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13/03/2025

Alcool au travail dans la fonction publique : comment réagir ?

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Rédigé par

Mina Moal

Tous les principes du droit s’opposent à ce qu’un agent public soit sanctionné disciplinairement pour des raisons qui tiennent à son état de santé. Pourtant, l’addiction à l’alcool a beau être une maladie reconnue, la consommation excessive d’alcool et l’ébriété au travail constituent sans conteste des fautes disciplinaires. Entre sanction des excès et accompagnement des agents en souffrance, voire dans le déni, il n’est pas toujours aisé pour l’autorité hiérarchique de savoir se positionner. Ce mois-ci, le Cabinet LGP fait un tour d’horizon de la jurisprudence et vous explique ce qui peut être mis en œuvre pour surmonter l’addiction d’un agent territorial, que celui-ci soit fonctionnaire ou agent contractuel.

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La consommation d’alcool pendant le service doit être exceptionnelle

Alors qu’environ 10% des français adultes ont une consommation d’alcool quotidienne (données de Santé Publique France), il n’est pas surprenant de constater la présence de bouteilles sur le lieu de travail. Une situation pas tout à fait anormale, au sens des textes et de la jurisprudence administrative. 

En France, le cadre professionnel, y compris dans la fonction publique, n’est pas complètement hermétique à l’alcool. Si la loi interdit d’introduire au travail la plupart des alcools, elle réserve une tolérance expresse à la bière, au vin, au cidre et au poiré (article R. 4228-20 du code du travail, applicable à la fonction publique). 

Dans le même esprit, le juge administratif ne sanctionne pas l’introduction et la consommation d’alcool « dans le contexte unique et précis » des fêtes de fin d’année ou encore de la galette des rois (Cour administrative d’appel de Versailles, 22 octobre 2020, Commune de Garches n°18VE03928 : on était pourtant ici dans des locaux d’une crèche.). 

Selon le contexte, donc, une consommation modérée, dans le cadre des festivités organisées par le service, n’est pas nécessairement fautive, si la pratique est tolérée par la direction.

L’autorité hiérarchique est en effet en mesure de restreindre ou d’empêcher la consommation d’alcool de ses fonctionnaires et agents contractuels par le biais du règlement intérieur du service.

De manière assez surprenante, il n’est pas toujours permis de prohiber automatiquement la consommation d’alcool au sein du règlement intérieur. De telles interdictions sont susceptibles d’être jugées « générales et non proportionnées au but recherché » (Tribunal administratif de Strasbourg, 9 mai 2023, SDIS de Moselle, n°2100118).  Elles doivent être réservées à des agents dont les fonctions sont absolument incompatibles avec toute imprégnation alcoolique. 

A titre exemple, dans le jugement précité rendu en matière de fonction publique territoriale, il a été considéré que le personnel administratif d’un SDIS n’est pas placé dans la même situation que les sapeurs-pompiers en service. 

En réalité, le règlement intérieur a une double utilité. En plus de permettre de restreindre, à défaut parfois de l’interdire, la consommation d’alcool, il permet de mettre en œuvre des vérifications de l’état d’ébriété des agents. 

En effet, un agent peut refuser de se soumettre à un éthylotest si le règlement intérieur ne l’y contraint pas, ou fait défaut. Le règlement intérieur doit prévoir les cas dans lesquels le contrôle est justifié, car là encore il faut que le dépistage soit nécessaire, eu égard aux fonctions de l’intéressé. Par exemple, un contrôle effectué sur un agent du service voirie/bâtiments/espaces verts est justifié, car il peut être amené à conduire des engins de chantier (Cour administrative d’appel de Nantes, 1 juin 2021, Commune d’Arzon,n°19NT05018). 

Si un agent refuse de se soumettre à un contrôle pourtant conforme aux modalités prévues par le règlement intérieur, il commet une seconde faute disciplinaire indépendante de la consommation d’alcool, qui peut elle-même être sanctionnée. 

L’ébriété en service : une faute disciplinaire sanctionnable

Plutôt souple sur la consommation modérée et festive, le juge administratif fait néanmoins preuve de sévérité lorsqu’un agent s’enivre au point de commettre des excès. 

L’article R.4228-21 du code du travail prévoit qu’il « est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse ». 

Par ailleurs, chaque agent est tenu d’une obligation « de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. » (article L. 4122-1 du code du travail). Ces dispositions du code du travail sont applicables aux agents publics, fonctionnaires ou contractuels, qu’ils relèvent de la fonction publique d’Etat, de la fonction publique hospitalière ou de la fonction publique territoriale.

En outre, l’état d’ébriété, et plus encore, les excès de comportements qui peuvent en résulter, sont susceptibles de contrevenir à l’obligation de dignité, de probité, et d’intégrité imposée aux agents publics (article L. 121-1 du code général de la fonction publique). Commet ainsi une faute disciplinaire l’agent qui marche en titubant, et dont le comportement anormal se manifeste par « le fait de danser dans le réfectoire en se caressant le ventre, ou encore de s’allonger, torse nu, sur un charriot en criant qu’il volait » (Cour administrative de Nancy, 2 juillet 2024, EHPAD…, n° 21NC01914). 

Lorsque le règlement intérieur interdit la consommation d’alcool, l’agent méconnait également son obligation d’obéissance hiérarchique. 

Enfin, si son état empêche l’agent d’accomplir ses missions, le manquement à l’obligation d’exécuter les tâches qui lui sont confiées est caractérisé (Tribunal administratif de Lille, 22 juillet 2024, SDIS du Pas-de-Calais, n°2208232). 

La jurisprudence administrative regorge d’exemples de faits et de sanctions disciplinaires variées, selon le contexte et les conséquences du comportement de l’agent (niveau de responsabilité de l’agent, impact sur l’image de la collectivité…).   

Les antécédents de consommation sont particulièrement pris en compte dans la détermination de la matérialité des faits et celle du quantum de la sanction disciplinaire (Tribunal administratif de Rennes, 25 juin 2024, CHU de Rennes, n°2402976 : estimant les dénégations de l’agent « peu vraisemblables de la part de quelqu’un qui admet avoir déjà consommé de l’alcool dans des circonstances similaires »). 

Le constat de l’ébriété par éthylotest n’est pas obligatoire pour sanctionner l’agent. Une sanction disciplinaire peut être fondée sur les attestations des collègues témoignant avoir observé une démarche chancelante, un comportement désinhibé ou des effluves révélatrices (Tribunal administratif de la Réunion, 9 mars 2023, Garde des sceaux, n°2000157)

Souffrir d’une addiction n’est pas, en soi, une faute disciplinaire. L’addiction ne justifie pas une sanction, si aucune faute matériellement établie ne peut être retenue contre l’agent (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 31 décembre 2018, Département de la Gironde, n°17BX00336). 

En outre, la dépendance chronique à l’alcool est une pathologie reconnue. Comme toute addiction, elle se caractérise par une perte de contrôle du malade sur sa consommation. 


Faut-il alors faire la distinction entre un écart de conduite momentané chez un agent en pleine possession de ses moyens, et une consommation devenue subie et incontrôlable ? 

Les fautes commises sous l’empire d’un état alcoolique insurmontable, les absences injustifiées à répétition et les performances en baisse peuvent-elles faire l’objet d’une sanction au même titre que les excès commis par un agent non atteint d’une addiction ? La procédure disciplinaire peut-elle être viciée au prétexte qu’une vérification de l’aptitude médicale de l’agent aurait dû être envisagée en premier lieu ?

Le moyen peut être soulevé, mais dès lors qu’une faute disciplinaire est caractérisée, elle peut être sanctionnée « nonobstant l’état de santé de l’agent » (Cour administrative d’appel de Lyon, 4 octobre 2011, Communauté d’agglomération Valence Agglo-Sud Rhône Alpes, n°10LY00723).  

Parfois, le juge administratif s’approprie la logique du juge pénal en s’interrogeant sur une possible abolition du discernement et en indiquant que, si tel était le cas, la responsabilité de l’agent public ne pourrait être retenue (Conseil d’État, Chambres réunies, 10 juillet 2023, Garde des Sceaux, n°458534 ; Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, 6 avril 2023, Communauté de communes Plaine Limagne,n°2002061 ; Cour administrative d’appel de Lyon, 10 janvier 2024, Hospices civils de Lyon, n°22LY03758). Si cet axe de défense ne prospère que rarement pour exonérer l’agent de toute responsabilité, il peut cependant jouer sur la proportion de la sanction disciplinaire lorsque que le discernement de l’agent, sans être « aboli », est tout de même « altéré » (Cour administrative d’appel de Marseille, 9ème Chambre, 19 janvier 2021, n°19MA00735).    

Dans d’autres cas, le juge a pu décider que les fautes commises sous l’empire de l’alcool n’étaient pas « la conséquence inéluctable de la pathologie de l’intéressé liée à l’alcool » et qu’elles étaient donc tout à fait passibles de sanction disciplinaire (Cour administrative d’appel de Lyon, 2 février 2016, Hôpital local de Nyons, n°14LY01490).  Autrement dit le juge administratif a pu rejeter le lien de causalité entre l’addiction à l’alcool et la faute commise plus ou moins sous ses effets, et plutôt moins que plus en l’occurrence. 

Il peut encore rejeter purement et simplement l’idée que la maladie, pour avérée qu’elle soit, fasse obstacle à l’exercice d’une action disciplinaire : 

Cour administrative d’appel de Paris, 23 janvier 2015, Ville de Paris, n°14PA01722

Considérant que si le requérant invoque une addiction à l’alcool, qui en tout état de cause ne serait pas de nature à atténuer sa responsabilité sur le plan disciplinaire, il ne ressort pas des pièces du dossier que celle-ci se soit manifestée pendant le service ni que l’administration en aurait eu connaissance, la circonstance qu’il en aurait informé le médecin de prévention ne pouvant être prise en compte dès lors que ce dernier est tenu au secret médical. 

En revanche, il y a lieu de signaler que le juge tient régulièrement compte des efforts de l’agent pour entreprendre des soins et amender son comportement. Il peut donc juger une sanction disproportionnée lorsque l’administration n’a pas eu la même bienveillance envers l’agent (Tribunal administratif de Besançon, 30 avril 2024, Communauté d’agglomération du Grand Belfort, n°2201404).  

Au-delà de la discipline : accompagner l’agent public en détresse

L’employeur public n’a donc pas, on l’a vu, l’obligation de faire constater l’aptitude médicale d’un agent pour pouvoir sanctionner ses débordements sous l’emprise de l’alcool. Mais au-delà de l’aspect disciplinaire, l’alcoolo-dépendance s’appréhende également sur le plan sanitaire. Prenons l’exemple de la fonction publique territoriale pour voir ce qui peut être mis en œuvre. 

Le médecin du travail (anciennement appelé « médecin de prévention ») est chargé entre autres de la « surveillance médicale des agents » (décret n°85-603 du 10 juin 1985). Cette mission se matérialise par une visite qui a lieu au minimum tous les deux ans. En outre, le médecin du travail organise une « surveillance médicale particulière » à l’endroit des agents « souffrant de pathologies particulières ». 

Outre les visites obligatoires, le décret du 10 juin 1985 prévoit que l’agent peut bénéficier d’une visite à sa demande, sans que l’administration ait à en connaître le motif. L’administration peut également demander au médecin du travail de recevoir un agent. 

Le médecin du travail s’impose donc comme un premier relai offert à l’agent pour s’ouvrir sur les difficultés qu’il rencontre et mettre en œuvre un protocole de traitement, d’autant plus que l’addiction est fortement susceptible d’être accompagnée d’une cohorte d’autres troubles physiques et psychologiques. 

Malheureusement, il n’est pas rare d’être confronté à un agent dans le déni face à une pathologie pourtant manifeste. Dans ce cas, lorsque la situation devient intenable pour le service, le placement en congé d’office peut s’imposer.

Il s’agit d’une faculté ouverte par l’article 24 du décret du 30 juillet 1987 relatif à l’organisation des conseils médicaux, aux conditions d’aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux. 

Lorsque l’autorité territoriale estime, au vu d’une attestation médicale ou surle rapport des supérieurs d’un fonctionnaire, que celui-ci remplirait les conditions pour avoir droit à un congé de longue maladie ou un congé de longue durée, il saisit le conseil médical pour avis et en informe le médecin du travail du service de médecine préventive attaché à la collectivité ou l’établissement dont relève le fonctionnaire concerné qui transmet un rapport au conseil médical.

Dans l’attente de l’avis du conseil médical, l’agent peut être placé en congé d’office à titre conservatoire, mais uniquement à condition que la maladie ait été dûment constatée et qu’elle mette l’agent dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions (Cour administrative d’appel de Nantes, 7 juillet 2016, Syndicat mixte pour l’alimentation en eau potable de la région Mancelle, n°15NT01990). Or, c’est toute la difficulté lorsque l’agent ne reconnait pas, et ne veut pas voir reconnaitre sa pathologie. Il est délicat d’obtenir un diagnostic d’une pathologie de cette nature contre la volonté et contre les déclarations de l’agent concerné.  

Force est de constater cependant que le Juge administratif examine avec pragmatisme la situation, au vu des éléments portés à sa connaissance tant sur le constat de la maladie que sur ses conséquences sur le service. 

Enfin, en tout état de cause, si la voie disciplinaire s’avère la seule susceptible d’aboutir à une solution, le juge tiendra compte des efforts fournis par l’administration pour placer l’agent dans une « position administrative en adéquation avec le besoin de soins de l’agent ». Corrélativement, il constatera les démarches entreprises par l’agent pour faire échec à ces procédures « notamment en fournissant à l’administration des certificats médicaux attestant de la compatibilité de son état de santé avec l’exercice de ses fonctions et en refusant de se rendre aux convocations du médecin de prévention » (Conseil d’État, Chambres réunies, 10 juillet 2023, Garde des Sceaux, n°458534). 

En définitive, aider l’agent à surmonter son addiction et le sanctionner pour les excès commis en service sont deux démarches compatibles, qui peuvent être menées de front, dans l’intérêt de l’agent comme celui du service. 

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