Résumé : au début de l’été, Claude Askolovitch, dans une de ses toujours stimulantes revues de presse sur France Inter, revenait sur l’histoire de la Bergerie de la commune de Genêt, près du Mont-saint-Michel. Après quelques semaines de pause consacrées à la rédaction de la cinquième édition de « la loi Littoral » qui vient de paraître chez Territorial Editions, le blog fait le point sur cette affaire qui a défrayé la chronique et qui a permis au juge administratif de préciser ce qu’était un aménagement léger dans les espaces remarquables du Littoral.
Les dispositions relatives aux espaces remarquables et caractéristiques sont codifiées aux articles L. 121-23 à L.21-26 du Code de l’urbanisme. Elles imposent la préservation des espaces terrestres et marins, remarquables et caractéristiques du patrimoine naturel ou culturel du littoral et nécessaires aux équilibres écologiques littoraux. Les espaces susceptibles d’être qualifiés de remarquables et caractéristiques sont énumérés par les articles L. 121-23 et R. 121-4 du Code de l’urbanisme.
Les aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables par l’article L. 121-24 du code de l’urbanisme sont définis par l’article R.121-5 du même code. Régulièrement, de nouveaux aménagements légers ont été ajoutés à la liste initiale du décret du 20 septembre 1989. Le Conseil d’Etat avait en outre jugé que cette liste n’était pas limitative et que les aménagements permettant la lutte contre les incendies (CE, 6 février 2013, n° 348278, Commune de Gassin) ou les clôtures (CE, 4 mai 2016, n° 376049, SARL Mericea) étaient autorisés dans les espaces remarquables bien qu’ils ne soient pas prévus par l’article R. 121-5.
La nouvelle rédaction de l’article L. 121-24 issue de la loi ELAN revient sur cette logique. Elle dispose désormais que les aménagements légers sont définis de manière limitative par décret. L’article R. 121-5 du Code de l’urbanisme a été modifié en conséquence par le décret n° 2019-782 du 21 mai 2019 relatif aux aménagements légers autorisés dans les espaces remarquables ou caractéristiques du littoral et des milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques. Ce décret avait été contesté par France Nature Environnement au motif, notamment, qu’il autorisait les canalisations liées aux thalassothérapies. Le Blog avait fait le point sur le rejet de cette requête par le Conseil d’Etat.
Le régime des aménagements légers est donc clair : les constructions ou installations ne sont autorisées dans les espaces remarquables que si elles sont expressément visées par l’article R. 121-5 du code de l’urbanisme. Si cette condition est nécessaire, elle n’est toutefois pas suffisante car le juge administratif a rappelé que les aménagements admis dans les espaces remarquables devaient impérativement avoir un caractère « léger ».
Cette condition a été rappelé pour la première fois en 2009 à propos de la réalisation d’une cale destinée aux activités de cultures marines sur la commune d’Agon-Coutainville. Dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, l’article R. 146-2 du code de l’urbanisme (devenu l’article R. 121-5) disposait que les aménagements nécessaires à l’exercice des activités agricoles, de pêche et cultures marines ou lacustres, conchylicoles, pastorales et forestières ne créant pas de surface hors oeuvre nette pouvaient être admis dans les espaces remarquables. Pour le Conseil d’Etat, à supposer que la cale relève de ces dispositions, ses dimensions excluent qu’elle soit qualifiée d’aménagement « léger » :
« Considérant qu’il résulte de l’instruction que la cale d’accès à la mer édifiée en 1999 au lieudit Les Moulières , sur le territoire de la commune d’Agon-Coutainville, a été implantée dans le site classé du Havre de Regnéville, dans un secteur inscrit à l’inventaire des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), ainsi qu’à l’inventaire des zones importantes pour la conservation des oiseaux, établi en application de la directive du 2 avril 1979 mentionnée par les dispositions précitées ; qu’un tel secteur constitue un espace préservé au sens des dispositions précitées de l’article R. 146-1 du code de l’urbanisme, pris pour l’application du premier alinéa de l’article L. 146-6 du même code ; qu’en application de l’article R. 146-2 du code, ne peuvent être implantés dans un tel secteur qu’un certain nombre d’aménagements légers ; que la cale litigieuse, qui consiste en une dalle en béton coulée sur enrochement d’une longueur de 100 mètres et d’une largeur de 6 mètres, ne saurait être regardée comme un aménagement léger » (CE, 13 février 2009, n° 295885, Communauté de communes du canton de Saint-Malo-de-la-Lande).
La cale des Moulières, Agon-Coutainville (carte géoportail interactive)
C’est une question de même nature qui s’est posée dans l’affaire de la bergerie de la commune de Genêts. Par un arrêté du 29 août 2011 le maire de Genêts avait délivré un permis de construire une bergerie pour ovins de prés-salés au lieu-dit « Les Porteaux ». Une telle installation était, en effet, susceptible de constituer un aménagement léger. L’article R. 146-2 en vigueur à la date du permis de construire autorisait dans les espaces remarquables, « A l’exclusion de toute forme d’hébergement et à condition qu’ils soient en harmonie avec le site et les constructions existantes : (…) – dans les zones (…) d’élevage d’ovins, de prés salés, les constructions et aménagements exigeant la proximité immédiate de l’eau liés aux activités traditionnellement implantées dans ces zones, à la condition que leur localisation soit rendue indispensable par des nécessités techniques (…) ». Toutefois, compte tenu de ces dimensions (46,90 mètres de long sur 20,90 mètres de large), question du caractère « léger » de la construction pouvait légitimement être posée.
La bergerie des Porteaux, Genêts (carte géoportail interactive)
En première instance, le Tribunal administratif de Caen avait annulé le permis de construire. Par un arrêt du 11 octobre 2013, la Cour administrative de Nantes a confirmé ce jugement :
« il est constant que les terrains dont il s’agit sont compris dans un secteur demeuré à l’état naturel du site de la baie du Mont-Saint-Michel classé au titre de la loi du 2 mai 1930 susvisée ; qu’ils s’inscrivent, ainsi, dans un site remarquable au sens des dispositions de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme ; que le permis de construire litigieux autorise l’édification d’un bâtiment destiné à l’élevage de 400 moutons, d’une longueur de 46,90 mètres sur une largeur de 20,90 mètres, développant une surface hors oeuvre brute de 980 m², qui ne peut, alors même qu’il serait en partie construit en bois et qu’il ne serait pas entièrement visible depuis la mer, être regardé comme un aménagement léger au sens des dispositions précitées des articles L. 146-6 et R. 146-2 du code de l’urbanisme ; que si la commune et M. C… se réfèrent à une circulaire ministérielle n° 2005-50 UHC/PS1 du 15 septembre 2005, celle-ci précise, en tout état de cause, que le caractère léger d’une construction s’apprécie, notamment, au regard de » la taille de la construction qui devra conserver des proportions raisonnables » ; qu’ainsi, en autorisant, par le permis de construire du 29 août 2011, l’édification d’un tel bâtiment dans cet espace remarquable, le maire a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation » (CAA Nantes, 11 octobre 2013, n° 12NT02432, Commune de Genets).
La loi Elan a apporté quelques clarifications au régime des espaces remarquables, notamment en affirmant le caractère limitatif de la liste des aménagements légers qui y sont admis. La jurisprudence administrative incite toutefois à la vigilance en rappelant que les constructions ou installations autorisées à ce titre devront, en toute hypothèse, présenter un caractère « léger ».
Sources des illustrations : géoportail, Image d’illustration Thierry BEUVE de Pixabay