Résumé : Les SCOT doivent être compatibles avec la loi Littoral. C’est ce que rappelle le jugement du 7 avril 2022, par lequel le Tribunal administratif de la Martinique a annulé partiellement la décision du Président de la communauté d’agglomération de l’Espace Sud Martinique (CAESM) refusant d’abroger le SCOT de l’Espace Sud Martinique. Cette annulation est fondée sur les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme et concerne la zone d’activité du Céron et le golf de Grand Fond (TA de la Martinique, 7 avril 2022, n° 2100118). Merci à mon collègue et ami Raymond Léost, Maître de conférences à l’université de Bretagne occidentale, de m’avoir signalé cette décision.
Le SCOT de l’Espace Sud Martinique avait été approuvé par une délibération du 25 septembre 2018. Faute d’avoir demandé l’annulation de cette délibération dans les deux mois du délai de recours, l’association pour la Sauvegarde du Patrimoine Martiniquais (ASSAUPAMAR), estimant que le SCOT ne respectait pas la loi Littoral, avait alors saisi le président de la communauté d’agglomération d’une demande d’abrogation. Cette procédure classique – bien que méconnue – permet de contester un acte réglementaire tel qu’un document d’urbanisme sans être tenu par le délai de recours de deux mois à compter de la publication de la délibération qui l’approuve.
Cette procédure dont les principes avaient été posé par la jurisprudence « Alitalia » du Conseil d’Etat en 1989 est aujourd’hui régie par l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration aux termes duquel : » L’administration est tenue d’abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d’objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu’elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l’illégalité ait cessé ».
Elle repose sur l’idée que puisque nul n’a droit au maintien d’un acte réglementaire, son illégalité peut être remise en question sans considération de délai. En ce sens, la demande d’abrogation est parente de la voie d’exception qui permet de contester la légalité d’un acte règlementaire à l’occasion du recours dirigé contre un acte qui en fait application ou de l’obligation générale qui pèse sur l’administration de ne pas appliquer un acte réglementaire illégal (CE, 14 novembre 1985, Ponard).
En pratique, le juge n’est pas directement saisi de la décision qui approuve l’acte règlementaire mais de la décision par laquelle l’autorité administrative aura refusé de procéder à son abrogation. Cela suppose donc que la saisine du juge soit précédée d’un recours gracieux demandant à l’auteur de l’acte de l’abroger en tout ou partie. La décision du juge n’a pas la même portée que dans le cadre du recours direct contre un acte. Dans ce cas, le juge peut annuler cet acte. Dans le cadre de la demande d’abrogation, ce n’est pas l’acte qui sera annulé mais le refus de procéder à son abrogation. L’effet utile de cette procédure sera assuré par l’injonction d’abroger les dispositions illégales que le juge prononcera sur la base de l’article L. 911-1 du code de justice administrative.
Il faut également noter que les arguments pouvant être invoqués devant le juge dans le cadre de l’abrogation peuvent porter sur les règles de fond (méconnaissance de la loi Littoral par exemple) et sur les règles de compétence mais pas sur les règles de forme et de procédure (CE, 18 mai 2018, n° 414583, CFDT Finances). En matière de document d’urbanisme, un moyen de légalité tiré d’une insuffisance du rapport de présentation ou de l’irrégularité dans la convocation de l’organe délibérant serait donc sans portée (on le qualifie alors d’inopérant).
C’est dans ce contexte que, le 17 novembre 2020, l’ASSAUPAMAR a demandé au président de la CAESM de bien vouloir abroger le SCOT de l’Espace Sud Martinique qui avait été approuvé par une délibération du 25 septembre 2018 au motif qu’il ne respectait pas la loi Littoral. Ce recours gracieux avait été rejeté le 21 janvier 2021. L’association requérante avait alors saisi le Tribunal Administratif de la Martinique d’une demande d’annulation de ce refus d’abroger et d’une demande d’injonction d’abroger les dispositions illégales.
L’ASSAUPAMAR contestait tout d’abord la justification des choix d’aménagement dans le rapport de présentation. Cet argument aurait pu avoir un effet utile dans le cadre d’un recours direct contre la délibération approuvant le SCOT. Compte tenu des particularités de la procédure d’abrogation qui ont été rappelée plus haut, le tribunal administratif l’a logiquement jugé inopérant.
Sur le fond, l’association considérait que certains des projets d’aménagement du SCOT étaient contraire à la loi Littoral et en particulier aux dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme qui sont applicables en Martinique en application de l’article L. 121-38 du même code. Sur le principe, ce moyen est naturellement recevable alors même que le SCOT n’a pas pour effet de permettre directement des constructions. Le Blog loi Littoral avait déjà rapporté l’annulation d’un SCOT sur ce fondement.
Illégalité de la zone d’activité du Céron à Sainte-Luce
La critique portait tout d’abord sur le projet de création d’une zone d’activité économique sur la commune de Sainte-Luce, au lieu-dit Céron. Ce projet est inscrit dans l’orientation n° 12 du document d’orientation et d’objectif du SCOT :
La parcelle K 570 au lieu dit Céron, sur la commune de Sainte-Luce (carte géoportail interactive)
Pour le Tribunal administratif de la Martinique, ce projet ne respecte pas les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme :
« il ressort des pièces du dossier que le projet de zone d’activités au lieu-dit Céron, destiné à accueillir des activités artisanales bruyantes, est implanté sur une parcelle de 6 hectares, numérotée K 570, située à proximité du carrefour entre la RN 5 et la RD 7, à un peu plus d’un kilomètre au nord de la distillerie Trois-Rivières. Il ressort de l’annexe GPES du rapport de présentation du schéma de cohérence territoriale, et du site internet Géoportail, accessible tant au juge qu’aux parties, que cette parcelle se situe au coeur d’une zone boisée, à l’écart de toute construction préexistante. Elle est actuellement classée en zone agricole par le plan local d’urbanisme de la commune de Sainte-Luce. Les zones urbanisées les plus proches, à savoir le quartier Lavison à l’est, le quartier Les Coteaux au nord-ouest et le hameau Trois-Rivières au sud, ne sont situées qu’à 1,5 kilomètre de la zone concernée, et le bourg de Sainte-Luce est distant de plus de 4 kilomètres. Dans ces conditions, le projet constitue une extension de l’urbanisation qui ne s’inscrit pas en continuité avec une agglomération ou un village existant ».
Illégalité du golf du Grand Fond au Marin
La critique portait ensuite sur le projet de golf au lieu-dit Grand Fond, sur les hauteur de la commune du Marin, lui aussi prévu par l’orientation n° 12 du DOO :
Le lieu dit Grand Fond sur la commune du Marin (carte géoportail interactive)
Là encore, le Tribunal administratif de la Martinique juge que les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme ne sont pas respectées :
« il ressort des pièces du dossier que le projet de golf au lieu-dit Grand Fond, situé sur les hauteurs du Marin et classé en zone agricole du plan local d’urbanisme de la commune, a pour objet la création d’un parcours de golf de 18 trous, d’un club-house de 1 000 m2, d’une résidence hôtelière de 40 chambres, d’un centre de thalassothérapie et d’une cinquantaine de villas. Il ressort également de l’annexe GPES du rapport de présentation du schéma de cohérence territoriale et du site internet Géoportail, que le terrain d’assiette est entouré de terres naturelles ou agricoles, et que les zones urbanisées les plus proches sont le quartier Montgérald à 800 mètres au sud, et le quartier la Berry à 700 mètres à l’est, qui ne sont d’ailleurs pas caractérisés par une densité significative de constructions, alors que le bourg du Marin est situé à plus d’un kilomètre au sud. Il s’ensuit que le projet de golf du Grand Fond constitue une extension de l’urbanisation qui ne s’inscrit pas en continuité avec une agglomération ou un village existant ».
Illégalité des dispositions relatives aux projets agritouristiques en zone agricole
L’ASSAUPAMAR critiquait enfin l’orientation n° 10 du DOO permettant les constructions dans le cadre de projets agritouristiques en zone agricole.
L’article L. 121-10 du code de l’urbanisme permet, il est vrai, de déroger aux dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Cette dérogation ne profite toutefois qu’aux constructions ou installations nécessaires aux activités agricoles.
Or, comme le relève le Tribunal :
« Il n’apparaît toutefois pas que de telles constructions ou installations soient nécessaires à l’exercice d’une activité agricole. Or, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages, sauf dans le cadre des dérogations et exceptions prévues par les articles L. 121-10 à L. 121-12 du code de l’urbanisme. Dès lors que les dispositions contestées de l’orientation n° 10 du document d’orientation et d’objectifs ne relèvent pas de ces exceptions et dérogations, l’Assaupamar est fondée à soutenir qu’elles sont incompatibles avec l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme en tant qu’elles autorisent, dans les zones non urbanisées de moindre enjeu agricole, les constructions et installations à vocation agritouristique, sauf en ce qui concerne le territoire de la commune de Saint-Esprit, pour lequel les dispositions de la loi Littoral ne sont pas applicables. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’avant dernier aliéna de l’orientation n° 10 du document d’orientation et d’objectifs au regard des articles L. 121-8 et L. 121-10 du code de l’urbanisme doit, par suite, être accueilli ».
On notera sur ce point que les effets de la loi ELAN sont perceptibles. Si l’ancienne rédaction de l’article L. 121-10 du code de l’urbanisme visait les constructions liées à l’activité agricole – ce qui pouvait englober les projets agritouristiques – elle ne concernent aujourd’hui que celles qui leur sont nécessaires. Le Blog avait fait le point sur les règles applicables aux activités agricoles après la loi ELAN de 2018.
La décision du Tribunal administratif de la Martinique est logique. Elle confirme que les SCOT doivent respecter la loi Littoral et que sauf à s’inscrire dans les dérogations prévues par la loi, ils ne peuvent donc pas prévoir de projets d’aménagement à l’écart de toute urbanisation existante. Le jugement est intéressant car il intervient dans le cadre d’une procédure de demande d’abrogation dont les effets sont d’autant plus redoutables qu’elle peut être menée sans considération de délai. En application de l’article 2 du jugement, la CAESM a maintenant 6 mois pour délibérer sur l’abrogation des dispositions illégales de son SCOT.