Chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de mai 2022

par | Août 17, 2022 | Chroniques, Loi littoral | 0 commentaires

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Résumé : Le Blog loi Littoral revient sur les décisions les plus significatives du mois de mai 2022. La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu 6 décisions sur le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme tel qu’il est décliné par le PADDUC. Au programme également, quelques arrêts sur la notion d’agglomération et de villages appliquée cette fois directement, sur celle d’espace urbanisé de la bande de cent mètres et celle d’espace remarquable. Cette chronique a été préparée avec l’aide de Karenn Le Graet, stagiaire au cabinet LGP.

Loi Littoral et PADDUC

Le PADDUC joue un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de la loi Littoral tant vis-à-vis des documents d’urbanisme de rang inférieur que des décisions liées à l’usage du sol. La jurisprudence a toutefois précisé que ce rôle de prisme ne pouvait jouer qu’à la condition que les dispositions qui mettent en oeuvre la loi Littoral soient à fois suffisamment précises et compatibles avec la loi (CE, 16 juillet 2010, ministre de l’Écologie du Développement et de l’aménagement Durables, req. n° 313768).

En Corse, le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants complété par le PADDUC qui prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu’il constitue, à l’importance et à la densité significatives de l’espace considéré et à la fonction structurante qu’il joue à l’échelle de la micro-région ou de l’armature urbaine insulaire, et que, par ailleurs, un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l’espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l’organisation et le développement de la commune.

La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu 6 arrêts qui permettent d’apprécier la mise en œuvre de ce dispositif que le Blog avait déjà présenté.

1. La Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que si les précisions apportées par le PADDUC doivent être prises en compte pour apprécier la conformité d’un permis de construire à la loi Littoral, elles ne substituent pas à cette dernière qui demeure applicable. Ce principe étant rappelé, elle confirme l’annulation par le Tribunal administratif de Bastia d’un permis de construire au lieu-dit Arau Suttanu sur la commune de Zonza au motif qu’il se situe dans une zone d’urbanisation diffuse (CAA Marseille, 16 mai 2022, n° 20MA02928).

La parcelle n° AE 165 sur la commune de Zonza (carte interactive Geoportail)

2. La même Cour juge qu’un terrain qui se situe à proximité immédiate du rivage, dans une zone d’habitat épars, entrecoupé de terrrains laissés à l’état naturel et souvent boisés, qui s’étale de part et d’autre de la route territoriale T10. Si au Nord et à l’Ouest de la parcelle en cause se trouvent plusieurs constructions, dont des résidences de tourisme, ces constructions, qui sont bordées au Nord par plusieurs parcelles majoritairement laissées en l’état naturel et boisées et à l’Ouest par la route territoriale, ne forment pas un ensemble d’une densité telle qu’il puisse être considéré comme une agglomération ou un village au sens du PADDUC. La Cour ajoute qu’en outre, les parcelles de grande taille situées au Sud de la parcelle en cause, laquelle ne comporte aucune construction constituent une nette rupture d’urbanisation (CAA Marseille, 30 mai 2022, n° 20MA01899).

La parcelle AC 235 au lieu dit Ponteveccio sur la commune de Santa-Lucia-di-Moriani (carte interactive Geoportail)

3. Toujours en application de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme précisé par le PADDUC, la Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’un terrain environné de parcelles agricoles ou naturelles et isolée des zones résidentielles plus importantes par des parcelles non construites n’est pas en continuité d’une agglomération ou d’un village (CAA Marseille, 2 mai 2022, n° 21MA03534). Le permis d’aménager délivré par le maire de la commune de Corbara est annulé (voir le projet de lotissement).

La parcelle B 2033 au lieu dit Guagliola sur la commune de Corbara

4. C’est encore à propos des dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme précisées par le PADDUC que la Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’un espace qui comporte des constructions en nombre insuffisant ne peut pas être qualifié d’agglomération ou de village existant (CAA Marseille, 30 mai 2022, n° 20MA03480). La Cour administrative d’appel de Marseille ajoute que pour la mise en oeuvre de ces dispositions, l’extension de l’urbanisation est constituée par toute construction nouvelle et pas seulement par une expansion significative de l’urbanisation. La Cour réitère ici une précision qu’elle avait déjà apporté dans un arrêt du 8 février 2022 chroniqué par le Blog.

Le lieu dit Sarra di Poli sur la commune de Sari-Solenzara (les parcelles D 702 et 707 sont située à l’ouest)

5. Le 25 février 20219, le maire de Zonza avait délivré un permis de construire valant division pour l’édification de 5 villas sur la parcelle H n° 1428 au lieu dit Mangiaglia. Saisie par le Préfet de la Corse-du-Sud, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que l’espace dans lequel s’insère le terrain d’assiette du projet est caractérisé par l’implantation de façon diffuse de maisons individuelles et d’habitats à usage de loisirs et de tourisme, dont il n’apparaît pas qu’il présenterait un caractère stratégique pour l’organisation et le développement de la commune. Par suite, ce secteur ne saurait être regardé comme une agglomération au sens des mêmes dispositions du code de l’urbanisme au regard des précisions apportées par le PADDUC et ne présente pas davantage, compte tenu de sa trame et de sa morphologie, les caractéristiques d’un village au sens de ces dispositions (CAA Marseille, 16 mai 2022, n° 20MA02404, SARL hôtelière de Pinarello).

La parcelle H n° 1428 au lieu dit Mangiaglia sur la commune de Zonza

6. La dernière affaire concerne la commune de Porto-Vecchio. La Cour administrative d’appel de Marseille juge que si le secteur de Cala d’Oro dans lequel s’insère le terrain d’assiette du projet comporte un nombre significatif de constructions, celles-ci sont implantées de façon diffuse et il ressort des pièces du dossier que cet espace est caractérisé par l’implantation d’infrastructures touristiques et hôtelières et de résidences secondaires. Cet ensemble, qui est éloigné de plusieurs kilomètres du centre-ville de Porto-Vecchio, ne peut ainsi être regardé comme jouant un rôle structurant à l’échelle de la micro-région dans laquelle il est situé ni de l’armature urbaine insulaire. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, ce secteur ne saurait être regardé comme constituant une agglomération au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme tel que précisé par le PADDUC. L’ensemble de constructions évoqué ci-dessus n’apparaît pas davantage comme présentant une morphologie et une structuration ni des indices de vie sociale permettant de le regarder comme un village au sens de ces mêmes dispositions précisées par le PADDUC (CAA Marseille, 16 mai 2022, n° 20MA02580).

La parcelle AX 110, au lieu dit Cala d’Oro sur la commune de Porto-Vecchio

Agglomération et villages existants

1. Saisie de la légalité du refus d’un permis d’aménager un lotissement, la Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’un terrain situé à proximité de constructions éparses et de groupes de constructions n’est pas situé en continuité d’une agglomération ou d’un village (CAA Marseille, 2 mai 2022, n° 21MA01218).

Les parcelles A 706, 707 et 1051 au lieu-dit Suale, sur la commune de Figari (carte interactive Geoportail)

2. Pour sa part, la Cour administrative d’appel de Bordeaux annule le permis de construire délivré par le maire de Talais (commune riveraine d’un estuaire désignée par l’article R. 321-1 du code de l’environnement) au motif qu’il se situe dans une zone qui ne comporte que des constructions éparses et des zones boisées à l’écart des zones agglomérées de la commune ne respecte pas l’exigence de continuité avec une agglomération ou un village existant (CAA Bordeaux, 10 mai 2022, n° 19BX04973).

Le terrain situé au 302 pass de la Castillonaise sur la commune de Talais

3. Sans surprise, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que le lieu-dit Epaville de la commune des Pieux ne peut être qualifié d’agglomération et de village existant dès lors qu’il ne comporte que 25 constructions. La commune, qui avait délivré un certificat d’urbanisme positif ayant entraîné l’achat du terrain puis un permis de construire qui ne fut finalement pas exécuté avant de délivrer un certificat d’urbanisme négatif est condamnée à verser 33 992,10 euros en indemnisation du préjudice subi (CAA Nantes, 6 mai 2022, n° 20NT01551, Commune des Pieux).

Le lieu dit Epaville sur la commune des Pieux

4. C’est selon la même logique que la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le secteur de Bocca del Oro sur la commune de Porto-Vecchio constitue une zone d’urbanisation diffuse et non pas une agglomération ou un village existant. Pour avoir méconnu ce principe en délivrant un certificat d’urbanisme positif, la commune de Porto-Vecchio est condamnée à verser la somme de 722 085,78 euros aux acquéreurs du terrain (CAA Marseille, 2 mai 2022, n° 21MA00404). L’Etat qui, alors que la commune était dépourvue de document d’urbanisme, avait émis des avis conformes favorables à la délivrance de permis de construire dans le même lotissement est aussi jugé fautif. Il est dès lors condamné à garantir la moitié des condamnations de la commune.

La parcelle F 3007 au lieu du Bocca del Oro

(note : sur geoportail, la parcelle F 3007 est devenue CA 0101 avec un décalage du tracé)

Bande littorale de cent mètres

Dans un arrêt du 10 mai 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes rappelle que la continuité avec un espace caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions ne suffit pas à assurer la conformité d’un projet aux dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme qui interdit les constructions en dehors des espaces urbanisés. Il faut également s’assurer que le projet est bien situé à l’intérieur de cet espace (CAA Nantes, 10 mai 2022, n° 20NT02780). Le blog a commenté cet arrêt.

Espaces remarquables et caractéristiques

La protection des espaces remarquables et caractéristiques du littoral est organisée par les articles L. 121-23 à 26 et R. 121-4 à 6 du Code de l’urbanisme. Ces dispositions imposent aux documents d’urbanisme et aux décisions liées à l’occupation du sol de préserver les espaces terrestres et marins, remarquables et caractéristiques du patrimoine naturel ou culturel du littoral et nécessaires aux équilibres écologiques littoraux. L’article L.121-23 du Code de l’urbanisme énumère les espaces susceptibles d’être ainsi préservés. Cet inventaire a été complété par l’article R. 121-4 du Code de l’urbanisme dont la première version est issue du décret du 20 septembre 1989 qui a été modifié par le décret du 21 mai 2019.

La jurisprudence rappelle de manière régulière que l’existence d’une protection doit être prise en compte pour apprécier le caractère remarquable d’un espace. Cela a été jugé pour les parties naturelles des sites inscrits ou classés (CE, 29 juin 1998, n° 160256, Chouzenoux – CAA Douai, 28 mai 2015, n° 13DA01600, SARL Le pré du Loup), pour les ZNIEFF ou les zones Natura 2000 (CE, 3 sept. 2009, n° 306298, Commune de Canet-en-Roussillon).

Conformément à ces principes, la Cour administrative d’appel de Nantes confirme la légalité du classement en zone N au titre des espaces remarquables par le PLU d’Auray d’une prairie, demeurée entièrement à l’état naturel, plantée de haies et de boisements, pour partie classée en espaces boisés à protéger. Ce terrain est compris dans le site inscrit du Golfe du Morbihan ainsi que, pour partie, dans une zone de conservation Natura 2000, et jouxte l’estuaire de la rivière d’Auray. La Cour estime qu’il forme avec les parcelles naturelles voisines, également riveraines de la rivière d’Auray, une unité paysagère justifiant dans son ensemble la qualification de site remarquable caractéristique du patrimoine naturel du littoral à préserver (CAA Nantes, 24 mai 2022, n° 21NT00827).

La parcelle AN 378 sur la commune d’Auray (en jaune, le périmètre Natura 2000)

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