La rentrée a été riche en décisions rendue par les juridictions administratives en matière de commande publique. Découvrez l’essentiel de l’actualité jurisprudentielle de septembre et octobre 2024, sur des sujets aussi variés que l’analyse des offres, la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre ou encore les modalités d’application des pénalités de retard.
Délai d’information des candidats évincés et manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence
Le Conseil d’État considère que le délai écoulé entre la décision d’attribution du marché et l’information d’un candidat évincé du rejet de son offre n’est pas susceptible, à lui seul, de constituer un manquement de l’acheteur à ses obligations de transparence et de mise en concurrence.
Dès lors, un délai de quinze mois entre la réunion de la commission d’appel d’offres et la communication au candidat évincé des motifs de rejet de son offre ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
CE, 7ème – 2ème chambres réunies, 27 septembre 2024, n° 490697
Pas de décompte général tacite en cas de décompte final incomplet
La naissance d’un décompte général tacite après un silence gardé pendant 10 joursA sur le projet de décompte général envoyé par l’entreprise est un piège redoutable pour les personnes publiques. Aussi, il est rassurant de savoir que si le projet de décompte général de l’entreprise comprend un décompte final incomplet, ce document n’a pu faire naître un décompte général et définitif tacite.
En l’espèce, le projet de décompte final envoyé au pouvoir adjudicateur n’était pas complet au sens de l’article 14.3.2 du CCAP dès lors qu’il n’était pas accompagné des calculs des quantités prises en compte et des calculs des coefficients de variation des prix. Le juge ajoute qu’au vu des stipulations de l’article 14.3.2 du CCAP, la circonstance que ces éléments auraient déjà été fournis est sans incidence. D’ailleurs, si la société requérante soutient que le calcul des coefficients d’actualisation ou de révision de prix a déjà été transmis, elle ne l’établissait pas. Dès lors, le projet de décompte général de l’entreprise comportant ce décompte final incomplet ne pouvait pas faire naître un décompte général et définitif tacite qui serait devenu intangible. En outre, il ne résulte pas de l’instruction que le document présenté comme le projet de décompte général par la société aurait été notifié au maître d’œuvre.
CAA de Nantes, 4e chambre, 27 septembre 2024, n° 23NT01338
La responsabilité contractuelle du maître d’œuvre perdure après réception
Si la réception sans réserve met fin à la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre quant à la conception et à la réalisation de l’ouvrage, elle ne met cependant pas fin à la responsabilité que le maître d’œuvre assume vis-à-vis du maître de l’ouvrage à raison d’un manquement à son devoir de conseil, même lorsque ce manquement porte sur un vice de conception de l’ouvrage.
La responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance s’ils avaient accompli leur mission selon les règles de l’art, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier. Ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage.
CAA de Toulouse, 3e chambre, 1er octobre 2024, n° 22TL22406
Précisions sur la propriété des ouvrages en cas de délégation de service public
Dans le cadre d’une concession ou délégation de service public, les ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public n’appartiennent pas nécessairement à la personne publique pendant la durée du contrat. En effet, le contrat peut attribuer au délégataire ou au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens.
Toutefois, cette possibilité s’exerce sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de délégation, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.
CAA de Paris, 2e chambre, 2 octobre 2024, n° 22PA05428
Calcul de l’indemnité due au candidat irrégulièrement évincé
Le manque à gagner auquel peut prétendre un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un marché public et qui avait des chances sérieuses de l’emporter doit être déterminé en prenant en compte non seulement les charges variables de la société mais également ses charges fixes.
Dans ces conditions, la société requérante ne peut prétendre être indemnisée à hauteur du montant du marché dont elle a été irrégulièrement évincée, déduction faite des seules matières premières qu’elle aurait utilisées dans le cadre de ce marché. Le manque à gagner est calculé en appliquant le taux de marge nette au chiffre d’affaires escompté sur le marché. En l’espèce, il est jugé que l’entreprise n’apporte, par ailleurs, aucun élément de nature à remettre en cause la pertinence du taux de marge nette de 4 % retenu par le tribunal.
CAA de Paris, 4e chambre, 4 octobre 2024, n° 23PA00166
Nécessité de démontrer l’imputabilité des retards à l’entreprise pour appliquer des pénalités
L’application de pénalité suppose de pouvoir démontrer que les retards sont imputables à l’entreprise. En l’espèce, un chantier a été immobilisé quinze semaines en raison de la découverte de nouveaux matériaux amiantés en cours d’exécution nécessitant des travaux supplémentaires. Le titulaire du lot désamiantage-déconstruction n’étant pas responsable de cette découverte, le juge considère qu’aucune pénalité de retard ne peut lui être appliquée.
A l’inverse, en revanche, il estime que l’absence de participation à des réunions de chantier, constatées sur les comptes-rendus de réunion, justifie l’application de pénalités. La société ne contestait pas ne pas en l’espèce avoir participé à ces réunions mais se bornait à soutenir qu’elle n’y avait pas été convoquée. Il ne résulte toutefois d’aucune stipulation du CCAP qu’une convocation devait lui être adressée, alors que les dates de réunion étaient connues à l’avance.
CAA de Paris, 4e chambre, 4 octobre 2024, n° 23PA02527
Irrégularité d’une offre non-conforme aux exigences du CCTP
Une offre ne respectant pas les exigences du CCTP peut être écartée par l’acheteur comme irrégulière même si les éléments demandés par le CCTP sont présents mais non conformes au CCTP.
En l’espèce, a été jugée irrégulière une offre non-conforme au CCTP lequel imposait que le procédé de mise en œuvre soit breveté et qu’il possède un avis favorable délivré par un organisme de contrôle agréé. Le candidat avait déposé une offre proposant bel et bien un procédé mais ne bénéficiait ni du brevet ni de l’agrément de l’organisme de contrôle.
Irrégularité de l’offre ne respectant pas le règlement de la consultation
En se fondant sur l’article L.2152-2 du code de la commande publique sur les offres irrégulières, le Conseil d’État rappelle que le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions et qu’ainsi, l’acheteur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecte pas les exigences de ce règlement sauf si cette exigence est manifestement dépourvue d’utilité pour l’examen des offres.
En l’espèce, une métropole a lancé une consultation pour la conclusion d’un marché public pour la fourniture et le renouvellement du matériau filtrant les biofiltres d’une station d’épuration.
Le Conseil d’État confirme l’analyse de la cour administrative d’appel qui a considéré que l’offre retenue « ne souffrait pas d’une simple imprécision mais ne répondait pas complètement aux exigences du règlement de la consultation ».
En effet, conformément aux exigences du règlement de la consultation, le mémoire technique des candidats devait détailler « les moyens humains et matériels que le prestataire s’engage à affecter à la préparation et à l’exécution des travaux ». Or, l’offre retenue n’affectait spécifiquement que quelques éléments au chantier alors que les autres éléments faisaient l’objet d’une description général sans affectation particulière et n’indiquait pas les moyens matériels affectés au système de pompage et de remplissage.
Dans ces conditions, l’offre retenue ne souffrait pas d’une simple imprécision mais devait être écartée comme irrégulière dès lors qu’elle ne répondait pas complètement aux exigences du règlement de consultation. Ainsi, les juges du fond, ont, à bien droit condamné la métropole à l’indemnisation de la société évincée pour avoir choisi une offre irrégulière.