Vérifiez que l’agent remplit les conditions pour bénéficier de la protection fonctionnelle
Avant même d’octroyer votre protection à un agent public qui vous en fait la demande, vérifiez qu’il remplit effectivement les conditions pour entrer dans le cadre de ce régime.
En effet, une fois la protection fonctionnelle accordée, et une fois écoulé le délai de quatre mois dans lequel cette décision peut être retirée, il est trop tard pour faire machine arrière même s’il s’avère que l’agent ne pouvait prétendre à cette protection.
Les faits sont-ils couverts par la protection fonctionnelle ?
D’abord, vérifiez que les faits en question font partie de ceux qui ouvrent le droit à la protection fonctionnelle. Sont couverts : les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations et les outrages. Du côté de l’agent dont un tiers recherche la responsabilité, le code général de la fonction publique limite la protection fonctionnelle, soit à l’engagement de la responsabilité civile de l’agent devant les juridictions judiciaires, soit à l’exercice de poursuites pénales, à la garde à vue, à l’audition sous le statut de témoin assisté, ou à la composition pénale. Si les faits qui vous sont rapportés ne rentrent pas dans ces qualifications, alors il n’y a pas lieu d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle
Ensuite, demandez-vous si l’agent a bien été pris pour cible, ou a bien engagé sa responsabilité, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Autrement dit, l’agent doit avoir été visé parce qu’il exerçait normalement ses fonctions d’agent public, comme c’est souvent le cas des agents de police municipale ou des agents d’accueil, en première ligne face à la colère de certains administrés.
En revanche, une brouille entre agents qui résulte en réalité d’un conflit personnel ne donne pas lieu à l’octroi de la protection fonctionnelle (Cour administrative d’appel de Nantes, 13 octobre 2020, Commune de Tours, n°19NT00525). De même, un agent visé alors qu’il agit au titre de son mandat de représentation syndicale, et non de représentant du personnel, n’est pas pris à parti dans l’exercice de ses fonctions d’agent public, et n’a donc pas le droit à la protection associée (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 6 juillet 2020, Toulouse Métropole, n°18BX04050).
A ce titre, assurez-vous également que l’agent n’ait pas commis de « faute personnelle détachable du service » (comprenez : une faute d’une particulière gravité), à l’origine de la situation, car dans ce cas la protection fonctionnelle ne lui est pas due.
La demande de protection fonctionnelle est-elle assez précise ?
Si l’agent qui sollicite le bénéfice de la protection fonctionnelle n’est pas tenu à des obligations strictes en ce qui concerne le formalisme de sa demande, il ressort toutefois de la jurisprudence que cette demande doit être suffisamment circonstanciée pour vous permettre d’apprécier si l’agent remplit les conditions prévues par les textes. L’agent doit a minima fournir à l’autorité administrative « les éléments lui permettant de statuer sur sa demande » (Conseil d’État, 24 août 2011, Cour des comptes, n°330659), sans quoi cette dernière est fondée à lui répondre qu’elle ne peut pas y donner suite.
Par exemple, un agent qui demande le bénéfice de la protection fonctionnelle, sans préciser que sa demande porte notamment sur le remboursement de ses frais d’avocat, ne peut pas se plaindre par la suite d’un refus de prise en charge. Si l’administration a pris une autre mesure efficace pour protéger l’agent, par exemple en séparant l’agent victime de son supérieur maltraitant, le juge peut considérer qu’elle a rempli sa part du contrat (Cour administrative d’appel de Nancy, 13 juillet 2022, Département des Vosges, n°21NC02778). En effet, à défaut de précisions de la part de l’agent, il revient à l’autorité administrative d’apprécier les modalités appropriées à l’objectif de protection.
Accordez la protection fonctionnelle une procédure à la fois
L’article R.134-3 du code général de la fonction publique vous permet de circonscrire l’étendue de votre protection, en indiquant que la décision de prise en charge « précise les modalités d’organisation de cette protection, notamment sa durée qui peut être celle de l’instance ».
Ainsi, par exemple, vous pouvez tout à fait prendre une décision de prise en charge qui ne concerne, dans un premier temps, que la procédure en cours devant le tribunal correctionnel. Il incombera à l’agent de vous présenter une nouvelle demande s’il souhaite interjeter appel de la décision de justice (Tribunal administratif d’Amiens, 6 juillet 2023, Centre hospitalier Amiens-Picardie, n°2200058).
Évitez donc les formulations trop larges du type « prise en charge des frais de justice dans le cadre de poursuites pénales » et préférez des termes délimitant bien le cadre de la protection étape par étape, comme par exemple : « prise en charge des honoraires d’avocat relatif à la production d’écritures et à la représentation à l’audience devant le tribunal correctionnel… ».
Est-ce que cela vous autorise à refuser de prendre en charge un appel, ou toute action dont le succès vous paraît illusoire ? La question mérite d’être posée, dès lors que la prise en charge se limite aux frais qui ne sont pas inutiles au regard de l’objectif de protection de l’agent. Logiquement, rien ne s’oppose à pareil refus (Conseil d’État, 31 mars 2010, Ville de Paris, n°318710), bien que l’on entrevoie sans difficulté la complexité de la tâche qui consiste à évaluer avec fiabilité les chances de succès de l’agent devant le juge.
En tout état de cause, accepter de prendre en charge les frais d’avocat une procédure à la fois vous permet au moins de vérifier que l’agent agit bien à raison des faits qui ont justifié l’octroi de la protection fonctionnelle en premier lieu, sans étendre ses actions à des faits qui se détacheraient progressivement du conflit initial.
Prenez les devants pour fixer un cadre avec l’avocat
Un agent poursuivi, ou engageant des poursuites, est toujours libre de choisir son avocat. En effet, le libre choix de l’avocat est un principe de droit absolument cardinal dans toute procédure.
A partir de là, le code général de la fonction publique prévoit deux possibilités :
- Soit l’agent communique à l’administration le nom de son avocat et la convention d’honoraires qu’il a conclue avec ce dernier, contrat obligatoire pour toute procédure, sauf en cas d’urgence, de force majeure, ou lorsque l’agent est éligible à l’aide juridictionnelle totale. Dans ce cas l‘administration rembourse les frais avancés par l’agent sur présentation des factures.
Élément particulièrement intéressant, le code prévoit que, lorsque l’agent conclut directement une convention d’honoraires avec son avocat, il existe un plafond de prise en charge (article R.134-6).Pour l’heure toutefois, l’arrêté ministériel auquel renvoie le texte pour la fixation de ce plafond n’est toujours pas paru. Il est vrai que la publication de ce texte constituait, dans le cadre de la pandémie de Covid-19, un « chantier moins prioritaire » (Réponse ministérielle à la question n°26455, publiée au JO Sénat du 28 avril 2022), mais dont on peut toutefois déplorer qu’il n’ait a priori pas été relancé.
- Soit une convention est conclue directement entre l’administration et l’avocat, et qui « peut être signée » par l’agent. Dans ce cas, l’administration règlera directement les honoraires dus à l’avocat. Cette convention, comparable à celle conclue directement entre l’avocat et l’agent, a pour but d’organiser les relations les deux parties :
- La convention fixe les modalités de détermination du montant des honoraires de l’avocat, forfaitairement ou selon un tarif horaire ;
- Elle précise comment les autres frais et débours seront pris en charge (déplacement aux audiences, etc.) ;
- Elle peut prévoir une prise en charge des honoraires au fur et à mesure de leur engagement, à titre d’avances et sur justificatifs…
En somme, que l’agent traite avec son avocat, ou que vous preniez les devants en concluant directement une convention avec ce dernier : les éléments financiers de la prestation de l’avocat ne sont pas tabous, et ne doivent pas être conclus hors de votre regard. L’administration est légitime à réclamer la convention d’honoraires, et les factures de l’avocat, avant de desserrer les cordons de la bourse.
Attention, le fait de prendre en charge directement les frais d’avocat ne donne pas le droit à l’administration de s’immiscer dans la défense de l’agent. Seulement, elle a un droit de regard sur les modalités des règlements à venir afin de pourvoir les anticiper fluidement et en toute transparence.
Refusez de prendre en charge les demandes injustifiées, inutiles ou manifestement excessives
Enfin, une fois le principe de la prise en charge des frais d’avocats acté, et une fois ses modalités encadrées en amont, retenez que « l’administration n’est pas tenue de prendre à sa charge, dans tous les cas, l’intégralité de ces frais » (Conseil d’État, 9 juillet 2014, Commune de Lourdes, n°380377).
Tel que cela a été précisé plus haut : la prise en charge des frais est subordonnée à leur justification par une facture. Cela est aussi vrai, en outre, pour certains frais annexes à la prestation de l’avocat, qui n’ont pas vocation à être pris en charge s’ils n’ont pas été utiles dans le cadre de la défense. Il en va ainsi de la facture du détective privé engagé par un agent, dépense inutile puisque la police avait mené un travail d’investigation suffisant selon le juge (Cour administrative d’appel de Paris, 20 décembre 2019, Ministre de l’éducation nationale, n°17PA22908).
Enfin, l’administration conserve la possibilité de ne prendre en charge que la part des honoraires qui ne lui apparait pas comme « manifestement excessive ». Cela doit être déterminé « au regard, notamment, des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession, des prestations effectivement accomplies par le conseil pour le compte de son client ou encore de l’absence de complexité particulière du dossier. » (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 9 mai 2017, Commune de Saint-Georges-de-Didonne, n°15BX01768).
Cette précision ressort également des dispositions de l’article R.134-7 du code général de la fonction publique, applicables aux cas où l’administration a conclu une convention avec l’avocat, et précisant que la faculté de refuser la prise en charge de ces frais « manifestement excessifs » doit alors être prévue par le contrat.
Le caractère excessif des honoraires étant hautement subjectif, il convient d’user de cette faculté avec discernement et parcimonie. En précisant que les dépenses à rejeter doivent être manifestement excessives, et non simplement excessives, ces dispositions n’ont vocation à concerner que les factures inexplicablement exorbitantes.
En définitive, l’octroi de la protection fonctionnelle à un agent ne doit pas être vu comme une sentence obligeant inéluctablement l’administration à l’égard de l’agent concerné et de son avocat. Le régime juridique du mécanisme permet d’associer l’administration à la détermination des modalités de la prise en charge de ces frais. Une fois la prestation exécutée, l’administration est également fondée à refuser de prendre en charge certaines dépenses ou à les limiter les montants. Évidemment, tout refus de prise en charge, d’emblée ou après octroi de la protection fonctionnelle, se fera « sous le contrôle du juge ». A ce titre, le rôle du juge pour combler le large silence des textes, soumet naturellement les employeurs publics à un aléa judiciaire non négligeable. Il sera donc nécessaire, avant chaque prise de décision, de peser le pour et le contre en termes de risques contentieux.