Résumé : Dans un arrêt du 10 mai 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes revient sur les critères de définition de l’espace urbanisé dans la bande de cent mètres. Elle rappelle que la continuité avec un espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions ne suffit pas à assurer la conformité d’un projet aux dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme. Il faut également s’assurer que le projet est bien situé à l’intérieur de cet espace (CAA Nantes, 10 mai 2022, n° 20NT02780).
Par un arrêté du 29 novembre 2016, le maire de la commune de Plougonvelin (Finistère), avait retiré le permis de construire qu’il avait délivré le 30 août 2016 pour la construction d’une maison d’habitation sur une parcelle cadastrée D n° 1231 située rue de Berthaume. Le maire avait estimé que la construction ne se situait pas dans un espace urbanisé de la bande de cent mètres. Le Tribunal administratif de Rennes qui avait été saisi avait rejeté la requête par un jugement du 3 juillet 2020. Les pétitionnaires avaient alors saisi la Cour administrative d’appel de Nantes.
La parcelle D 1231 sur la commune de PLougonvelin (Finistère) – (carte interactive geoportail . Utilisez les signes + et – pour zoomer et le curseur de la souris pour déplacer l’image)
Le terrain d’assiette du projet vu depuis le chemin situé sur la parcelle 1204 à l’Est (image interactive Google)
Les dispositions législative en cause sont bien connues : l’article L.121-16 du code de l’urbanisme dispose qu’en dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage.
L’assimilation de l’espace urbanisé aux agglomérations et villages existants
En 2008, le Conseil d’Etat a assimilé la notion d’espace urbanisé et celles d’agglomérations et de villages existants au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. L’arrêt « Bazarbachi » a ainsi rappelé qu’un espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 appartient par nature à une agglomération ou un village existant au sens de l’article L. 121-8 (CE, 22 février 2008, n° 280189, Bazarbachi – arrêt disponible sur la base Ariane du Conseil d’Etat). La jurisprudence exclut donc qu’un espace urbanisé au sens de la bande de cent mètres soit apprécié de manière plus souple qu’une agglomération ou un village. La solution inverse serait paradoxale car elle permettrait des constructions dans la bande de cent mètres alors qu’elles seraient interdites à l’intérieur des terres.
En 2018, le Conseil d’Etat a formulé ce principe de manière différente en rappelant que « ne peuvent déroger à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces » (CE, 21 juin 2018, req. n° 416564, R. Bonnefont, Précisions sur les règles applicables dans la bande littorale des cent mètres, AJCT 2018, p. 591, DMF déc. 2018, p. 1042, note J.-M. Bécet). Les critères de nombre et de densité des constructions étant précisément ceux de l’agglomération ou de village existants (CE, 9 nov. 2015, Commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531), l’identité entre ces notions est maintenue.
Le projet doit être situé à l’intérieur de l’espace bâti
Si les agglomérations, villages et espaces urbanisés sont définis selon les mêmes critères, les conséquences juridiques qui s’attachent à ces qualifications sont toutefois très différentes : si l’agglomération et le village peuvent s’étendre, ce n’est pas le cas de l’espace urbanisé de la bande de cent mètres qui ne peut recevoir de constructions qu’à l’intérieur de ses frontières. La Cour administrative d’appel de Nantes n’avait pas immédiatement saisi cette profonde différence. Appliquant les principes de l’arrêt «Bazarbachi», elle avait jugé qu’une construction implantée en continuité avec une agglomération ou un village existant appartenait par nature à un espace urbanisé (CAA Nantes, 13 juillet 2012, n°11NT00843). Toutefois, en suggérant que la seule continuité avec une agglomération ou un village permettait de satisfaire aux exigences de l’article L 121-16, la Cour rendait possible l’extension progressive des limites de l’espace urbanisé.
La jurisprudence est aujourd’hui plus stricte et s’attache à circonscrire l’urbanisation dans les limites bâties. Une construction n’est par conséquent autorisée que si elle est située à l’intérieur de l’espace urbanisé et pas seulement en continuité avec lui (CAA Nantes, 1er juin 2015, n° 14NT01268, Commune d’Arzon).
Dans la présente affaire, il ne fait pas de doute que le terrain d’assiette du projet jouxte l’agglomération compte tenu du nombre et de la densité des constructions situées au nord-ouest. Pour autant, cette continuité n’est pas suffisante. Il faut aussi que le terrain soit situé à l’intérieur du périmètre bâti. La solution n’est pas évidente car la parcelle en question est entourée de constructions sur trois côtés. A l’échelle du quartier, une construction nouvelle n’entraînerait pas vraiment de modification des limites du front bâti.
Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, ces circonstances ne sont pas suffisantes pour admettre que le projet de construction se situe au sein de l’espace urbanisé : si elle relève que « cette parcelle non bâtie est entourée sur ses côtés nord, ouest et sud, de parcelles bâties ». Elle ajoute : « une parcelle adjacente au sud-ouest n’est pas construite et la parcelle des requérants s’ouvre à l’est sur un vaste secteur resté à l’état naturel, qui la sépare d’une ancienne fortification, le fort de Bertheaume. Le rivage se situe au sud et au sud-est de la parcelle des consorts E…, dont il est séparé par la parcelle bâtie au sud mais également par la parcelle non construite au sud-ouest et par le vaste secteur naturel au sud-est et à l’est. Si la parcelle d’assiette du projet se trouve dès lors en continuité avec un espace urbanisé situé au nord et à l’ouest, elle ne se situe toutefois pas au sein de cet espace urbanisé, si bien qu’en application des dispositions précitées de l’article L. 121-16 code de l’urbanisme, aucune construction ne peut y être autorisée ».
L’arrêt peut sembler sévère mais il n’encourt guère la critique dans un contexte de lutte renforcée contre l’artificialisation des sols. Il incite en tous cas à la plus grande vigilance dans la délivrance des autorisations d’urbanisme et dans la délimitation des zones constructibles dans la bande littorale de cent mètres.