Comment identifier une association transparente ?
L’association transparente n’a pas de définition légale. Il faut donc se référer à la jurisprudence administrative pour pouvoir la qualifier.
Les quatre critères de l’association transparente
Les critères d’identification de l’association transparente ont été dégagés en 2007 par le Conseil d’Etat dans son fameux arrêt Commune de Boullogne -Billancourt.
« Considérant que lorsqu’une personne privée est créée à l’initiative d’une personne publique qui en contrôle l’organisation et le fonctionnement et qui lui procure l’essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu’elle conclut pour l’exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs ; que, pour qualifier le contrat conclu le 10 août 1989 entre l’association pour la gestion de la patinoire et de la piscine de Boulogne-Billancourt et la société Mayday Sécurité de contrat administratif, la cour administrative d’appel de Paris a, par une appréciation souveraine qui n’est pas susceptible, sauf dénaturation non soulevée en l’espèce, d’être contestée devant le juge de cassation, et sans commettre d’erreur de droit, jugé que les circonstances de la création de l’association, les modalités de son organisation et de son fonctionnement , l’origine de ses ressources ainsi que le contrôle exercé sur elle par la commune conduisaient à la regarder comme un service de cette dernière; que sur le fondement de ces constations souveraines, la cour a pu, sans commettre d’erreur de droit et par une décision suffisamment motivée dès lors qu’elle n’avait pas à répondre à tous les arguments de la commune, juger que le contrat conclu par l’association avec la société Mayday Sécurité pour assurer la sécurité de la patinoire de la ville de Boulogne-Billancourt avait un caractère administratif ;
Considérant que dès lors que la cour a jugé que l’association pour la gestion de la patinoire et de la piscine de Boulogne-Billancourt devait être regardée comme un service de la COMMUNE DE BOULOGNE-BILLANCOURT, elle n’a pas commis d’erreur de droit en qualifiant le contrat conclu avec la société Mayday Sécurité, eu égard à son objet, de marché public de services ». (Conseil d’Etat, 21 mars 2007, Commune de Boulogne-Billancourt, requête n°281796)
Ainsi est transparente une association (régie par la loi 1901) qui en raison de l’origine de sa création, sa mission, son organisation et fonctionnement et de l’origine de ses ressources n’a pas d’existence propre et est considérée comme le service d’une collectivité publique (les appellations de « faux nez » de l’administration ou d’«ectoplasme » ont pu être utilisées en doctrine).
La qualification d’association transparente implique donc de remplir les quatre critères suivants :
- l’association a été créée à l’initiative d’une ou plusieurs personnes publiques ;
- cette personne publique en contrôle l’organisation et le fonctionnement ;
- l’association assure une mission en lien avec un service public ;
- cette personne publique procure à l’association l’essentiel de ses ressources. Sur ce dernier critère, la jurisprudence considère que l’essentiel des ressources correspond à plus de 50% de celles-ci (Cour administrative d’appel de Paris, 20 avril 2005, Commune de Boulogne-Billancourt, requête n°02PA02193).
Appréciation jurisprudentielle des critères d’identification de l’association transparente
Pour l’examen de ces critères, le juge recherche si l’association est dénuée de consistance juridique réelle, si elle est financée et pilotée directement par des collectivités territoriales.
En pratique, il examine en détail les éléments suivants.
- Le domaine d’activité de l’association : l’activité se confond-elle avec les missions relevant de la compétence de la collectivité ou pas ?
- Le degré d’indépendance dans sa direction et sa gestion : le pouvoir de décision appartient-il en réalité à la collectivité : les représentants de la collectivité sont-ils majoritaires en nombre ou exercent-ils statutairement ou de fait un pouvoir prépondérant dans l’association ?
- L’origine des moyens dont bénéficie l’association : les ressources (subventions, mises à disposition de moyens, de locaux ou de personnels) proviennent-elles presque exclusivement de la collectivité ?
Toutes ces questions sont autant d’interrogations à se poser pour connaitre les règles applicables à l’association si celle-ci était qualifiée de transparente.
La jurisprudence administrative insiste sur le caractère cumulatif des trois critères. En effet, la transparence n’est pas reconnue lorsque l’un des critères susvisés n’est pas rempli.
A ce titre, par exemple, la satisfaction du critère du financement ne suffit jamais à lui seul à emporter le caractère transparent de l’association :
- Financement de la structure par une région à 66% mais absence de contrôle de l’organisation et du fonctionnement par la région (Cour administrative d’appel de Lyon, 7 novembre 2012, requête n°12LY00701) ;
- Financement majoritaire de la part d’un Département mais ressources extérieures potentielles et absence de contrôle du département (Cour administrative d’appel de Nancy, 2 février 2021, requête n°19NC02727) ;
- Financement majoritairement public mais autonomie du directeur et absence de majorité à l’Assemblée Générale de l’association (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 14 octobre 2021, requête n°19BX02412).
Une association peut-elle être transparente à l’égard de plusieurs personnes publiques ?
Pour compléter la jurisprudence du Conseil d’Etat, le Tribunal des conflits a jugé, à plusieurs reprises, qu’une association peut potentiellement être transparente en cas de contrôle conjoint exercé sur la structure par plusieurs personnes publiques.
Toutefois, les circonstances de fait que recouvrent cette notion de « contrôle conjoint » ne sont pas clairement établies.
Quelques exemples jurisprudentiels
- En 2012, le Tribunal des Conflits a exclu l’existence d’un contrôle conjoint sur une association en présence de 300 personnes publiques lui procurant pourtant l’essentiel de ses ressources dès lors qu’aucun des membres de cette association, qui regroupe également des personnes privées, n’en contrôle, seul ou conjointement avec d’autres personnes publiques, l’organisation et le fonctionnement ni ne lui procure l’essentiel de ses ressources (Tribunal des conflits, 2 avril 2012, requête n°3831)
- En 2015, il a de nouveau écarté la transparence d’une association en présence de personnes publiques et privées au sein de l’association, sans faire référence au critère lié au financement mais en retenant qu’aucune des personnes publiques ne contrôle seule, ou conjointement avec d’autres personnes publiques, son organisation et son fonctionnement, et, que l’association n’agit pas au nom et pour le compte de ces personnes publiques mais en son nom et pour son propre compte (Tribunal des conflits, 16 Novembre 2015, requête n°15-04032)
- Enfin, en 2020, il a de nouveau exclu la qualification d’association transparente, alors que l’association était créée à l’initiative de deux personnes publiques et détenue à parts égales entre elles (autant de voix à l’assemblée générale et au conseil d’administration), et que le financement s’élevait à 45% pour chacune (Tribunal des Conflits, 6 juillet 2020, Société Huet location, requête n°C4191).
Une analyse sujette à critiques
Plusieurs rapporteurs se sont montrés assez critiques sur la possibilité de retenir la transparence d’une association à l’égard de plusieurs personnes publiques.
Le Rapporteur Nicolas Boulouis défendait dans ses conclusions l’incompatibilité́ de principe entre la qualification d’association transparente et la présence d’une pluralité́ de personnes publiques à l’origine et au sein des organes de direction de l’association considérant qu’« un faux nez ne s’ajuste pas à plusieurs visages simultanément » (Conseil d’Etat, 24 juin 2011, Société Atexo, n°347429).
Le Rapporteur Gilles Pelissier a également fait valoir que la pluralité de personnes publiques au sein d’une association fait obstacle par principe à la transparence de l’association. Il précisait sous l’arrêt Huet (ayant conduit à la décision précitée du tribunal des Conflits de 2020) que cette possibilité doit nécessairement être exclue en cas de contrôle à parts égales entre plusieurs personnes publiques dès lors que l’association « aura nécessairement une autonomie à l’égard de chacune d’elles prise séparément, puisque l’égalité entre elles privera par définition chacune d’un pouvoir de direction prépondérant ».
Il ajoutait que « Les effets et les finalités ensuite de la qualification tendent toujours à identifier une personne publique qui prendra en charge l’ensemble des droits et obligations de la personne morale fictive et une telle charge ne peut être partagée entre plusieurs personnes publiques. Si l’on peut imaginer une responsabilité conjointe et solidaire, contractuelle comme extra-contractuelle, il est beaucoup plus difficile d’envisager que les personnels de l’association soient employés par plusieurs personnes publiques ou qu’elles soient propriétaires indivises de biens. » (Conclusion du rapporteur public Gilles Pélissier, Conseil d’État, 28 février 2020, Huet, requête n°430527).
Il concluait néanmoins que la notion de contrôle conjoint devait recouvrir une situation exceptionnelle dans laquelle l’une des personnes publiques membres de l’association a un rôle prépondérant sur la structure.
En pratique, il en ressort ainsi que le cas où l’association serait transparente en présence de plusieurs personnes publiques serait réservé à l’hypothèse où l’une des personnes publiques joue un rôle tellement prépondérant qu’il est possible de lui réattribuer l’ensemble des droits et obligations de l’association.
En réalité, cette interprétation du contrôle conjoint vise vraisemblablement à cibler la situation où une personne publique intègrerait une association uniquement pour faire échapper l’autre personne publique à la notion d’association transparente dont les effets sont importants et contraignants.
Quels risques en cas de transparence de l’association ?
La transparence de l’association, contrôlée par une collectivité locale, implique plusieurs conséquences :
- les actes d’une association transparente sont réputés émaner de la collectivité locale ;
- les contrats conclus pour l’exécution de la mission de service public sont des contrats administratifs ;
- la responsabilité de la collectivité locale peut être engagée en cas de fautes commises dans la gestion de l’association transparente ;
- les fonds versés par la collectivité conservent leur qualité de deniers publics, et doivent donc être gérés par un comptable public.
La transparence conduit à substituer entièrement la collectivité publique à l’association pour toutes les règles de droit auxquelles elle peut être soumise comme pour ses obligations juridiques, ce qui engendre de nombreuses conséquences.
Des risques majeurs pour la collectivité et les dirigeants de l’association
La liste des risques encourus en cas d’association transparente est longue.
- Les membres de l’association issus de la collectivité risquent d’engager leur responsabilité financière ou pénale en raison d’une gestion de fait. La gestion de fait se définit comme le maniement de fonds publics par une personne n’ayant pas l’habilitation pour ce faire, et qui sera donc qualifiée de « comptable de fait». Elle s’applique à toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans autorisation, s’immisce dans le maniement de deniers publics.
- Les dirigeants d’une association transparente pourraient par ailleurs se voir reprocher le délit d’usurpation des fonctions de comptable public, défini comme «le fait, par toute personne agissant sans titre, de s’immiscer dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction» (Article 433-12 du Code pénal).
- Les fautes commises par l’association entraînent la responsabilité extracontractuelle de la collectivité vis-à-vis des tiers (en cas de dommage causé par l’association à un tiers, ce dernier peut engager la responsabilité de la collectivité selon les règles de droit public);
- La responsabilité des dirigeants associatifs, de droit ou de fait, peut être recherchée sur le fondement de la faute de gestion, selon l’action de comblement de passif (CE, 23 décembre 2010, commune de Toulon, n°317035).
- Les agents employés par l’association sont regardés comme employés par la collectivité et les dirigeants de l’association sont considérés comme des entrepreneurs de services municipaux dès lors qu’ils rendent des prestations à la collectivité. Or, la vigilance s’impose car un candidat peut être déclaré inéligible s’il exerce certaines fonctions considérées comme incompatibles avec un mandat électoral (l’ article L.231 du Code électoral vise précisément les agents salariés communaux, le comptable des deniers communaux, l’entrepreneur de services municipaux…). Ce point devient particulièrement sensible dans la perspective des élections municipales de 2026.
Les conséquences de la qualification d’association transparente sur les contrats
La transparence d’une association entraine également des conséquences sur les contrats qu’elle conclut lesquels doivent être regardés comme conclus par la collectivité publique :
- L’association sera, malgré son statut d’entité de droit privé régie par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, soumise aux règles de passation des marchés publics :
- D’une part, celles prévues par le Code de la commande publique ;
- D’autre part, celles issues du Code général des collectivités territoriales dont les dispositions sont applicables aux collectivités et leurs groupements si l’association en question est transparente à l’égard d’une de ces personnes publiques. Notamment, l’association pourrait être contrainte à mettre en place une commission d’appel d’offres dans l’hypothèse où la personne publique exerçant le contrôle est tenue de constituer une CAO pour la passation de ses marchés (article L.1414-2 du CGCT)
- En cas de cessation de l’activité, la collectivité territoriale est tenue de reprendre les salariés d’une association transparente. En effet, elle est réputée avoir conclu elle-même les contrats de travail.
- La plupart du temps, les contrats relèveront du régime du contrat administratif et le juge administratif sera conduit à en connaître.