La résiliation à raison d’une faute suffisamment grave du délégataire
Tous les manquements commis par le délégataire ne peuvent aboutir à une fin anticipée du contrat.
Quel type de faute peut justifier la résiliation d’une DSP ?
En vertu de l’article L.3136-3 du Code de la commande publique, la collectivité doit faire état d’une faute d’une gravité suffisante.
Le juge administratif vérifie la proportionnalité de la décision de l’autorité délégante rapportée à l’action du délégataire (Conseil d’État, 27 octobre 2010, Syndicat intercommunal des transports publics de Cannes, requête n°318617).
À titre d’exemple :
- Il a été jugé que la tenue d’une double comptabilité par le délégataire pour masquer les réels résultats bénéficiaires additionnée d’une demande d’aide financière après de l’autorité délégante justifiait la résiliation pour faute suffisamment grave du contrat (Cour administrative d’appel de Nantes, 31 octobre 2014, Société CEP A Port Guillaume, requête n°13NT00699).
- À l’inverse, ne revêtaient pas une gravité suffisante justifiant la résiliation du contrat :
- l’absence de communication d’un exemplaire du contrat d’assurance (même décision).
- le non- paiement d’un acompte de redevance au regard du montant des investissements importants réalisés par le délégataire d’un camping municipal (Cour administrative d’appel de Nantes, 30 mars 2020, requête n°19NT01755).
Confrontées aux manquements du délégataire, la Collectivité a parfois tendance, dans la précipitation, à omettre certaines précautions pourtant nécessaires.
La gravité de la faute doit être établie
Le caractère grave de la faute doit être documenté et justifié, faute de quoi le juge pourrait rejeter la résiliation de la délégation de service public et condamner la collectivité à indemniser le délégataire. A ce titre, tracer par écrit tous les manquements constatés du délégataire en cours d’exécution du contrat permet de se prévaloir d’un cumul/répétition des fautes commises.
L’absence de gravité suffisante de la faute peut conduire le juge à ordonner la reprise des relations contractuelles et/ou la condamnation de la collectivité à indemniser le délégataire de son préjudice causé par l’irrégularité de la décision de résiliation pour faute (Cour administrative d’appel de Nantes, 30 mars 2020, requête n°19NT01755).
A noter toutefois que le juge administratif module son pouvoir de sanction en fonction du comportement du délégataire et reconnait que les fautes commises par le cocontractant d’une personne publique dans l’exécution du contrat peuvent limiter son droit à l’indemnisation du préjudice qu’il subit du fait de la résiliation irrégulière (Conseil d’État, 18 mai 2021, RTM, requête n°442530).
Par ailleurs, même en cas de résiliation irrégulière, le juge ne fera droit à la demande de reprise de relations contractuelles seulement si celle-ci « n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse » (Conseil d’État, Section, 21 mars 2011, requête n°304806).
Par exemple, en dépit de l’irrégularité de la décision de résiliation pour défaut de manquements graves constatés, le juge n’a pas prononcé la poursuite des relations contractuelles au regard de la situation particulièrement conflictuelle entre la personne publique et le délégataire, et de la brève période restant à courir avant l’expiration initialement prévue pour la fin de la concession (Tribunal administratif de Nantes, 15 mai 2024, requête n°2104451).
La résiliation pour faute nécessite une procédure contradictoire
En principe, une mise en demeure doit obligatoirement être adressée au délégataire lui rappelant ses obligations, lui imposant un délai raisonnable dans lequel il peut remédier à la situation, et l’avertissant que la sanction encourue sera une résiliation de la délégation de service public, simple ou à ses frais et risques (c’est-à-dire avec l’imputation au délégataire des conséquences financières de la résiliation pour la collectivité (frais engagés pour trouver un nouveau délégataire, surcoût de la nouvelle délégation, etc)).
Toutefois, la collectivité n’est pas tenue de mettre en demeure le délégataire lorsque le contrat en dispose autrement ou s’il n’a pas la possibilité de remédier aux manquements reprochés (Conseil d’État, 12 novembre 2015, Société Le Jardin d’acclimatation, requête n°387660).
A noter que le défaut de mise en demeure préalable n’est toutefois pas toujours sanctionné. Ainsi, bien que le délégant n’ait pas respecté la procédure contradictoire, le juge administratif a pu rejeter la demande indemnitaire du cocontractant, considérant que la résiliation était justifiée par des manquements graves de la société (Cour administrative d’appel de Nantes, 28 juin 2024, requête n°22NT04065).
Qui doit signer la résiliation de la délégation de service public ?
La décision de résiliation du contrat doit être prise par l’autorité compétente au risque d’être entachée d’un vice d’incompétence susceptible d’être invoqué par le délégataire mécontent (Cour administrative d’appel de Nantes, 25 janvier 2019, requête n°17NT01906)
L’organe délibérant est en principe compétent pour prononcer la résiliation d’une délégation de service public sauf s’il a consenti à l’exécutif une délégation lui permettant d’exécuter le contrat.
La résiliation de délégation de service public pour motif d’intérêt général
En vertu de la jurisprudence lui accordant un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat administratif (consacré à l’article L.3136-3 du code de la commande publique), la collectivité peut également procéder à une résiliation du contrat de délégation de service public pour un motif d’intérêt général.
La résiliation doit être fondée sur un motif valable et réel
Dans quels cas peut-on légalement résilier une délégation de service public pour motif d’intérêt général ?
Il ressort de la jurisprudence que bon nombre de raisons avancées par l’administration sont validées, à savoir :
- un changement de stratégie (Cour administrative d’appel de Marseille, 4 juin 2018, requête n° 16MA03601) ;
- le changement de mode de gestion d’une activité comme la reprise en régie d’une activité (Conseil d’État, 25 janvier 2019, requête n°424846 et Cour administrative d’appel de Bordeaux, 22 mars 2021, SAS Confo-Net, requête n°18BX02696) ;
- des difficultés techniques qui justifieraient la fin du contrat (Conseil d’État, 23 avril 2001, SARL Bureau d’études techniques et d’équipement rural et urbain, requête n°186424) ;
- la nécessité d’une réorganisation totale du service – notamment un changement de stratégie (Cour administrative d’appel de Marseille, 4 juin 2018, requête n°16MA03601) ;
- des mutations globales du secteur concerné entrainant une redéfinition des besoins de la personne publique (Cour administrative d’appel de Paris, 24 octobre 2017, requête n°16PA03429) ;
- la disparition du besoin (Conseil d’État, 6 mai 1955, Société Chabal et Cie c/ Commune de l’Isle-sur-Sorgue).
- la volonté d’une collectivité d’affecter le domaine public à une autre activité (exemple : utilisation d’un terrain comme parc de stationnement d’une maison de retraite, Conseil d’État 27 mars 2020, Société Blue Boats, requête n°432076) ;
- la mésentente opposant le concessionnaire aux usagers du service concédé même en dehors de toute faute commise par ledit concessionnaire (Conseil d’État, 26 février 1975, Société du port de pêche de Lorient, requête n°86185).
Même en cas de motif d’intérêt génal, la vigilance s’impose !
La résiliation d’une délégation de service public s’avère moins contraignante lorsqu’elle est motivée par l’intérêt général, notamment parce que la procédure contradictoire imposée en cas de faute du délégataire n’est dans ce cas pas applicable.
Pour autant, les écueils existent et la vigilance est là aussi de mise. A ce titre, le comportement de la collectivité après la résiliation devra être cohérent avec le motif invoqué. Par exemple, un motif tiré de la réorganisation du service public devra être suivi d’effet.
À défaut, la régularité de la décision de résiliation pourra être contestée devant le juge administratif afin d’obtenir la reprise des relations contractuelles ou l’octroi de dommages et intérêts (Conseil d’État, 21 mars 2011, n° 304806, Commune de Béziers).
La résiliation de la délégation de service public doit également être faite dans le respect des règles formelles : il convient ainsi que la décision soit signée par l’autorité compétente et qu’elle réponde aux règles de procédure éventuellement fixées dans les documents contractuels.