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10/06/2025

Quand débute officiellement la procédure disciplinaire ?

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Rédigé par

Mina Moal

La procédure disciplinaire engagée à l’encontre d’un agent public territorial ayant commis une faute disciplinaire comporte une série d’étapes. Enquête, rapport de saisine, convocation, consultation du dossier, conseil de discipline… Les textes évoquent clairement l’existence des différentes étapes mais sont bien moins prolixes quant à l’ordre précis dans lequel elles doivent être menées, surtout en ce qui concerne les premières démarches du processus. La question peut donc légitimement se poser de l’évènement qui marque officiellement l’ouverture de la procédure disciplinaire. Voyons pourquoi la réponse est importante. Trouvons-la ensemble !

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L’ouverture de la procédure disciplinaire comporte un réel enjeu

Déterminer la date à laquelle la procédure disciplinaire a été engagée permet d’abord de s’assurer que les droits de l’agent sont bien respectés, ce qui est essentiel pour sécuriser la sanction disciplinaire. Cela permet encore de s’assurer que la procédure ne s’enlise pas, car la collectivité territoriale commettrait elle-même une faute en soumettant l’agent à cette épreuve sur une durée « anormalement longue ».

Dans une décision du 19 décembre 2024 (n°490157), le Conseil d’État est venu rappeler que l’agent public territorial, contractuel ou titulaire, doit être informé de son droit au silence avant d’être entendu pour la première fois dans le cadre de la procédure disciplinaire. Il ajoute que, si ce droit n’existe pas dans le cadre d’une simple enquête administrative, c’est à condition que l’audition de l’agent n’ait pas lieu alors que la procédure disciplinaire était déjà amorcée.

Cette solution paraît tout à fait logique. Il est inconcevable de priver de ses droits l’agent public mis en cause en ouvrant, en pleine procédure disciplinaire, une enquête administrative dont le seul but serait de contourner les garanties attachées à la procédure disciplinaire.  Il y aurait là un grave manquement à l’obligation de l’administration d’établir la preuve des fautes de l’agent de manière loyale (Conseil d’Etat, 16 juillet 2014, Commune de Jouy-en-Josas, n°355201)

Cette décision concerne expressément le droit au silence, mais il en irait de même pour le reste des droits des agents publics poursuivis : le droit d’être assisté par un défenseur de son choix, le droit de consulter son dossier et le droit de présenter des observations.

Encore faut-il, pour appliquer ces principes et permettre à l’agent d’exercer ses droits, savoir si la procédure disciplinaire a déjà démarré ou non, au moment de l’enquête administrative. Question d’autant plus cruciale que la méconnaissance des droits de l’agent est susceptible d’aboutir en bout de course à une annulation de la sanction disciplinaire par le juge administratif.

Dans une moindre mesure, savoir quand la procédure disciplinaire a réellement commencé, c’est aussi pouvoir calculer sa durée totale. L’intérêt ? Identifier les procédures anormalement longues qui engagent la responsabilité pour faute de l’administration.

Aucun délai impératif n’est imposé à l’autorité territoriale pour mener à bien une procédure disciplinaire. Il peut donc être tentant de retarder les échéances, surtout quand une procédure pénale parallèle est en cours, et que l’autorité territoriale attend son verdict afin d’ajuster le tir dans le volet administratif. Attention toutefois à ne pas trop tarder. En effet, ce n’est pas l’engagement de la procédure qui interrompt le délai de prescription triennale, mais bien la date à laquelle la sanction est prononcée (Conseil d’État, 1 juillet 2022, Ministre de l’Europe, n°465257).

Au passage, si le décret du 18 septembre 1989 dispose que le conseil de discipline se prononce dans un délai de deux mois à compter de la saisine, le juge administratif rappelle régulièrement le caractère indicatif de délai (Conseil d’État, 29 juillet 1994, Commune de Grand-Bourg-de-Marie-Galante, n°135096).   

En outre, l’agent n’est pas complètement démuni face à une procédure disciplinaire qui s’éterniserait. Il lui sera possible d’engager la responsabilité de l’administration pour délai de procédure excessif, pourvu qu’il ait subi « un préjudice moral dépassant les préoccupations habituellement causées par une telle procédure » (Tribunal administratif de Bordeaux, 19 avril 2023, École nationale de l’administration pénitentiaire, n°2003581 : l’agent avait pu engager la responsabilité de l’administration avec succès pour une procédure de 18 mois au terme de laquelle il avait été blanchi).

Sans être illusoire, ce recours ne saurait faire naître de grands espoirs chez un agent public : les condamnations de l’administration restent peu fréquentes. Par exemple dans le jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 3 octobre 2023, Commune d’Aubervilliers, n°2009604, le juge reconnaît des atermoiements injustifiés mais considère qu’un délai de procédure de 2 ans et 1 mois n’est en tout état de cause pas excessif en l’espèce). Cela dépendra notamment des explications que peut donner l’administration pour justifier qu’une issue à la procédure n’ait pas été trouvée plus tôt.

Quoi qu’il en soit, il faut bien, pour évaluer la durée de la procédure, être capable de fixer son point de départ.

Quel évènement marque le début de la procédure disciplinaire ?

En définitive, qu’est-ce que cela signifie : « engager des poursuites » ? Autrement dit, quelle étape de la procédure disciplinaire doit être retenue comme son point de départ ?  

La « connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction » constitue le point de départ du délai de prescription triennale (article L.532-2 du code général de la fonction publique), mais pas le point de départ de la procédure disciplinaire.

En effet, l’administration n’est jamais obligée d’engager une procédure disciplinaire contre un agent public territorial, quels que soient les faits qui lui ont été rapportés. De fait, la procédure ne peut pas être « automatiquement » engagée sous prétexte que les faits fautifs sont simplement portés à la connaissance de l’administration.

Quid alors de la date à laquelle l’administration a pris la décision d’engager une procédure disciplinaire ? On pourrait considérer que l’agent devrait bénéficier des garanties attachées à la procédure disciplinaire dès le moment où l’autorité territoriale a décidé de le poursuivre. Après tout, le comportement de l’administration envers l’agent est susceptible d’évoluer sérieusement à partir de cette date, notamment parce qu’elle va chercher à collecter des preuves de ses manquements.

Une difficulté d’ordre pratique va néanmoins se poser : comment fixer la date d’un évènement qui n’a pas nécessairement laissé de trace écrite ? Comment qualifier juridiquement la seule intention abstraite de l’administration ? Pour ces raisons, ce point de départ complexe à manier n’est pas celui qui est retenu.

Certes, la suspension d’un agent public territorial est, juridiquement, une mesure administrative et non disciplinaire. C’est ce qui explique que l’agent n’a pas le droit, à ce stade, de bénéficier des garanties de la procédure disciplinaire (Conseil d‘État, 22 novembre 2004, Ministre de la jeunesse, n°244515).  

Il n’en reste pas moins que, dès lors que l’agent est suspendu, il est informé que la collectivité le soupçonne fortement d’avoir commis une faute grave (article L.531-1 du code général de la fonction publique). S’il fait des déclarations à ce stade, on peut imaginer qu’elles abonderont la future procédure à son encontre. On pourrait donc concevoir que la protection à laquelle il a droit commence en fait à s’appliquer à ce stade.

Pourtant, ce n’est toujours pas la suspension de l’agent qui marque le début de la procédure disciplinaire. Pour cause, aucun principe n’oblige l’administration à engager une procédure disciplinaire à la suite d’une mesure de suspension (par exemple : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 31 mai 2023, SDIS du Val D’Oise, n°2208531).

La problématique de l’enquête administrative est similaire à celle de la suspension. Certainement, l’administration suspecte que des manquements ont été commis par l’agent, mais ce dernier n’est pas nécessairement poursuivi pour autant. Peut-être ne le sera-t-il jamais.

Il convient de conceptualiser l’enquête administrative non comme une étape de la procédure, mais comme un outil à la disposition de l’administration pour faire la lumière sur des faits, que ce soit avant l’engagement d’une procédure disciplinaire, concomitamment à une procédure disciplinaire, ou, pourquoi pas, si cela s’y prête, après une procédure disciplinaire.

Simplement, comme le rappelait le Conseil d’État en décembre 2024, si l’enquête administrative est menée concomitamment à la procédure disciplinaire, il convient de la requalifier intellectuellement en « enquête disciplinaire » et de ne pas omettre d’observer le respect des droits de la défense.

La saisine du conseil de discipline a le mérite de constituer un évènement comportant une date objectivement vérifiable, et matérialisant sans ambiguïté la volonté de l’administration de sanctionner l’agent.

Problème de taille : la saisine du conseil de discipline n’est pas une formalité requise pour l’ensemble des sanctions… Les sanctions du premier groupe (avertissement, blâme, exclusion d’une durée maximale de trois jours) ne sont pas soumises à l’avis préalable du conseil de discipline, alors qu’elles doivent bien par ailleurs être prises au terme d’une procédure disciplinaire en règle.

Vous l’aurez compris, c’est bien l’information délivrée à l’agent qu’une procédure disciplinaire est engagée à son encontre qui constitue le point de départ de cette même procédure (pour illustration, entre autres exemples : Cour administrative d’appel de Nantes, 19 février 2004, Monsieur Frantz X., n°01NT00559 ; Tribunal administratif de Toulon, 1 décembre 2022, Commune de Cabasse, n°2001303).

Pour mémoire, cette information comporte les éléments suivants  : « L’autorité investie du pouvoir disciplinaire informe par écrit l’intéressé de la procédure disciplinaire engagée contre lui, lui précise les faits qui lui sont reprochés et lui indique qu’il a le droit d’obtenir la communication intégrale de son dossier individuel au siège de l’autorité territoriale et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs conseils de son choix » (article 4 du décret du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux), auquel il faut ajouter le droit de présenter des observations et celui de garder le silence.

L’information de l’agent doit être écrite, ce qui garantit la traçabilité de cette information, et elle s’applique en toutes circonstances, quel que soit le degré de sanction visé. Elle constitue donc un point de départ objectif et uniforme pour l’ensemble des procédures disciplinaires.

Retenez que dès lors que vous délivrez à un agent l’information qu’une procédure disciplinaire est engagée contre lui, vous actez l’ouverture de cette procédure. A partir de cette date, l’agent a le droit aux garanties qui s’y attachent : droit au silence, droit d’être assisté par une ou plusieurs personnes de son choix, droit de présenter des observations, droit de consulter son dossier.

Est-ce à dire qu’il suffit de repousser cette information le plus longtemps possible, afin de pouvoir interroger librement un agent sans s’embarrasser de ces garanties ?  Non, bien-sûr, car il s’agirait du « détournement de procédure » contre lequel le Conseil d’État met en garde dans sa décision du 19 décembre 2024. Or, l’autorité hiérarchique reste tenue d’une obligation de loyauté dans la conduite de la procédure disciplinaire.

Lorsque vous vous apprêtez à entendre un agent potentiellement mis en cause dans le cadre d’une enquête administrative, demandez-vous, au cas par cas, s’il n’est pas nécessaire d’informer l’agent de ces droits dès ce stade. Et si le doute persiste, le Cabinet LGP répond à toutes vos questions.

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