Un exemple d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage

par | Août 19, 2022 | Loi littoral | 0 commentaires

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Résumé : Le principe de l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage est posé par l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. Pour apprécier la légalité d’un projet de lotissement au regard de ces dispositions, la Cour administrative d’appel de Nantes vérifie si l’opération entraîne une extension de l’urbanisation (application de la jurisprudence « Soleil d’or » de 2005), cette qualification étant acquise, elle contrôle le caractère limité de cette extension de l’urbanisation en prenant en compte le SCOT comme l’y invite la jurisprudence « Confédération environnement Méditerranée » de 2020 (CAA Nantes, 5 juillet 2022, n° 20NT03435)

Par un arrêté du 15 octobre 2018, le maire de Plouhinec, dans le département du Morbihan, avait délivré un permis d’aménager un lotissement de 34 lots à bâtir et d’un macro-lot destiné à accueillir 8 logements sociaux sur un terrain situé rue de l’Aubépine, dans le quartier de Kervalay. Le Tribunal administratif de Rennes avait rejeté le recours tendant à l’annulation de cette décision par un jugement du 1er septembre 2020. Les requérants ont alors saisi la Cour administrative d’appel de Nantes.

Le terrain d’assiette du projet (parcelle 0047) – carte interactive geoportail

Parmi les nombreux moyens de légalité invoqués, les requérants soutenaient notamment que le projet n’était pas conforme au principe d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. La jurisprudence a défini les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions. Elles supposent plusieurs questions successives. Il faut tout d’abord vérifier si le terrain d’assiette du projet est situé en espace proche du rivage. Si c’est le cas, il faut s’assurer que le projet entraîne bien une extension de l’urbanisation et qu’il ne constitue pas qu’une simple opération de construction selon la distinction faite par la jurisprudence « Soleil d’or » et « commune de Lancieux ». Si tel est le cas, il faut ensuite déterminer si le projet entraîne une extension limitée de l’urbanisation. Enfin, il convient de s’assurer que le projet est conforme au SCOT ou justifié par le PLU ou, à défaut, que l’accord du préfet a été recueilli. Le Blog avait commenté un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon qui mettait en œuvre cette méthodologie.

Dans l’affaire soumise à la Cour administrative d’appel de Nantes, l’incorporation du terrain aux espaces proches du rivage ne faisait pas de doute compte tenu de sa proximité avec celui-ci (une partie du terrain est même dans la bande de cent mètres). La qualification d’extension de l’urbanisation puis le contrôle du caractère limité de celle-ci supposaient, en revanche, une analyse plus poussée.

Le projet entraîne une extension de l’urbanisation

Après quelques hésitations rappelées dans cet article, le Conseil d’Etat a jugé qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L.121-13 du Code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. La décision ajoute que la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi (CE, 7 février 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune de Menton). Le principe a été rappelé en 2007 par le Conseil d’État qui a jugé qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis, élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’État précise qu’il faut tenir compte de l’ensemble des caractéristiques du quartier et pas seulement de celles du compartiment de terrain dans lequel le projet se situe.

Si une opération en périphérie de l’espace bâti entraîne nécessairement une extension de l’urbanisation ce n’est pas toujours le cas lorsque l’opération se situe dans l’enveloppe bâtie. La frontière entre la simple opération de construction et l’extension de l’urbanisation est alors délicate à apprécier notamment lorsque l’opération prend place sur un terrain de taille significative comme c’est le cas en l’espèce. Dans un arrêt du 30 mars 2020, la Cour administrative d’appel de Nantes avait par exemple jugé qu’un lotissement d’une quarantaine de lots pour une surface bâtie de 9700 mètres carrés sur un terrain de 18 975 mètres carrés situé dans un quartier pavillonnaire n’entraînait pas une extension de l’urbanisation (CAA Nantes, 30 mars 2020, Association Erquy environnement, req. n° 19NT01840). Cette décision a récemment été confirmée par le Conseil d’Etat (CE, 1er juin 2022, n° 440917, Association Erquy Environnement).

Cette fois, la Cour administrative d’appel de Nantes semble plus sévère. Alors que l’environnement bâti (pavillonnaire), la superficie du terrain (20 000 mètres carrés), la surface de plancher (9715 mètres carrés) et le nombre de lots (34 et un macro-lot) sont proches de ceux de l’affaire qui vient d’être rappelée, elle considère que le projet entraîne une extension de l’urbanisation :

« Le projet en litige porte sur la réalisation d’un lotissement de quarante-deux logements pour une surface de plancher totale de 9 715 m² sur un terrain de près de 2 hectares, longé au nord et au sud par deux autres lotissements. Eu égard à l’importance et à la nature de l’opération, qui prévoit une forte densité de constructions, ce projet, qui renforce de manière significative l’urbanisation du quartier de Kervarlay, ne peut être regardé comme une simple opération de construction, mais constitue une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme ».

Implantation du lotissement « les jardins de la Ria » – sources geoportail et ADIL 56 – réalisation Blog loi Littoral

La prise en compte du SCOT pour apprécier l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage

Le projet de lotissement constituant une extension de l’urbanisation, la Cour administrative d’appel de Nantes va alors vérifier son caractère limité. Jusqu’en 2020, la jurisprudence considérait qu’une opération d’urbanisation présentait un caractère limité dès lors qu’elle ne modifiait pas de manière significative les caractéristiques du bâti avoisinant. Cette appréciation du caractère limité d’une extension de l’urbanisation devait être réalisée en fonction des caractéristiques du quartier, mais pas à l’échelle du territoire couvert par le PLU (CE, 11 avril 2018, Commune d’Annecy, req. n° 399094).

Si ces principes demeurent, le Conseil d’Etat leur a apporté une inflexion significative en jugeant que lorsqu’un SCOT ou un des autres schémas mentionnés par les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dans l’espace proche du rivage dans lequel l’opération est envisagée, le caractère limité de l’urbanisation qui résulte de cette opération s’apprécie en tenant compte de ces dispositions du schéma concerné (CE, 11 mars 2020, Confédération Environnement Méditerranée, req. n° 419861). Cet arrêt très important avait été commenté par le Blog.

En l’espèce, la commune de Plouhinec est couverte par le SCOT du Pays de Lorient dont le document d’orientation et d’objectif (DOO) comporte des dispositions pour mettre en œuvre le principe d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage :

DOO du SCOT du Pays de Lorient, page 99

Pour la Cour administrative d’appel de Nantes, ces dispositions qui sont à la fois compatibles avec la loi Littoral et suffisamment précises doivent être prises en compte pour s’assurer de la conformité du projet aux dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme :

« Il ressort des pièces du dossier que le projet en litige se situe dans le quartier de Kervarlay, dans un secteur comprenant plus de 250 constructions implantées de manière dense de part et d’autre de la rue du Pont Lorois, axe routier structurant traversant le quartier et permettant de se rendre au centre-bourg de Plouhinec distant d’environ 4 kilomètres. Le projet s’insère dans un vaste secteur déjà urbanisé et respecte les proportions des constructions existantes. En outre, la parcelle d’assiette du projet est séparée à l’est d’un espace naturel, s’étendant jusqu’au rivage de la Ria d’Etel et comportant quelques constructions isolées, par la rue de l’Aubépine, laquelle dessert d’autres lotissements présentant une densité de constructions moindre mais significative. Par suite le projet en litige constitue, au regard des prescriptions du document d’orientations et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale du Pays de Lorient, une extension de l’urbanisation qui présente un caractère limité ».

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes est intéressant car il applique les principes posés par la jurisprudence « Soleil d’or » et « commune de Lancieux » et qu’il met en œuvre la jurisprudence de mars 2020 qui confère au SCOT un rôle clé dans la définition de l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. La décision montre que la nuance entre l’opération de construction et l’extension de l’urbanisation peut être subtile. Par prudence, il vaut mieux considérer que toute opération sur un terrain qui dépasse la simple dent creuse dans le tissu urbain entraîne une extension de l’urbanisation. L’arrêt illustre aussi le rôle du SCOT dans la définition de l’extension limitée de l’urbanisation. Dès lors qu’un projet d’urbanisation présente une certaine importance, il est utile de le prévoir dans le SCOT afin de bénéficier de l’effet de prisme que lui reconnaît la jurisprudence.

Sources des illustrations : Geoportail – ADIL 22 – Google Earth

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