Résumé : les directives territoriales d’aménagement (DTA) ont été crées par la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire. Ces DTA sont de classiques schémas de planification spatiale mais, de manière plus originales, elles peuvent également préciser les lois Littoral et Montagne en les adaptant aux particularités géographiques locales. Le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions prises dans le cadre de cette seconde fonction sont directement applicables aux décisions liées à l’usage du sol dès lors qu’elles sont à la fois précises et compatibles avec les lois qu’elles entendent mettre en oeuvre. C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat est amené à préciser le sens des dispositions de la DTA des Alpes-Maritimes qui détaillent les modalités de l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage (CE, 19 novembre 2021, n° 435153, Commune de Théoule-sur-Mer).
La création des Directives territoriales d’aménagement a été suggérée par le Conseil d’État en 1992 dans son rapport « l’urbanisme, pour un droit plus efficace » afin de les substituer aux schémas directeurs qui n’assuraient pas suffisamment l’encadrement des plans d’occupation des sols. Elles ont été créées deux ans après par la loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (art. L. 111-1-1 du code de l’urbanisme alors applicable).
Quatre DTA concernant le littoral ont été approuvées : la DTA des Alpes-Maritimes, la DTA de l’estuaire de la Seine, la DTA de l’estuaire de la Loire (qui est en cours d’abrogation) et la DTA des Bouches-du-Rhône. La loi « Grenelle II » du 10 juillet 2010 a remplacé les DTA par des Directives territoriales d’aménagement et de développement durable (DTADD). Si leur appellation est proche leur régime juridique est très différent puisque les DTADD ne sont pas opposables aux documents d’urbanisme ou aux décisions liées à l’usage du sol. Les DTA en vigueur sont toutefois maintenues conformément aux dispositions de l’article L. 172-1 du code de l’urbanisme.
La loi confère aux DTA un rôle classique de planification spatiale. Dans cette première fonction, elles ne sont applicables qu’aux documents d’urbanisme. La loi leur permet également de préciser les modalités d’application des dispositions spécifiques applicables au littoral ou à la montagne, en les adaptant aux particularités géographiques locales. Les dispositions prises à ce titre ont une portée juridique différente puisque l’article L. 172-2 du code de l’urbanisme dispose qu’elles s’appliquent aux décisions liées à l’usage du sol. Le Conseil d’Etat a toutefois précisé que cette opposabilité n’était acquise qu’à la condition que les dispositions en question soient suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives (CE, 16 juillet 2010, n° 313768, ministre de l’Écologie du Développement et de l’aménagement Durables). C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 19 novembre 2021.
Par un arrêté du 25 janvier 2017, le maire de la commune de Théoule-sur-Mer a délivré un permis de construire une résidence de 6 logements sur une parcelle cadastrée section A n° 588 située 28, boulevard de l’Estérel. Ce projet doit être réalisé après démolition d’une maison de retraite « décrépite et disgracieuse » selon les mots du rapporteur public dont les conclusions peuvent être lues sur la base Ariane du Conseil d’Etat. Cette arrêté a été déféré au Tribunal administratif de Nice qui l’a annulé par un jugement du 5 août 2019.
La parcelle A n° 588 après démolition de la construction existante
Le terrain d’assiette du projet se situe dans les espaces proches du rivage définis par l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme et spatialisés par la DTA des Alpes-Maritimes.
Dans ces espaces proches du rivage, les auteurs de la DTA des Alpes-Maritimes ont distingué des espaces urbanisés sensibles, des espaces enjeux et des espaces neutres. Pour les espaces urbanisés sensibles dans lesquels se situent le projet, la DTA prévoit deux séries de dispositions.
Dans un paragraphe III-124-1 intitulé « Les orientations en matière d’aménagement », elle dispose:
Puis, dans un paragraphe III-124-2 intitulé « Les modalités d’application de la « loi littoral » », elle ajoute:
La rédaction de la DTA est finalement peu claire puisque le dispositif de mise en oeuvre du principes d’extension limitée de l’urbanisation est décliné dans deux paragraphes distincts et seul le second traite expressément des modalités d’application de la loi Littoral. Pour le Conseil d’Etat, il ne faut pas s’arrêter aux seuls titres des paragraphes : dès lors que ces dispositions traitent dans leur ensemble des modalités d’application de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, elles sont applicables aux décisions liées à l’usage du sol. Cette logique a déjà été adoptée par la Cour administrative d’appel de Nantes qui avait jugé que la DTA de l’estuaire de la Seine était réputée préciser la loi Littoral même si les dispositions en question figurent dans un chapitre distinct de celui intitulé « modalité d’application de la loi Littoral » (CAA Nantes, 1er juillet 2011, n° 10NT00668). La Cour administrative d’appel de Marseille a toutefois logiquement précisé que les dispositions en cause devaient avoir pour objet d’apporter des précisions à la loi Littoral pour être opposables aux décisions liées à l’usage du sol (CAA Marseille, 30 juillet 2013, n° 11MA02136, Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Neptune).
Cette première question étant réglée, il restait a examiner la conformité du permis de construire délivré par le maire de Théoule-sur-Mer aux dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme sar la DTA des Alpes-Maritimes. Il s’agissait notamment de vérifier si le projet pouvait s’analyser comme une reconstruction au sens du paragraphe III-124-2. Le doute est clairement permis car le projet consiste à remplacer un bâtiment de 4 niveaux par un ensemble de six maisons d’habitation en partie intégrée dans la colline préalablement reconstituée (le bâtiment existant situé sur le haut de la colline est visible sur l’image d’illustration de cet article).
En première instance, le Tribunal administratif de Nice avait jugé que puisque le projet de construction était très différent du bâtiment existant, il ne pouvait être regardé comme une reconstruction au sens de la DTA des Alpes-Maritimes. Suivant les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’Etat a jugé que cette circonstance n’excluait pas d’y voir une reconstruction :
« En second lieu, en prévoyant que, dans les espaces urbanisés sensibles, l’extension de l’urbanisation serait » strictement limitée aux seules parcelles interstitielles du tissu urbain, ou » dents creuses » des îlots bâtis, ainsi qu’à la reconstruction et à la réhabilitation des bâtiments existants « , les dispositions de la directive territoriale d’aménagement doivent être regardées comme permettant l’extension de l’urbanisation sur les parcelles ainsi désignées, sous réserve, pour tout projet, de satisfaire aux conditions énoncées au point III-124-2, citées au point 3. La » reconstruction » ainsi permise sous cette réserve s’entend donc d’une construction après démolition du bâtiment préexistant sur la parcelle. Par suite, en jugeant, après avoir relevé que le projet autorisé visait à l’édification d’une résidence après démolition d’une construction préexistante sur la parcelle, que le projet autorisé par le permis de construire attaqué ne pouvait, eu égard aux différences qu’il comportait dans sa conception et ses caractéristiques par rapport au bâtiment démoli, être regardé comme la reconstruction d’un bâtiment existant au sens des dispositions précitées de la directive territoriale d’aménagement des Alpes-Maritimes, le tribunal a commis une erreur de droit ».
Le Conseil d’Etat retient donc une lecture très large de la notion de reconstruction qui peut ainsi bénéficier à toute construction prenant place sur un terrain occupé par une précédente construction qui aura préalablement été démolie. Même s’il n’était pas question d’exiger que cette notion implique de reconstruire à l’identique au sens de l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme ou même de respecter les principales caractéristiques de l’existant au sens de l’article L. 111-23 du même code, on pouvait légitiment penser que la volonté des auteurs de la DTA était d’imposer une certaine similitude entre l’existant et la nouvelle construction. La qualité architecturale du projet qui lui était soumis et sa bonne insertion paysagère ne sont surement pas sans influence sur la décision du Conseil d’Etat. L’affaire n’est cependant pas terminée car elle est renvoyée devant le Tribunal administratif de Nice qui devra juger si cette reconstruction respecte les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme telles qu’elles sont mises en oeuvre par la DTA des Alpes-Maritimes.