Résumé : L’article L. 121-13 du code de l’urbanisme dispose que dans les espaces proches du rivage, l’extension de l’urbanisation doit être limitée. La Cour administrative d’appel de Toulouse juge que la construction d’un hôtel de 105 chambres et d’une résidence de 81 logements dans un quartier du front de mer de la commune du Barcares qui comporte déjà de vastes ensembles immobiliers est une extension limitée de l’urbanisation (CAA Toulouse, 16 février 2023, n° 21TL02109, Syndicat des copropriétaires de la résidence Estany).
Par deux arrêtés du 21 octobre 2019, le maire du Barcares avait autorisé la construction d’un établissement hôtelier de 105 chambres et d’une résidence de 81 logements à quelques dizaines de mètres du paquebot ensablé le « Lydia ». Saisi par les propriétaires d’une résidence voisine, le Tribunal administratif de Montpellier avait rejeté la requête par un jugement du 30 mars 2021. L’appel initialement formé devant la Cour administrative d’appel de Marseille avait été transféré à la toute nouvelle Cour administrative d’appel de Toulouse.
Le terrain d’assiette du projet, dans l’axe de la proue du « Lydia » (carte interactive Géoportail)
Le terrain est classé en zone UBf2 du PLU du Barcares.
L’unique moyen tiré de la loi Littoral est fondé sur la méconnaissance des dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme aux termes duquel dans les espaces proches du rivage, l’extension de l’urbanisation doit être limitée. La mise en œuvre de ces dispositions est souvent commentée dans le Blog. La jurisprudence en la matière avait notamment été rappelée dans cet article.
Le terrain d’assiette du projet est en espace proche du rivage
Le Conseil d’État a rappelé que pour déterminer si une zone peut être qualifiée d’espace proche du rivage, trois critères doivent être pris en compte : la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la co-visibilité entre cette zone et le plan d’eau (CE, 3 juin 2009, n° 310587, Commune de Rognac). Dès lors que des terrains sont situés à proximité immédiate de la mer, ils sont qualifiés de proches du rivage par la jurisprudence. C’est donc de manière évidente qu’un terrain situé à 160 mètres du rivage, en situation de co-visibilité avec la mer dont il est séparé par des terrains dépourvus de constructions, constitue un espace proche du rivage (CAA Nantes, 16 novembre 2012, n° 11NT02535). C’est aussi le cas d’un terrain situé à 400 mètres en arrière de la plage de Pampelonne (CAA Marseille, 16 mai 2012, n° 10MA02928, SCI Geromar).
En l’espèce, le terrain d’assiette du projet étant situé à une distance comprise entre 100 et 200 mètres du rivage, la qualification d’espace proche ne faisait aucun doute. Cette première question est d’ailleurs rapidement évacuée par la Cour administrative de Toulouse qui se borne a rappeler que le terrain d’assiette du projet est un espace proche du rivage.
Le projet entraîne une extension de l’urbanisation
Toute construction dans les espaces proches du rivage n’entraîne pas nécessairement une extension de l’urbanisation. Pour que cette qualification soit acquise, le Conseil d’État juge qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis, élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’État précise qu’il faut tenir compte de l’ensemble des caractéristiques du quartier et pas seulement de celles du compartiment de terrain dans lequel le projet se situe. Si une opération répond à cette définition, elle entraîne une extension de l’urbanisation. Sinon, il s’agit d’une simple opération de construction qui n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme.
Ainsi l’édification d’un immeuble de 5 étages, après démolition d’une construction existante, sur une parcelle entourée sur trois de ses côtés d’immeubles de quatre à huit étages, ne constitue pas une extension de l’urbanisation (CE, 9 juin 2004, req n° 262689, Commune de Roquebrune-Cap-martin). A l’inverse, le projet qui consiste à édifier cinq bâtiments collectifs et quinze maisons individuelles, représentant un total de 108 logements et une surface hors œuvre nette de 6 855 m2, sur un terrain d’environ 15 000 m2 conduit à étendre et à renforcer de manière significative l’urbanisation du secteur et doit donc être regardé comme entraînant une extension de l’urbanisation (CAA Douai, 1er févr. 2018, req. n° 16DA00364, Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer). Le blog a régulièrement commenté des décisions portant sur cette distinction.
Pour la Cour administrative d’appel de Toulouse, les projets autorisés par le maire du Barcares entraînent une extension de l’urbanisation :
« le terrain d’assiette des projets en litige est situé en zone UBf2, qualifiée de dent creuse à urbaniser dans le rapport de présentation du plan local d’urbanisme. Les opérations projetées, d’une surface totale de plancher de 8 300 mètres carrés, consistent en l’édification d’un établissement hôtelier de 105 chambres, en R+4 et d’un immeuble de 81 logements en R+4. Si le terrain d’assiette du projet étant bordé à l’ouest et au sud par des constructions à usage d’habitation et à vocation touristique, les parcelles situées au nord ne comprennent aucune construction, à l’exception du paquebot le Lydia situé au nord-est. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société pétitionnaire en défense, les projets ne sauraient être regardés comme de simples opérations de construction au sens des dispositions de l’article L. 123-1 du code de l’urbanisme ».
Vue sur le terrain d’assiette du projet et son environnement (image interactive Google – utilisez la souris pour zoomer et vous déplacer)
L’extension de l’urbanisation présente un caractère limité
En tant que telle, une extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage n’est pas interdite mais il faut toutefois qu’elle présente un caractère limité. De manière constante, la jurisprudence considère qu’une extension de l’urbanisation est limitée dès lors qu’elle ne modifie pas de manière significative les caractéristiques du bâti avoisinant. Cette appréciation doit être réalisée en fonction des caractéristiques du quartier mais pas à l’échelle du territoire couvert par le PLU (CE, 11 avril 2018, Commune d’Annecy, req. n° 399094).
Conformément à ce principe, un projet de 108 logements bordé par des terrains comportant des constructions présentant un gabarit comparable et qui, compte tenu de la topographie, ne renforce pas l’impression de densité, sera regardé comme une extension limitée de l’urbanisation (CAA Douai, 1er févr. 2018, Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, req. n° 16DA00364). Ce sera aussi le cas de la construction d’un immeuble de 20 appartements en continuité d’un espace caractérisé par une forte densité bâtie et à proximité d’immeubles aux caractéristiques comparables (CAA Douai, 23 nov. 2017, Association Hardelot Opale Environnement, req. n° 16DA00232).
À l’inverse, dès lors que les caractéristiques d’un projet s’écartent de celles de l’environnement bâti, l’extension ne sera plus jugée limitée. Par exemple, une opération qui consiste à créer 103 logements, un hôtel de 29 chambres et un restaurant, dans trois bâtiments comprenant quatre niveaux d’habitation, ne s’inscrit pas dans la continuité des constructions de taille modeste qui existent sur les parcelles voisines. Elle ne respecte donc pas l’article L. 121-13 du Code de l’urbanisme (CAA Douai, 26 nov. 2009, Commune de Cayeux-sur-Mer, req. n° 08DA00447).
Début 2020, le Conseil d’Etat a complété cette jurisprudence en jugeant que lorsqu’un SCOT comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dans l’espace proche du rivage dans lequel l’opération est envisagée, le caractère limité de l’urbanisation qui résulte de cette opération s’apprécie en tenant compte de ces dispositions du schéma concerné (CE, 11 mars 2020, n° 419861, Confédération environnement Méditerranée). Le Blog avait commenté cet arrêt important. C’est dans ce contexte jurisprudentiel encore récent que la Cour Administrative d’appel de Toulouse devait apprécier le caractère limité de l’extension de l’urbanisation générée par le projet.
Si le projet de construction est important (105 chambres et 81 logements sur 4 étages), il s’insère dans un environnement bâti comportant des immeubles de dimension significative. A quelques dizaines de mètres à l’ouest, deux immeubles de 6 et 7 étages ont été érigés. Au nord, au delà du paquebot « Lydia », un vaste ensemble immobilier de 7 étages domine la plage. De ce point de vue, l’analyse de la Cour qui admet que le projet ne génère qu’une extension limitée de l’urbanisation n’est pas surprenante car le gabarit de l’immeuble autorisé par le maire du Barcares est comparable voire inférieur à celui des immeubles voisins.
La Cour se conforme également au principe dégagé par le Conseil d’Etat en prenant en compte le SCOT de la plaine du Roussillon qui comporte des dispositions relatives à l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage :
Elle relève ainsi que le paragraphe A.6.4 du document d’orientation et d’objectif (DOO) du SCOT prescrit de limiter l’édification d’immeubles collectifs en front de mer mais elle estime toutefois que ces dispositions n’ont pas pour effet d’interdire toute construction. La lecture littérale du DOO n’est pas contestable mais le paragraphe A.6.3 mettait ce principe en perspective en rappelant que les espaces proches du rivage doivent être protégés en limitant les extensions urbaines et en favorisant un développement de l’urbain en profondeur (c’est-à-dire à l’arrière des quartiers existants, plutôt qu’en front de mer). La Cour fait donc preuve d’une certaine souplesse dans la prise en compte du SCOT mais il faut reconnaître que ce dernier, en se contentant de prescrire de « limiter » les constructions en front de mer et de « favoriser » le développement en profondeur n’est pas particulièrement contraignant.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse peut surprendre de prime abord en validant une opération importante en front de mer dans un contexte de sensibilité enfin accrue aux questions de recul du trait de côte et de submersion marine. Du point de vue de l’application des règles relatives à l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage, l’arrêt n’encourt toutefois pas de critiques majeures. L’opération s’inscrit dans un secteur très urbanisé qui est la conséquence des choix d’aménagement du littoral faits dans les années 60 à une époque où la priorité était de permettre l’accès aux vacances en bord de mer au plus grand nombre. La décision de la Cour administrative d’appel de Toulouse aurait peut-être été autre si le SCOT avait été plus prescriptif sur la maîtrise des opérations immobilières en front de mer.