, Collectif au cœur du village du Cap-Ferret et autres).
Par un arrêté du 14 novembre 2007, le maire de la commune de Lège-Cap-Ferret a délivré un permis de construire pour l’édification d’un hôtel restaurant sur une parcelle située au 39, boulevard de la plage. Le projet, qui comporte une trentaine de chambres, créé une surface de plancher de 1 807 mètres carrés et a une hauteur d’environ 8 mètres (§ 20 et 64 de l’arrêt).
La parcelle LH 0127, au 39, Boulevard de la plage (carte Géoportail interactive)
Plusieurs requérants ont demandé au Tribunal administratif de Bordeaux d’annuler cette décision au motif, entre autre, qu’elle entraînerait une extension non-limitée de l’urbanisation dans un espace proche du rivage. Ces demandes ont été rejetées par un jugement du 23 octobre 2018. C’est dans ce contexte que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a été saisie.
Parmi les moyens de légalité interne, les requérants invoquaient la méconnaissance de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme. Aux termes de ces dispositions : l’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d’eau intérieurs désignés au 1° de l’article L. 321-2 du code de l’environnement est justifiée et motivée dans le plan local d’urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau.
La jurisprudence a hésité sur l’application de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme aux constructions situées en espace urbanisé. Dans un premier temps, le Conseil d’État a considéré qu’un projet de construction entraînant la création de 66 logements et commerces en centre-ville n’entraînait pas une extension de l’urbanisation (CE, 28 juill. 1999, n°189941, Association Fouras environnement écologie). Certaines Cours administratives d’appel ont pu en déduire qu’une construction en espace urbanisé ne pouvait pas, quelle que soit son importance, constituer une extension de l’urbanisation (CAA Lyon, 28 avril 1998, n° 94LY1877 et n° 95LY0003, Société Sudinvest et Ville Antibes). Rapidement, le Conseil d’État a mis un terme à cette interprétation restrictive en rappelant que la notion d’extension de l’urbanisation s’appliquait bien dans les espaces urbanisés (CE, 27 sept. 1999, n° 178866 et n° 178869, Commune de Bidart).
La clarification est intervenue par la jurisprudence « Société Soleil d’Or » par laquelle le Conseil d’Etat a jugé qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L.121-13 du Code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. La décision ajoute que la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi (CE, 7 février 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune de Menton). Le principe a été rappelé en 2007 par le Conseil d’État qui a jugé qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis, élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’État précise qu’il faut tenir compte de l’ensemble des caractéristiques du quartier et pas seulement de celles du compartiment de terrain dans lequel le projet se situe.
Le blog a déjà rapporté des décisions relatives l’application de la jurisprudence « Soleil d’Or ».
Dans l’affaire qui est commentée, la Cour administrative d’appel de Bordeaux fait application de ces principes. Compte tenu de son implantation au cœur d’un espace urbanisé, le projet de construction n’avait pas pour effet d’élargir le périmètre bâti. Il restait donc à vérifier si, par son importance, il pouvait modifier de manière significative les caractéristiques de l’espace. La question du caractère limité de cette extension de l’urbanisation se serait alors posée.
Vue en trois dimensions du quartier (carte google maps interactive).
Pour la Cour administrative d’appel de Bordeaux :
« Le terrain d’assiette du projet, situé 39 boulevard de la Plage à proximité du rivage, se trouve à l’intersection de la rue des Mouettes et du boulevard de la Plage dans une zone urbanisée au sein d’un quartier composé d’un tissu urbain relativement dense et structuré le long du boulevard de la Plage. Ce secteur est aussi caractérisé par une urbanisation mixte où les habitations coexistent avec des commerces et autres activités de services. Le projet de plan local d’urbanisme en cours d’élaboration à la date du permis contesté prévoit d’ailleurs de classer le terrain d’assiette du projet en zone UA, définie comme correspondant « aux secteurs centraux, denses, des villages de la commune … La zone UA offre une mixité des fonctions. Elle est en ce sens destinée à l’accueil de l’habitat, de commerces, services et activités diverses… ». A cet égard, il existe déjà un hôtel sur un terrain contigu au nord-est de la parcelle d’implantation du projet et un autre hôtel se trouve à quelques dizaines de mètres de cette parcelle, rue des Fauvettes. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’hôtel-restaurant projeté, d’une surface de plancher de 1 807 m2 pour une capacité de trente chambres, modifie de manière importante les caractéristiques du quartier existant ou conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation du secteur. Il en va ainsi alors même que le projet en litige a une emprise au sol sensiblement supérieure à celles des constructions implantées initialement sur le terrain d’assiette et dont la démolition est prévue. Par suite, l’accord préfectoral sur le projet de permis de construire n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme » (CAA Bordeaux, 15 décembre 2020, n° 18BX04375, Collectif au cœur du village du Cap-Ferret et autres).
Pour rejeter le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L.121-13 du code de l’urbanisme, la Cour administrative d’appel de Bordeaux ne se borne pas à examiner l’importance du projet. Elle évalue son impact sur l’urbanisation du quartier dont elle relève qu’il comporte d’autres bâtiments de même nature. Dès lors qu’il n’en modifie pas de manière sensible les caractéristiques, c’est donc de manière logique qu’elle en conclut que la construction de l’hôtel dans cet espace urbanisé n’entraîne pas une extension de l’urbanisation.
Sources cartes et images : Google et Géoportail