Chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de juin 2023

par | Juil 27, 2023 | Chronique Jurisprudence, Loi littoral, Publication | 0 commentaires

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Résumé : à noter ce mois-ci, un intéressant arrêt du Conseil d’Etat qui précise les critères d’appréciation de l’agglomération ou du village existant au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Le Blog loi Littoral a également relevé deux arrêts sur la prise en compte du SCOT dont l’un qui fait application d’un SCOT antérieur à la loi ELAN. A lire également, une décision de la CAA de Toulouse sur les critères de l’espace proche du rivage et une décision de la CAA de Bordeaux sur les espaces remarquables.

Loi Littoral et PADDUC

Le Blog loi Littoral avait fait le point sur le rôle du PADDUC dans la mise en oeuvre de la loi Littoral. Dans ce contexte, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le lieu-dit Campo Laninco qui se situe à plusieurs centaines de mètres du centre du village de Calenzana, dans un secteur caractérisé par la présence de vastes espaces naturels et de quelques habitations éparses, ne saurait être regardé comme constituant un village ou une agglomération (CAA Marseille, n° 21MA03630, Commune de Calenzana). Le permis d’aménager un lotissement de 8 lots délivré par le maire est donc annulé. Par un second arrêt, la Cour annule l’autorisation délivrée par le maire de la même commune sur un terrain juste au nord du précédent pour 29 logements et 46 places de stationnement (CAA Marseille, 21MA03631, Commune de Calenzana).

Les parcelles K n° 165, 168 et 740 au lieu-dit Campo Laninco sur la commune de Calenzana (carte interactive Géoportail – Utilisez la souris ou les touches « + » ou « – » en haut à gauche de l’image pour zoomer et vous déplacer)

Agglomérations, village et secteurs déjà urbanisés

Notion d’agglomération et de village – critères d’appréciation – Par un arrêt du 28 octobre 2021, la Cour administrative d’appel de Marseille avait annulé le permis de construire délivré par le maire de Roquebrune-sur-Argens à la société Bouygues Immobilier pour un ensemble de quarante-six logements. La Cour avait estimé que le secteur du Perrussier procédait d’un lotissement et ne pouvait donc pas constituer une agglomération ou un village existant au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.

Le secteur du Perrussier sur la commune de Roquebrune-sur-Argens (carte interactive Géoportail)

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille faisait écho à une décision rendue le 3 juillet 1996 par le Conseil d’Etat qui avait estimé qu’alors même « que l’urbanisation autorisée par le plan d’aménagement de zone pourrait être regardée comme se situant en continuité avec le lotissement dit « des hameaux du basilic et du romarin », ce lotissement ne constitue, contrairement à ce que soutient la société requérante, ni une agglomération ni un village » (CE, 3 juillet 1996, n° 137623, SCI Mandelieu Maure-Vieil). Cet arrêt avait parfois été compris comme signifiant que, par principe, une urbanisation réalisée sous forme de lotissement ne pouvait pas constituer une agglomération ou un village.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille et rappelle que la nature de l’opération foncière ayant présidé à la création d’un secteur est sans incidence pour apprécier s’il constitue une agglomération ou un village existant au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Un projet de construction situé en continuité avec un secteur urbanisé issu d’une opération de lotissement peut, ainsi, être autorisé si le nombre et la densité des constructions de ce lotissement sont suffisamment significatifs pour qu’il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l’article L. 121-8 (CE, 12 juin 2023, n° 459918, société Bouygues Immobilier). L’arrêt précise également que la Cour administrative d’appel de Marseille ne pouvait pas non plus prendre en considération l’éloignement de ce secteur par rapport au centre historique de la commune. L’arrêt est intéressant car il rappelle que seuls le nombre et la densité de constructions constituent des critères pertinents. Dès lors qu’un espace présente de telles qualités, son éloignement du centre historique ou le fait que les constructions qui le constituent soient issues de lotissements est sans incidence.

Notion d’agglomération et de village – prise en compte du SCOT – Le SCOT du pays de Lorient identifie les agglomérations et les villages existants par une liste et sur une carte du DOO. Il prévoit que « Les PLU (ou document en tenant lieu) organisent l’extension de l’urbanisation en continuité des agglomérations et villages. Les PLU (ou document en tenant lieu) apprécient à leur échelle, les limites externes des agglomérations et villages (…) ».

Extrait du DOO du SCOT du pays de Lorient (en gris les agglomérations et villages)

La Cour administrative d’appel de Nantes juge que le lieu-dit  » Saint-Bieuzy « , qui s’inscrit dans le prolongement du lieu-dit « Le Rhun », sur le territoire de la commune de Ploemeur comporte environ cent cinquante constructions organisées de manière dense autour d’une même voie de circulation. Cette zone forme ainsi un ensemble urbanisé et cohérent caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions. La circonstance le SCOT du Pays de Lorient n’identifie pas le secteur englobant les lieux-dits « Saint-Bieuzy », et « Le Rhun » comme un village ou une agglomération n’est pas de nature à établir qu’il ne formerait pas un ensemble urbanisé, compte tenu notamment des autres dispositions du schéma de cohérence territoriale déterminant les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés ainsi que de la latitude laissée par ce document aux auteurs des plans locaux d’urbanisme pour apprécier les limites externes des agglomérations et villages (CAA Nantes, 13 juin 2023, n° 22NT02452). Le refus de permis de construire opposé par le maire de Ploemeur est donc annulé.

Les parcelles DW n° 162, 163, 165 et 166 situées à la pointe sud du lieu-dit Saint-Bieuzy (carte interactive Géoportail)

Secteur déjà urbanisé – SCOT antérieur à la loi ELAN – Le SCOT de la Pointe du Médoc approuvé le 7 octobre 2010 n’intègre pas la loi ELAN du 23 novembre 2018 et il n’identifie donc pas de secteurs déjà urbanisés au sens du second alinéa de l’article L. 121-8 code de l’urbanisme. Comme de nombreux SCOT de cette période, il localise en revanche les agglomérations et les villages existants. Le DOG du SCOT identifie également des hameaux dont la densification est possible. A cette date, cette disposition était illégale sauf à ce que les hameaux en cause soient assez importants pour pouvoir être qualifiés de village ou d’agglomération au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Ce choix a probablement été fait à une époque où la jurisprudence considérait qu’une construction dans un espace urbanisé n’avait pas pour effet d’étendre l’urbanisation ce qui permettait de densifier les hameaux à défaut de pouvoir les étendre.

DOG du SCOT de la pointe du Médoc

La parcelle AZ n° 103 au lieu-dit lilhan sur la commune de Soulac-Sur-Mer (carte interactive Géoportail)

Pour la Cour administrative d’appel de Bordeaux, « au regard des caractéristiques du secteur, qui présente des constructions à usage d’habitation, agricole ou de tourisme d’une certaine densité, qui est desservi par des routes, et qui bénéficie d’équipements collectifs, le schéma de cohérence territoriale de la Pointe du Médoc doit être regardé comme identifiant ainsi un secteur déjà urbanisé au sens du deuxième alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Ainsi, dès lors que le terrain d’assiette du projet se situe dans un secteur déjà urbanisé identifié par le schéma de cohérence territoriale et qu’il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, entouré au nord et au sud d’habitations pavillonnaires, et à l’ouest de bâtiments agricoles, n’étendra pas le périmètre bâti, c’est sans méconnaître l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme que le maire de Soulac-Sur-Mer a délivré le certificat d’urbanisme litigieux » (CAA Bordeaux, 27 juin 2023, n° 21BX03410, Commune de Soulac-sur-Mer). Par un arrêt du même jour, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé pour les mêmes motifs la décision d’opposition à déclaration préalable pour le détachement d’un lot à bâtir sur le même terrain (CAA Bordeaux, 27 juin 2023, n° 21BX03421, Commune de Soulac-sur-Mer).

L’arrêt est intéressant car il confirme que les SCOT antérieurs à la loi ELAN doivent être pris en compte pour appliquer la loi Littoral. Il précise également, ce qui n’allait pas de soi, que la localisation d’un espace urbanisé par un SCOT peut valoir localisation de secteur déjà urbanisé même si cet espace n’est pas, et pour cause, qualifié de cette manière. Il faut naturellement que cet espace réponde aux critères du secteur déjà urbanisé.

Espaces proches du rivage

Espaces proches du rivage – critères de délimitation – Le Conseil d’État a rappelé que pour déterminer si une zone peut être qualifiée d’espace proche du rivage, trois critères doivent être pris en compte : la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la co-visibilité entre cette zone et le plan d’eau (CE, 3 juin 2009, n° 310587, Commune de Rognac). La Cour administrative d’appel de Toulouse était saisie d’une demande d’annulation de la délibération du conseil municipal de Gruissan approuvant la modification de son PLU. L’association requérante critiquait notamment la délimitation des espaces poches du rivage.

La Cour valide tout d’abord le recours à un procédé technique pour mettre en oeuvre le critère de co-visibilité. Le bureau d’études s’est fondé sur une modélisation informatique déterminant les sites vus depuis les rivages, les vues sur la mer et les étangs depuis la terre, et identifiant, d’une part, des vues sur le rivage depuis la terre à partir d’un œil virtuel situé à une hauteur de 1,50 mètre par diffusion d’un échantillon de rayons en deux dimensions et, d’autre part, des vues depuis la mer et les étangs, à partir d’un échantillon de 10 000 rayons envoyés en trois dimensions depuis un œil virtuel à la manière d’un scanner. Pour la Cour, cette méthode de modélisation, qui rend compte de façon suffisamment précise de la perception visuelle par un observateur de la covisibilité et dont les autres données objectives ne sont pas critiquées, n’est pas entachée d’inexactitude ou d’incohérence.

La Cour vérifie ensuite la mise en oeuvre des critères de délimitation. Elle relève que dans le secteur de la Sagne, la limite de l’espace proche du rivage est fixée à 400 mètres de l’étang de Gruissan en raison de la covisibilité avec l’étang. Au-delà de cette limite, l’espace est imperceptible depuis les étangs. L’espace proche du rivage n’avait donc pas à être étendu. La Cour précise également que l’étang de Pech Maynaud, qui est un étang artificialisé qui n’est pas en communication directe, naturelle et permanente avec la mer n’a pas à être pris en compte (CAA Toulouse, 15 juin 2023, n° 20TL0569, Association S.A.G.N.E).

Délimitation des espaces proches du rivage (en trait bleu) (Source : Geoportail de l’urbanisme)

Bande de cent mètres

Notion d’espace urbanisé – La Cour administrative d’appel de Nantes juge que lieu-dit Tourony sur la commune de Trégastel comprend plus de 70 constructions, largement réparties de manière dense autour de la rue de Tourony, du chemin Quo Vadis et de la chaussée du port présente un nombre et une densité significatifs de constructions et constitue ainsi un espace urbanisé (CAA Nantes, 13 juin 2023, n° 21NT02172, Commune de Trégastel). La Cour relève en outre que le projet qui a fait l’objet d’un refus de permis de construire est situé dans l’emprise des constructions existantes. Le refus de permis de construire et la décision d’opposition à la déclaration préalable de travaux déposée un peu plus tard pour effectuer des travaux comparables, mais de moindre envergure que ceux envisagés dans la demande de permis de construire sont par conséquent annulés.

Les parcelles BA n° 103, 104 et 105 au lieu-dit Touriny sur la commune de Tregastel (carte interactive géoportail)

Espaces remarquables et caractéristiques

Notion d’espace remarquable – site inscrit – La jurisprudence rappelle de manière constante que l’existence d’une protection doit être prise en compte pour apprécier le caractère remarquable d’un espace. Cela a été jugé pour les parties naturelles des sites inscrits ou classés qui doivent être présumées constituer un espace remarquable (CE, 29 juin 1998, n° 160256, Chouzenoux – CAA Douai, 28 mai 2015, n° 13DA01600, SARL Le pré du Loup).

Le classement en espace remarquable au titre de la loi Littoral d’un espace protégé au titre d’une autre législation n’est toutefois pas automatique. Ainsi, la circonstance que des parcelles soient situées dans un site classé ne justifie pas leur classement en espace remarquable dès lors que l’espace est anthropisé par des résidences mobiles de loisirs (CAA Bordeaux, 29 juin 2017, n° 15BX00687, Collectif de la Fauche Prère Ouest). La Cour administrative d’appel de Nantes annule pour les mêmes raisons le jugement d’un tribunal administratif qui s’était borné à relever qu’un terrain était inclus dans un site inscrit sans rechercher si la qualification d’espace remarquable était, en l’espèce, justifiée (CAA Nantes, 17 oct. 2016, n° 15NT02486, Commune de Locmariaquer).

Le Conseil d’État juge par ailleurs que si la seule continuité d’un terrain avec un espace remarquable ne suffit pas à lui faire bénéficier de la protection de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme, il en va autrement si ces parcelles font partie d’une unité paysagère justifiant, dans son ensemble, la qualification de site ou paysage remarquable à préserver (CE, 30 mai 2018, n° 408068, Commune de Sète). Le Blog loi Littoral avait fait le point sur cette jurisprudence.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux était saisie d’un recours contre le refus de permis de construire une maison individuelle opposé par le maire de Lanton. Bien qu’il y ait eu débat sur ce point, la Cour a estimé que le terrain d’assiette du projet était bien inclus dans le périmètre d’un site inscrit en application de l’article L. 341-1 du code de l’environnement.

Site inscrit Bois de pins entourant la plage de Taussat-les-Bains (source DREAL Nouvelle Aquitaine). Le terrain d’assiette du projet se situe au bout de la pointe sud ouest du site.

La parcelle BC n° 293 sur la commune de Lanton (carte interactive Géoportail)

Pour la Cour : « Il ressort des pièces du dossier que la parcelle BC 293 sur laquelle s’implante le projet, est vierge de toute construction et recouverte d’un boisement de qualité, qui se poursuit sur les vastes parcelles situées de part et d’autre qui sont peu densément construites et bordent le rivage du bassin d’Arcachon. En outre, il ressort des vues versées au dossier que le prolongement du site inscrit, situé au nord-est au-delà du boulevard de la plage et de l’allée Albert Pitres est resté majoritairement à l’état naturel et comporte également des boisements quand bien même une partie est constituée de parcelles anciennement agricoles de moindre qualité non boisées. Enfin, cette partie sud-est n’est séparée de la partie nord-ouest encore densément boisée de ce site inscrit que par une étroite bande urbanisée située entre le boulevard Charles de Gaulle et la piste cyclable. Dans ces conditions, quand bien même la pointe où se trouve la parcelle en litige est située entre deux zones urbanisées de la commune, elle constitue une partie naturelle d’un site inscrit. Compte tenu de ce caractère naturel et au regard de la qualité du boisement de ces parcelles situées en bordure du bassin d’Arcachon, qui s’inscrivent dans la façade végétale du quartier ancien, et dont la fiche de l’Atlas des sites inscrits d’Aquitaine souligne la nécessité de le préserver du fait de son caractère remarquable, le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’elles constituaient un espace remarquable au sens de l’article R. 121-4 précité et que par suite, aucune construction n’y était possible en application de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme » (CAA Bordeaux, 27 juin 2023, n° 21BX01645).

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Présent à Brest et à Paris, le cabinet d’avocats LGP conseille collectivités, professionnels et particuliers en droit public et en droit de l’urbanisme. Plus de 30 années de pratique nous ont permis d’avoir une expertise sur la loi Littoral. Ce blog nous permet de partager nos connaissances et notre passion pour cette matière.

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