Chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de janvier 2024

par | Fév 9, 2024 | Chronique Jurisprudence, Loi littoral, Publication | 0 commentaires

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Résumé : la chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de janvier 2024 comporte assez peu de décisions. Le Blog a toutefois relevé un intéressant arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes sur le dispositif applicable aux espaces proches du rivage. Les différentes étapes du raisonnement pour mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme sont clairement détaillées par l’arrêt. A noter également, un autre arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes sur les modalités de calcul de la bande littorale de cent mètres.

Agglomérations, villages et autres secteurs déjà urbanisés

Agglomérations et villages existants – appréciation de la continuité – Par un arrêté du 8 mars 2021, le maire de la Bernerie-en-Retz avait délivré un permis de construire 23 maisons individuelles et 3 bâtiments collectifs. le terrain d’assiette du projet est composé des parcelles AE nos 97, 355, 340, 120, 118, 361, 359, 119, 287, 357,363 et 236. Il se situe à 400 mètres de la mer et à 800 mètres du centre bourg. Par un jugement du 31 mai 2022 le Tribunal administratif de Nantes avait annulé ce permis mais uniquement en tant qu’il portait sur les bâtiments situés sur les parcelles AE nos 118,119, 120 et 355.

La Cour administrative d’appel de Nantes relève que ce terrain jouxte un ensemble d’immeubles résidentiels de deux à quatre niveaux prolongé, au sud, par des maisons individuelles. Les nouveaux bâtiments qui seront édifiés à une trentaine de mètres des collectifs existants sont donc en continuité avec une agglomération ou un village existant (CAA Nantes, 26 janvier 2024, n° 22NT02001).

Les parcelles B n° 118, 119, 120 et 355 au nord est de la résidence Port Saint Jacques sur la commune de La Bernerie-en-Retz (photographie aérienne interactive Géoportail)

Le projet de construction (sources Géoportail et https://www.asagimbert.com/projet/port-st-jacques/) – Au nord, les bâtiments collectifs jugés illégaux en première instance.

Secteurs déjà urbanisés – La loi ELAN de 2018 a modifié l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme pour permettre les constructions nouvelles au sein des espaces déjà urbanisés autres que les agglomérations et les villages existants. En 2022, le Conseil d’Etat avait apporté des précisions sur la définition de ces espaces. Dans ce contexte, la Cour administrative d’appel de Nantes juge qu’un espace qui comporte une trentaine de maisons d’habitation densément regroupées sur plusieurs rangs de part et d’autre de deux voies publiques et qui est desservi par les réseaux publics d’assainissement, d’électricité et d’eau est un secteur déjà urbanisé. Toutefois, dans un tel secteur, seules les constructions situées en dehors des espaces proches du rivage seront admises (CAA Nantes, 16 janvier 2024, n° 22NT00222). Cet arrêt confirme, si besoin en était, qu’un secteur déjà urbanisé peut parfaitement être localisé et délimité alors même qu’une partie de constructions qui le constituent sont situées dans les espaces proches du rivage. Toutefois, seule la partie située en dehors de ces espaces pourra admettre de nouvelles constructions.

Le lieu-dit Bernantec (ou Brénantec) sur la commune de Sauzon (photographie aérienne interactive Géoportail)

Espaces proches du rivage

Notion d’espace proche du rivage – En 2004, le Conseil d’État a rappelé que la délimitation des espaces proches du rivage devait reposer sur des critères de co-visibilité, de distance et de nature des espaces (CE, 3 mai 2004, n° 251534, Barrière). Cette définition a été précisée à l’occasion d’un recours dirigé contre la DTA des Bouches-du-Rhône. A cette occasion, le Conseil d’État a rappelé que pour déterminer si une zone peut être qualifiée d’espace proche du rivage, trois critères doivent être pris en compte : la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la co-visibilité entre cette zone et le plan d’eau (CE, 3 juin 2009, n° 310587, Commune de Rognac). C’est donc de manière logique que la Cour administrative d’appel de Nantes juge qu’un terrain situé à une distance comprise en 200 et 400 mètres du rivage et qui est inclus dans les espaces proches du rivage du SCOT est un espace proche du rivage (CAA Nantes, 26 janvier 2024, n° 22NT02001, précité).

Notion d’extension de l’urbanisation – Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt « Soleil d’Or » (CE, 7 févr. 2005, Société Soleil d’or et commune de Menton, req. n° 264315) a indiqué qu’un projet étendait l’urbanisation dans les espaces proches du rivage dès lors qu’il avait pour effet soit d’élargir un périmètre bâti, soit d’en modifier de manière significative les caractéristiques. Si aucune de ces conditions n’est remplie, le projet ne constitue pas une extension de l’urbanisation. Il est qualifié de simple opération de construction pour laquelle la question du caractère limité ou celle de la justification par un document d’urbanisme ne se pose pas. Le blog avait rappelé cette construction jurisprudentielle dans un précédent article. Le Conseil d’Etat a par ailleurs rappelé que l’extension de l’urbanisation devait être appréciée à l’échelle du quartier (CE, 12 mars 2007, Commune de Lancieux, req. n° 280326). Dans cette logique, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que le projet de résidence de Port Saint Jacques évoqué en début de cette chronique étend de manière significative un quartier périphérique. Il entraîne donc une extension de l’urbanisation (CAA Nantes, 26 janvier 2024, n° 22NT02001, précité).

Appréciation du caractère limité de l’extension de l’urbanisation – En tant que telle, une extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage n’est pas interdite mais il faut toutefois qu’elle présente un caractère limité. De manière constante, la jurisprudence considère qu’une extension de l’urbanisation est limitée dès lors qu’elle ne modifie pas de manière significative les caractéristiques du bâti avoisinant. Cette appréciation doit être réalisée en fonction des caractéristiques du quartier mais pas à l’échelle du territoire couvert par le PLU (CE, 11 avril 2018, Commune d’Annecy, req. n° 399094).

Conformément à ce principe, un projet de 108 logements bordé par des terrains comportant des constructions présentant un gabarit comparable et qui, compte tenu de la topographie, ne renforce pas l’impression de densité, sera regardé comme une extension limitée de l’urbanisation (CAA Douai, 1er février 2018, Groupement de défense de l’environnement de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer, req. n° 16DA00364). Ce sera aussi le cas de la construction d’un immeuble de 20 appartements en continuité d’un espace caractérisé par une forte densité bâtie et à proximité d’immeubles aux caractéristiques comparables (CAA Douai, 23 novembre 2017, Association Hardelot Opale Environnement, req. n° 16DA00232). À l’inverse, dès lors que les caractéristiques d’un projet s’écartent de celles de l’environnement bâti, l’extension ne sera plus jugée limitée. Par exemple, une opération qui consiste à créer 103 logements, un hôtel de 29 chambres et un restaurant, dans trois bâtiments comprenant quatre niveaux d’habitation, ne s’inscrit pas dans la continuité des constructions de taille modeste qui existent sur les parcelles voisines. Elle ne respecte donc pas l’article L. 121-13 du Code de l’urbanisme (CAA Douai, 26 novembre 2009, Commune de Cayeux-sur-Mer, req. n° 08DA00447).

La Cour administrative d’appel de Nantes fait application de ces critères pour juger un projet de création de 23 maisons individuelles et de 3 immeubles collectifs (N+2) pour une surface totale de plancher créée de 4 169 m² (la vue aérienne du projet est visible en haut de la page). La Cour relève que rapportée à la superficie du terrain d’assiette du projet, la création par le projet contesté de 58 logements correspond à un ratio de 33,7 logements par hectare, comparable à celui mesuré dans le secteur voisin de la rue de la Villardière (32,5 logements/ha) et significativement inférieur à celui mesuré dans le périmètre du lotissement voisin Port-Saint-Jacques (60 logements/ha). Il en résulte que l’extension de l’urbanisation du quartier de la Résidence Port-Saint-Jacques dans cet espace proche du rivage doit être regardée comme présentant un caractère limité (CAA Nantes, 26 janvier 2024, n° 22NT02001, précité).

Justification de l’extension limitée de l’urbanisation – Le législateur a encadré la compétence des communes puisque l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage est soumise à des conditions particulières. L’article L. 121-13 du Code de l’urbanisme distingue trois cas de figure :

  • L’urbanisation est motivée et justifiée par le plan local d’urbanisme selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau ;
  • L’urbanisation est conforme aux dispositions d’un schéma de cohérence territoriale ou d’un schéma d’aménagement régional ou compatible avec celles d’un schéma de mise en valeur de la mer ;
  • L’urbanisation est autorisée par le préfet après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.

La jurisprudence rappelle de manière constante que ces trois modalités sont exclusives les unes des autres. L’extension de l’urbanisation est possible dès lors que l’une des conditions est remplie (CAA Marseille, 9 avril 2018, n° 16MA02373). Toujours à propos de l’affaire de la résidence « Port Saint Jacques », la Cour administrative d’appel de Nantes relève que si le SCoT du Pays-de-Retz ne comporte pas de dispositions précises sur l’extension de l’urbanisation dans le secteur considéré, le rapport de présentation du plan local d’urbanisme justifie l’extension limitée de l’urbanisation par des critères liés à la configuration des lieux, notamment, la situation en bordure d’une voie ferrée, à proximité immédiate d’une zone déjà urbanisée dite  » Résidence Port Saint Jacques « , dont elle représente un prolongement mesuré, et du centre bourg (CAA Nantes, 26 janvier 2024, n° 22NT02001, précité).

Bande littorale de cent mètres

Calcul de la bande de cent mètres – L’article L. 121-16 du code de l’urbanisme interdit toute construction ou installation sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage. Ces dispositions font référence à la notion de rivage au sens du droit du domaine public maritime (CE, 12 mai 1997, n° 151359, Société Coprotour). Lorsqu’un remblai a été effectué sur le rivage de la mer, il est pris en compte pour calculer la bande de cent mètres (CAA Nantes, 23 décembre 2014, n° 12NT02230, Association Saint-Cast nature Environnement). La déclivité du terrain n’a pas de conséquence sur la bande de cent mètres puisque le Conseil d’État considère qu’elle doit être calculée horizontalement de tout point des façades des constructions litigieuses à l’élévation à la verticale du point jusqu’où les plus hautes mers peuvent s’étendre en l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (CE, 22 oct. 1999, n° 180422 et n° 180447, Commune de Pénestin-sur-Mer, Société Sofi Ouest). L’existence d’une falaise ne modifie donc pas ce mode de calcul (CAA Marseille, 25 février 2019, n° 17MA03628). Logiquement, la cour administrative d’appel de Nantes a rappelé que la distance de cent mètres se calcule par rapport au point le plus proche de la côte (CAA Nantes, 26 mars 2019, n° 17NT03682). La précision est importante car la jurisprudence rappelle que dès lors qu’une partie de la construction se situe dans la bande de cent mètres, le permis de construire est illégal (CAA Bordeaux, 19 juin 1997, n° 94BX01325, Commune de Bois Plage en Ré).

Si les modalités de calcul ne posent plus vraiment de question, la détermination du point de départ de la bande de cent mètres est parfois délicate. Sur ce point, la Cour administrative d’appel de Nantes indique que les données du service hydrographique et océanographique (SHOM) de la Marine qui sont traitées par l’Institut géographique national (IGN) fixent très précisément le point de départ de la bande de cent mètres (CAA Nantes, 16 janvier 2024, n° 21NT01638). Cette donnée est disponible sur le site de l’IGN Géoportail sous l’appellation « limite terre-mer ». Selon le SHOM, elle est plus précise que l’ancienne limite Histolitt également disponible sur Géoportail. Ces deux limites sont accessibles dans le menu carte de l’interface de Géoportail, dans les rubriques « développement durable, énergies » puis « mer et littoral ».

La distance de la parcelle AD n° 126 sur la commune de Penmarch par rapport à la mer. En rose, la donnée « limite terre mer », en bleu, le tracé « Histolitt » (source Géoportail)

Notion d’espace urbanisé – La Cour administrative d’appel de Nantes était saisie du refus valant retrait d’un permis de construire tacite autorisant la construction de deux maisons. Le terrain d’assiette du projet comporte déjà deux constructions. Il est bordé à l’est par une route départementale (avenue de Saint-Malo) le long de laquelle sont disposées, de part et d’autre et sur deux rangs, des constructions individuelles densément organisées. Au nord de la parcelle, se trouve un tissu urbain ininterrompu de maisons, desservies non seulement par l’avenue de Saint-Malo mais également par le boulevard de l’Océan. Au sud de la parcelle, se trouve une construction de faible dimension dédiée aux activités de loisirs nautiques et au sud-est, de l’autre côté de la route départementale, quelques maisons en continuité immédiate du secteur densément urbanisé qui longe cette même voie. Cet ensemble compose un quartier comprenant une centaine de constructions. Pour la Cour, il s’agit d’un espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme (CAA Nantes, 16 janvier 2024, n° 22NT00191).

La parcelle AD n° 112 sur la commune de Saint-Pierre-Quiberon (photographie aérienne interactive géoportail)

Le terrain d’assiette du projet depuis l’Avenue de Saint-Malo (source Google maps)

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