Résumé : cette chronique de jurisprudence loi Littoral revient sur 3 décisions rendues par la Cour administrative d’appel de Marseille qui illustrent la notion d’agglomération et de village au sens du Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (PADDUC). Pour sa part, la Cour administrative d’appel de Douai s’est prononcée sur la légalité de deux permis de construire qu’elle a annulés au motif qu’ils étaient situés dans une zone d’urbanisation diffuse. L’arrêt le plus important du mois est incontestablement celui rendu le 22 avril par le Conseil d’Etat au sujet des secteurs déjà urbanisés de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi ELAN. Merci à Karenn Le Graet que le cabinet LGP a accueilli en stage au printemps pour les recherches jurisprudentielles.
Loi Littoral et PADDUC – agglomérations et villages existants
Le PADDUC précise la loi Littoral et en particulier la notion d’agglomération et de village existant. Il prévoit qu’une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu’elle constitue, à l’importance et à la densité significative de l’espace considéré et à la fonction structurante qu’elle joue à l’échelle de la micro-région ou de l’armature urbaine insulaire. Pour sa part, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l’espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l’organisation et le développement de la commune.
Pour l’application de ces dispositions, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le lieu-dit Crimulinu est une zone d’urbanisation diffuse comportant quelques maisons d’habitation, dont la morphologie et la structuration ne permettent pas de la regarder comme un village ou une agglomération au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme précisées par le PADDUC, de sorte qu’aucune construction ne peut y être autorisée (CAA Marseille, 11 avril 2022, n° 20MA01676).
La parcelle D 466, au lieu-dit Crimulinu, sur la commune de Lumio (carte geoportail interactive)
De la même façon, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le lieu-dit Corcone sur la commune de Bonifacio est caractérisé par l’implantation diffuse de maisons individuelles et ne constitue ainsi, compte tenu du nombre de constructions et de leur densité, ni une agglomération ni, compte tenu de sa trame et de sa morphologie, un village au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme et du PADDUC (CAA Marseille, 11 avril 2022, n° 20MA03712).
La parcelle L 1460 au lieu-dit Corcone sur la commune de Bonifacio (carte geoportail interactive)
Toujours pour l’application de ces dispositions, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le lieudit Acqua Nera est caractérisé par la présence d’habitations diffuses et de vastes espaces naturels et agricoles. Elle relève que la parcelle en litige (D 2386) est elle-même bordée, au nord, au sud et à l’est par des espaces vierges de toute habitation ou d’espaces boisés et bordée à l’ouest par quelques habitations dont elle est séparée par une route. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce lieudit présenterait un caractère stratégique pour l’organisation et le développement de la commune de Cervione. Dans ces conditions, cet espace ne saurait être regardé comme un village, une agglomération ou un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions du code de l’urbanisme précisées par le PADDUC. Par conséquent, aucune construction ne peut y être autorisée (CAA Marseille, 11 avril 2022, n° 20MA04629).
La parcelle D 2386 au lieu-dit Acqua-Nera sur la commune de Cervione (carte géoportail interactive)
Agglomérations, villages et secteurs déjà urbanisés – notion de secteur déjà urbanisé
Par un arrêt du 22 avril 2022, le Conseil d’Etat apporte une utile contribution à la notion de secteurs déjà urbanisés. Cette notion a été introduite par la loi ELAN du 23 novembre 2018 qui a modifié la loi Littoral. Dans ces secteurs, les constructions ne sont admises qu’à la condition qu’elles n’étendent pas le périmètre bâti. Les secteurs déjà urbanisés constituent des formes urbaines intermédiaires entre les agglomérations et les villages existants qui peuvent être étendus et les espaces diffus dans lesquels, sous réserve des dérogations prévues par la loi, seule l’extension du bâti existant est autorisée. Pour le Conseil d’Etat, si une certaine densité est requise pour qu’un espace reçoive cette qualification, elle est toutefois moindre que celle requise pour les agglomérations et les villages. Le Conseil d’Etat censure donc pour erreur de droit le jugement du Tribunal administratif de Pau qui avait dénié à un espace la qualité de secteur déjà urbanisé au motif qu’il ne comportait pas une densité significative de construction. Le Blog a commenté cette importante décision (CE, 22 avril 2022, Office public de l’habitat des Pyrénées-Atlantiques, n° 450229).
Agglomérations et villages existants
L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme dispose que l’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et les villages existants. Pour l’application de ces dispositions, le Conseil d’Etat a jugé que les constructions étaient possibles en continuité des zones urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significative de constructions (CE, 9 novembre 2015, n° 372531, Commune de Porto-Vecchio). La Cour administrative d’appel de Douai relève qu’un terrain d’une superficie de 1 615 m², situé allée des Passereaux sur la commune de Neufchâtel-Hardelot, est entouré de parcelles vierges de toute construction au sud et au nord. Qu’il est bordé, au nord-ouest, par un espace fortement boisé correspondant à la zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique de type I des » Dunes de Dannes et du Mont Saint Frieux » dans le périmètre de laquelle il se trouve. A l’ouest, il est séparé, par l’allée des Passereaux, de trois constructions implantées sur de vastes parcelles non contiguës. Quant à la zone résidentielle qu’il jouxte à l’est, elle regroupe des constructions implantées sur de vastes parcelles, caractéristiques d’une urbanisation diffuse. Ce terrain n’est donc pas situé en continuité d’une agglomération ou d’un village existant (CAA Douai, 12 avril 2022, n° 20DA01442, Commune de Neufchâtel-Hardelot). La Cour a rendu une décision similaire pour un terrain voisin situé à un peu à l’Ouest, allée des Colombes (CAA Douai12 avril 2022, n° 20DA01435, Commune de Neufchâtel-Hardelot).
Le terrain d’assiette du projet, à l’est de l’allée des Passereaux (Carte géoportail interactive)
Espaces proches du rivage – justification de l’extension de l’urbanisation
Dans les espaces proches du rivage, la loi Littoral (article L. 121-13 du code de l’urbanisme) dispose que l’extension de l’urbanisation doit présenter un caractère limité et être, en outre, soit conforme aux dispositions d’un SCOT, d’un schéma régional ou d’un schéma de mise en valeur de la mer, soit motivée et justifiée par le PLU, soit faire l’objet de l’accord du préfet. Le Blog avait détaillé la mise en œuvre de ce dispositif à propos d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 4 janvier 2022. Pour l’application de ces dispositions, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que si le lieudit Acqua Nera est identifié dans le plan d’aménagement et de développement durable du plan local d’urbanisme de Cervione à proximité d’une zone à développer afin d’y conforter les commerces de proximité et se situe au sein d’une zone d’aménagement de l’entrée de ville et de renforcement des activités économiques permanentes, ces mentions ne sauraient suffire à considérer que l’urbanisation est justifiée et motivée selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau (CAA Marseille, 11 avril 2022, n° 20MA04629).