Résumé : Sur les communes littorales, l’extension de l’urbanisation est possible en continuité des agglomérations et des villages existants. Depuis la loi ELAN du 23 novembre 2018, les constructions sont également autorisées à l’intérieur des secteurs déjà urbanisés. Cette notion n’avait pas encore donné lieu à une définition par la juridiction administrative. Le Conseil d’Etat vient d’y contribuer en rappelant que les secteurs déjà urbanisés ne doivent pas être définis selon les mêmes critères que les agglomérations et les villages existants notamment pour ce qui concerne leur densité (CE, 22 avril 2022, Office public de l’habitat des Pyrénées-Atlantiques, n° 450229).
Jusqu’au milieu des années 2010, la doctrine administrative et certaines juridictions administratives considéraient que dès lors qu’une construction n’avait pas pour effet d’étendre le périmètre d’un espace urbanisé ou d’en modifier les caractéristiques, elle ne constituait pas une extension de l’urbanisation. Cette analyse était favorable aux communes littorales dont l’urbanisation est dispersée car elle permettait d’admettre des constructions dans des espaces qui ne pouvaient pas être qualifiés d’agglomération ou de villages faute de comporter un nombre et une densité significatifs de constructions. C’est ainsi que de nombreuses constructions nouvelles ont été autorisées dans les « dents creuses » des hameaux des communes littorales. Après quelques hésitations, la jurisprudence a mis fin à cette interprétation de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme et elle considère aujourd’hui que toute construction entraîne une extension de l’urbanisation y compris si elle se situe au milieu d’un espace urbanisé. En dehors des agglomérations et des villages existants, les constructions nouvelles sont donc désormais interdites. Le Blog avait fait le point sur cette évolution de la jurisprudence.
Dès 2014, les sénateurs Herviaux et Bizet proposaient de modifier la loi Littoral afin « d’autoriser le comblement des dents creuses dans les hameaux existants » (Rapport d’information du Sénat de Mme Odette Herviaux et M. Jean Bizet, « Plaidoyer pour une décentralisation de la loi littoral : un retour aux origines », rapport n° 297, 2013-2014, page 24). Les parlementaires se sont emparés de cette proposition et ont une première fois tenté de modifier la loi Littoral dans le cadre du projet de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique en 2017. Ce texte n’ayant pas pu être voté avant la fin de la session parlementaire, l’idée de modifier la loi Littoral pour admettre les constructions en dent creuses a été reprise dans le cadre de la loi ELAN votée le 23 novembre 2018.
L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme comporte désormais un second alinéa aux termes duquel, dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et les villages existants localisés par le SCOT et délimités par le PLU, des constructions pourront être autorisées dès lors qu’elles n’étendent pas le périmètre bâti existant ou qu’elles n’en modifient pas les caractéristiques de manière significative. La loi précise que les secteur déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs.
Cette notion de secteur déjà urbanisé n’avait jusqu’à présent fait l’objet que de quelques décisions dont il était difficile de tirer des enseignements. Dans un arrêt du 22 avril 2022, le Conseil d’Etat a apporté une utile contribution à la mise en oeuvre du nouveau dispositif (CE, 22 avril 2022, n° 450229, Office public de l’habitat des Pyrénées-Atlantiques – voir également les conclusions du rapporteur public sur la base Ariane).
Par un arrêté du 30 septembre 2019, le maire de la commune d’Urrugne, dans les Pyrénées-Atlantiques, avait délivré un permis d’aménager en vue de la création d’un lotissement de 11 lots. A la requête de riverains, ce permis d’aménager avait été annulé par un jugement du Tribunal administratif de Pau du 29 décembre 2020. L’office public de l’habitat des Pyrénées-Atlantique, bénéficiaire de l’autorisation, avait alors saisi le Conseil d’Etat.
Le terrain d’assiette du projet de lotissement (carte geoportail interactive)
La notion d’agglomération et de village est depuis longtemps définie par la jurisprudence. Le Conseil d’État a rappelé « qu’il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages » (CE, 9 novembre 2015, n° 372531, Commune de Porto-Vecchio).
Le nombre de constructions requis pour être qualifié de « significatif » ne fait plus débat puisque la plupart des décisions retiennent le seuil d’une quarantaine de constructions. La question de la densité des constructions est en revanche plus délicate car elle se prête moins à une approche quantitative. L’appréciation des juges dépend alors du regroupement des constructions, de la présence de voies publiques ou de l’existence de parcelles non bâties. En toute hypothèse, le Conseil d’Etat a rappelé qu’il n’était pas possible de s’affranchir du respect de ce second critère quelles que soit les circonstances de droit ou de fait qui sont à l’origine d’une faible densité des constructions (Conseil d’Etat, 1er juillet 2019, n° 423400). Une commune ne peut donc pas se prévaloir de la plus grande taille des parcelles et de la moindre densité en milieu rural pour justifier une agglomération ou un village existant (CAA Bordeaux, 18 mars 2022, n° 20BX08871).
Les secteurs déjà urbanisés ne peuvent pas être définis selon les mêmes critères. Puisqu’ils sont seulement voués à être densifiés, ils doivent logiquement concerner des espaces comportant moins de constructions que les agglomérations ou les villages existants qui eux, ont vocation a être densifiés et étendus. De fait, nombre de SCOT actuellement en cours de modification simplifiée pour intégrer ce dispositif retiennent un seuil compris entre une vingtaine et une trentaine de constructions.
L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme dispose par ailleurs que « ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs ». Outre le nombre de constructions, une certaine densité du bâti est donc exigée et c’est sur ce point que l’arrêt du Conseil d’Etat est intéressant.
Pour juger que le terrain d’assiette du projet n’était pas situé dans un secteur déjà urbanisé, le Tribunal administratif de Pau avait relevé qu’il ne s’inscrivait pas dans un compartiment ne présentant pas une densité « significative » de constructions. Le Tribunal avait ainsi appliqué au secteur déjà urbanisé le même degré d’exigence que celui retenu pour les agglomérations et les villages. Pour le Conseil d’Etat, ce raisonnement comporte une erreur de droit. Il censure ainsi le jugement du Tribunal administratif qui avait exigé un niveau trop important de densité.
La décision du Conseil d’Etat est logique car le dispositif des secteurs déjà urbanisés est destiné à permettre le comblement de dents creuses dans les espaces bâtis. Sauf à priver cette notion de tout effet utile, il faut donc que des espaces bâtis de manière un peu plus lâche que des agglomérations ou des villages reçoivent cette qualification.