Résumé : Il y a peu de décisions sur la loi Littoral au mois de mai 2023. Le Blog loi Littoral a toutefois repéré quelques arrêts intéressants sur la notion d’agglomération ou de village mais aussi sur le rôle du SCOT dans la mise en œuvre de la loi Littoral.
Agglomérations, villages et secteurs déjà urbanisés
Notion d’agglomération et de village existant – prise en compte du SCOT – L’arrêt commune de Landéda (CE, 9 juillet 2021, n° 445118, Commune de Landéda) a rappelé que la conformité des décisions liées à l’usage du sol à la loi Littoral devait être appréciée en tenant compte des précisions apportées par le SCOT. Cette jurisprudence ne remet toutefois pas en cause l’application directe de la loi Littoral aux décisions liées à l’usage du sol qui est rappelée de manière constante par la jurisprudence (CE, 29 juillet 1994, n° 85532, Commune de Frontignan – CE, 31 mars 2017, n° 392186, SARL Savoie Investissement – CE, 31 mars 2017, n° 396938) . Les juridictions apprécient donc la qualité d’agglomération ou de village en appliquant à la fois les critères jurisprudentiels dégagés par l’arrêt commune de Porto-Vecchio et les dispositions du SCOT.
Il convient de noter que ce raisonnement s’applique tant aux SCOT approuvés après la loi ELAN (LOI n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) qu’à ceux qui lui sont antérieurs pour autant naturellement qu’ils comportent des dispositions contribuant à la mise en œuvre de la loi Littoral. Cette application dans le temps avait été rappelée par le rapporteur public Nicolas Agnoux dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 avril 2023 (rapporté dans la chronique d’avril 2023) :
« Nous touchons ici à une première question inédite, portant sur l’application dans le temps des principes dégagés par votre décision du 9 juillet 2021 : y a-t-il lieu de faire jouer leur rôle de filtre aux seuls SCoT approuvés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ou bien également aux SCoT plus anciens lorsqu’ils comprennent déjà, comme en l’espèce, les dispositions utiles ? Nous pensons que la seconde option s’impose, à défaut de disposition législative contraire, en vertu du principe général selon lequel la légalité d’une autorisation d’urbanisme s’apprécie au jour de sa délivrance ».
Nicolas Agnoux, Conclusions sur CE, 22 avril 2023, n° 456788 (https://www.conseil-etat.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/rechercher-une-decision-arianeweb)
Conformément à ce principe, la Cour administrative d’appel de Nantes considère que le lieu-dit Kerpape, sur la commune de Larmor-Plage comporte un nombre et une densité suffisants de constructions pour être regardé comme un village. La Cour relève que ce secteur comporte une quarantaine de maisons individuelle et se situe à proximité immédiate de plusieurs équipements publics ou privés. La Cour relève également que ce secteur est qualifié de village par le SCOT du pays de Lorient approuvé le 16 mai 2018 (CAA Nantes, 30 mai 2023, n° 22NT02352, Commune de Larmor-Plage).
Plan de masse du projet et vue aérienne plus large du site de Kerpape (sources : Lorient Agglo et Géoportail)
Notion d’agglomération et de village existant – La Cour administrative d’appel de Nantes juge que le lieu-dit « Bel Air » sur la commune de Lanester est une zone d’urbanisation diffuse. Ce secteur est situé à plusieurs kilomètres du centre-ville dont il est séparé par des espaces naturels et agricoles. La Cour relève que les constructions sont implantées sur de grandes parcelles sans densité significative (CAA Nantes, 30 mai 2023, n° 21NT02314). C’est donc à juste titre que le maire de Lanester s’est opposé à la déclaration préalable en vue de créer un lotissement de 3 lots.
La parcelle ZB n° 39 au sud de l’allée des écureuils sur la commune de Lanester (carte interactive géoportail)
Appréciation de la continuité avec une agglomération ou un village – La Cour administrative d’appel de Marseille rappelle que l’appréciation de la continuité avec une agglomération ou un village existant suppose de resituer le terrain d’assiette du projet dans l’ensemble de son environnement sans s’en tenir aux constructions situées sur les seules parcelles limitrophes de ce terrain. Cette formule est reprise de manière régulière par les juridictions depuis la décision du Conseil d’Etat « Office 64 de l’habitat » (CE, 22 avril 2022, n° 450229, Office 64 de l’habitat). Cet arrêt avait été commenté sur le Blog loi Littoral. L’appréciation de la continuité suppose donc de vérifier si les parcelles immédiatement voisines d’un projet sont bâties, puis, d’élargir l’approche pour s’assurer que ces constructions font elles-mêmes partie d’un ensemble comportant un nombre et une densité significatifs de constructions (CAA Marseille, 25 mai 2023, n° 21MA02047).
La Cour administrative d’appel de Nantes applique ce raisonnement pour juger qu’un projet de construction destiné à relier quatre abris de jardins afin de créer une annexe ne respecte pas l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. La Cour relève que bien que le projet se situe à 500 mètres de la mairie et que des maisons d’habitations longent la route en direction du bourg, il en est séparé par un espace naturel en partie arboré (CAA Nantes, 30 mai 2023, n° 21NT00154).
La parcelle 0272 sur la commune de Trélevern (carte interactive géoportail)
Espaces proches du rivage
Notion d’extension limitée de l’urbanisation – Jusqu’en 2020, la jurisprudence considérait qu’une opération d’urbanisation présentait un caractère limité dès lors qu’elle ne modifiait pas de manière significative les caractéristiques du bâti avoisinant. Cette appréciation du caractère limité d’une extension de l’urbanisation devait être réalisée en fonction des caractéristiques du quartier, mais pas à l’échelle du territoire couvert par le PLU (CE, 11 avril 2018, Commune d’Annecy, req. n° 399094). Ainsi, la construction d’un immeuble de 20 appartements en continuité d’un espace caractérisé par une forte densité bâtie et à proximité d’immeubles aux caractéristiques comparables est jugée comme entraînant une extension limitée de l’urbanisation (CAA Douai, 23 nov. 2017, Association Hardelot Opale Environnement, req. n° 16DA00232).
En 2020, le Conseil d’Etat a complété sa jurisprudence en jugeant que lorsqu’un SCOT comporte des dispositions suffisamment précises et compatibles avec ces dispositions législatives qui précisent les conditions de l’extension de l’urbanisation dans l’espace proche du rivage dans lequel l’opération est envisagée, le caractère limité de l’urbanisation qui résulte de cette opération s’apprécie en tenant compte des dispositions du schéma concerné (CE, 11 mars 2020, Confédération Environnement Méditerranée, req. n° 419861). Cet arrêt avait été commenté par le Blog.
Ces principes sont mobilisés par la Cour administrative d’appel de Nantes pour juger qu’un projet d’hôtel de 130 chambres et un centre de thalassothérapie au lieu-dit Kerpape sur la commune de Larmor-Plage respecte le principe d’extension limitée de l’urbanisation.
La Cour va tout d’abord vérifier que le projet entraîne une densité comparable à celle du quartier dans lequel il s’insère. Elle relève qu’il est en continuité immédiate d’un espace urbanisé, composé de maisons d’habitation et de plusieurs équipements publics ou privés, qui présente un nombre et une densité significatifs de constructions. L’espace au sein duquel se situent les terrains d’assiette du projet comporte plusieurs immeubles, dont un centre nautique, une résidence de loisirs, un établissement de soins, un hôpital cardiologique et un centre de vacances des armées, d’un gabarit important.
La Cour analyse ensuite le SCOT du Pays de Lorient dont le document d’orientation et d’objectif comporte des dispositions relatives à la mise en œuvre de la règle de l’extension limitée dans les espaces proches :
DOO du SCOT du Pays de Lorient p. 99 (https://www.scot-lorient.fr)
Le SCOT du pays de Lorient retient une logique inspirée de la directive territoriale d’aménagement (DTA) des Alpes-Maritimes dont la mise en œuvre de la notion d’extension de l’urbanisation avait été validée par le Conseil d’Etat dans une affaire « Comité de sauvegarde de Port-Vauban » en 2005 (CE, 27 juillet 2005, n° 264336). Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat avait admis que la notion d’extension limitée de l’urbanisation mise en oeuvre dans la DTA ne devait pas être appréciée projet par projet comme c’est le cas dans un PLU mais à l’échelle du territoire couvert par la directive. Cette logique permet à la DTA des Alpes-Maritimes de distinguer des espaces neutres dans lesquels les nouveaux projet doivent respecter la proportion du bâti voisin (ce qui correspond à la définition habituelle de l’extension limitée), des espaces sensibles dans lesquels les nouveaux projets sont réduits et des espaces enjeux dans lesquels des opérations plus importantes sont admises.
La jurisprudence a étendu cette grille de lecture aux SCOT et rappelle que la « compatibilité du SCOT avec les articles L. 146-1 [devenu L 121-1] et suivants du Code de l’urbanisme, doit s’apprécier à l’échelle du territoire qu’il couvre et compte tenu de l’ensemble de ses orientations et prescriptions (et) que cette appréciation ne peut conduire à examiner isolément les orientations arrêtées en ce qui concerne tel ou tel point du territoire couvert, au regard des dispositions législatives de protection du littoral » (CAA Marseille, 23 juill. 2014, Association Union Régionale Vie et Nature, req. n° 12MA00268). Cette formule est reprise par la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 1er déc. 2016, SARL Dumas Henri Participations, req. n° 14BX03282 – CAA Bordeaux, 28 déc. 2017, Confédération pour les entrepreneurs et la préservation du pays du bassin d’Arcachon, req. n° 15BX02851).
Le SCOT du Pays de Lorient tire parti de ce dispositif en permettant des opérations plus importantes dans certains secteurs et en rappelant que la notion d’extension de l’urbanisation s’apprécie à l’échelle du SCOT.
Tant l’environnement bâti que les dispositions du SCOT sont pris en compte par la Cour administrative d’appel de Nantes pour juger qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet présenterait une densité plus élevée que celle de l’espace proche dans lequel il s’insère. Dès lors, l’extension de l’urbanisation qui résulte de l’opération projetée doit être regardée comme présentant un caractère limité, notamment en tenant compte des dispositions du SCOT du Pays de Lorient, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elles seraient incompatibles avec les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme (CAA Nantes, 30 mai 2023, n° 22NT02352, Commune de Larmor-Plage).