L’obligation de dignité répond à un enjeu d’image du service public
L’obligation de dignité qui contraint l’agent territorial à conserver un comportement exemplaire est étroitement liée à la nécessité de protéger au mieux la réputation de l’administration.
Historiquement, elle n’a été introduite que depuis 2016 dans les textes, et à l’article L.121-1 du Code général de la fonction publique par ordonnance du 24 novembre 2021.
Pourtant, dès 1927, Maurice HAURIOU indiquait dans son Précis de droit administratif que le fonctionnaire est un citoyen spécial, non un salarié comme un autre. L’agent public donne corps à l’administration. Il représente le service public et se doit en tant que tel d’adopter un comportement exemplaire.
La jurisprudence a explicitement rattaché l’obligation de dignité à la nécessité de préserver l’administration des atteintes à sa réputation. La collectivité qui souhaite sanctionner un agent au titre du manquement à son obligation de dignité doit rapporter la preuve que le comportement reproché porte atteinte à l’image tant du service public que de l’administration qui l’emploie.
Ainsi, la participation d’une directrice des affaires sociales d’une commune à une émission de télé-réalité (« L’amour est aveugle » sur TF1), quand bien même elle se présente comme la directrice du service social d’une commune dans cette émission, ne peut pas être qualifiée de manquement à l’obligation de dignité et justifier une sanction disciplinaire dès lors que la commune ne rapporte pas la preuve qu’elle a porté atteinte à son image et à celle de la fonction publique territoriale (Tribunal administratif de Montreuil, 30 octobre 2015, n°1400969).
En outre, le juge administratif tient compte de la nature des missions exercées dans le service et du niveau des fonctions confiées à l’agent pour mesurer un éventuel manquement à l’obligation de dignité.
Ainsi, des faits de détention d’images à caractère pédopornographiques et de corruption de mineur sont susceptibles de constituer une atteinte à la réputation de l’administration, même s’ils sont commis en dehors du service et sans lien avec lui, dès lors qu’ils sont d’une extrême gravité et qu’en outre l’agent exerce ses fonctions au sein d’une maison départementale des personnes handicapées et est en contact constant avec un public vulnérable (Tribunal administratif de Besançon, 25 juillet 2019, n°190163).
Quels comportements violent l’obligation de dignité ?
L’obligation de dignité s’étend à des situations extrêmement diverses afin de protéger au mieux la réputation de l’administration.
L’obligation de dignité dans le service
Les agents publics doivent avoir un comportement exemplaire à l’égard des usagers, des collègues, de la hiérarchie à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions au sein du service.
Lorsqu’on évoque le comportement, on pense notamment à l’attitude que doivent adopter les agents dans l’exercice de leurs fonctions.
Il a été considéré qu’était contraire à l’obligation de dignité le comportement d’un gardien de la paix qui, après avoir rejoint un groupe de messagerie WhatsApp, créé en octobre 2019 par l’un de ses collègues et composé notamment de ses collègues fonctionnaires de police de l’unité d’aide et d’assistance judiciaire à laquelle il appartenait, y tient des propos racistes et discriminatoires (Conseil d’État, 28 décembre 2023, n°474289).
Le caractère exemplaire de l’attitude d’un agent public s’apprécie aussi vis-à-vis de la tenue vestimentaire de l’agent.
Un agent responsable du service tranquillité publique d’une commune qui manque à l’obligation de dignité en ne respectant pas les dispositions du règlement intérieur imposant le port d’une tenue vestimentaire spécifique pour les responsables de service et se promenait parfois muni d’une simple serviette dans le local commun en présence de femmes exerçant leurs fonctions dans le service (Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 6 mars 2025, n°2106866).
Le manque de respect dans sa façon de s’exprimer ou de se comporter vis-à-vis des collègues ou des usagers, est également considéré comme contraire à la dignité.
Par exemple, manque à son obligation de dignité un attaché d’administration hospitalière qui refuse sèchement la parole à une assistante lors d’une réunion de travail, qui tient des propos déplacés, à connotation sexuelle, dans le cadre du service, qui adopte un comportement ambigu avec de nombreuses collègues féminines, qui tente de séduire de manière très insistante l’une d’entre elles (Cour administrative d’appel de Lyon, 10 juillet 2024, n°22LY03756).
Une autre illustration est donnée dans une affaire dans laquelle une attachée territoriale avait adopté un comportement irrespectueux à l’égard des agents placés sous sa responsabilité, en leur tenant des propos grossiers et humiliants et avait affublé ses collaborateurs de surnoms insultants, vulgaires ou racistes (Cour administrative d’appel de Nancy, 27 juin 2024, n°22NC02018).
Les fonctionnaires et les agents contractuels sont également tenus à leur obligation de dignité en dehors du service.
L’obligation de dignité en dehors du service
Avant leur entrée dans le service, l’administration vérifie si le candidat à l’accès à la fonction publique n’a pas une mention à son bulletin n°2 de son casier judiciaire qui serait incompatible avec l’exercice des fonctions d’agent public (article L.321-1 3° du Code général de la fonction publique).
Le Conseil d’État a jugé que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que l’autorité compétente aille au-delà du bulletin n°2 du casier judiciaire et apprécie compte-tenu de l’intérêt du service et de la nature des fonctions auxquelles le candidat aspire, s’il présente les garanties requises pour les exercer.
Dans cette affaire, l’autorité compétente avait refusé l’accès à la fonction publique d’un candidat en raison de faits de vol à l’étalage qu’il avait commis, sans pour autant qu’une condamnation soit inscrite au bulletin n°2. L’administration dispose ainsi, sous le contrôle du juge administratif, d’une marge de manœuvre assez importante pour apprécier ce qui était appelé autrefois la bonne moralité du candidat à l’accès à un concours de la fonction publique (Conseil d’État, 25 octobre 2004, n°256944).
Le fonctionnaire est tenu à une obligation de dignité dans le cadre de sa vie privée, en dehors de l’exercice de ses fonctions.
L’apparition des réseaux sociaux a rendu de plus en plus ténue la frontière entre vie personnelle et exercice des fonctions des agents publics. Des publications sur des réseaux sociaux par des agents publics sont de nature à jeter un discrédit sur l’administration.
Il a été jugé, par exemple, que des propos visant à remettre en cause la politique de ressources humaines d’un établissement public de santé, largement diffusés par l’intermédiaire du réseau social Facebook, par un agent, portaient atteinte à la réputation de l’établissement et justifiaient une sanction disciplinaire dès lors que d’autres voies légales auraient pu être utilisées (Tribunal administratif de Versailles, 5 décembre 2024, n°2201820).
D’autres exemples témoignent du fait qu’un agent peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire au titre d’un manquement à la dignité, pour un comportement adopté dans sa vie privée.
Par exemples, les comportements suivants ont été reprochés à des agents : des actes de violence commis à l’encontre d’un voisin (Conseil d’État, 24 juin 1988, n°81244) ou commis par un policier lors d’un repas de mariage à l’encontre de son épouse (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 11 janvier 1996, n°94BX00308) ; des mauvaises fréquentations comme des trafiquants d’alcool pour un Inspecteur des impôts (Conseil d’État, 13 décembre 1968, n°72443) ou une prostituée par un sous-brigadier (Conseil d’État, 14 mai 1986, n°71856) ; une conduite en état d’ivresse pour un policier (Conseil d’État, 5 décembre 1980, n°13800).
Enfin, l’obligation de dignité est effective y compris après la fin du service. L’administration contrôle, jusqu’à trois ans après la cessation des fonctions de l’agent, si l’activité privée qu’il projette d’exercer ou la création ou reprise d’une entreprise ne vont pas à l’encontre d’un principe déontologique et notamment de l’obligation de dignité.
Qu’ils soient commis dans ou en dehors du service, ces manquements à l’obligation de dignité peuvent nuire à l’image du service. L’administration dispose néanmoins de plusieurs outils pour protéger sa propre réputation.
Les outils juridiques pour sanctionner les manquements à l’obligation de dignité
L’autorité hiérarchique a à sa disposition des outils préventifs mais aussi des outils de sanction pour empêcher les manquements à l’obligation de dignité pouvant nuire à l’image du service.
Des mécanismes préventifs à disposition de l’autorité hiérarchique
Si le règlement intérieur du service est un premier mécanisme qui peut permettre à l’administration d’imposer certains comportements aux agents ou de leur en interdire d’autres, faut-il encore que la prescription et l’obligation soient proportionnées au but recherché par l’administration.
Ainsi, la disposition d’un règlement intérieur interdisant le port des shorts et bermudas aux enseignants a été jugée légale en raison du fait qu’un enseignant, en contact constant avec les élèves usagers du service, doit avoir un comportement exemplaire (Tribunal administratif de Cayenne, 3 juin 2006, n°992877).
Les mœurs évoluent avec le temps. Ce qui n’était pas considéré comme étant exemplaire au début des années 2000 ne l’est peut-être plus aujourd’hui. Lorsqu’on rédige un règlement intérieur, il faut donc penser à l’intérêt du service, aux comportements qui peuvent lui nuire aujourd’hui, dans le contexte actuel.
Par ailleurs, le management au quotidien permet lui aussi de prévenir des comportements susceptibles de porter atteinte à l’obligation de dignité. Des réunions d’information ou de rappel aux agents sur la nécessité d’adopter un comportement exemplaire dans et en dehors du service peuvent être programmées.
Toutes ces actions préventives peuvent permettre in fine de réduire le risque de commission de faits contraires à l’obligation de dignité.
Le mécanisme de sanction disciplinaire à l’encontre de l’agent fautif
Une sanction disciplinaire légale repose traditionnellement sur une faute matériellement établie, une sanction proportionnée, une procédure régulière.
Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire (article L.530-1 du Code général de la fonction publique). C’est le cas d’un manquement à l’obligation de dignité.
L’établissement du manquement à l’obligation de dignité peut reposer sur une enquête administrative voire sur un compte-rendu d’intervention des équipes de sécurité.
Ainsi, dans une affaire, l’autorité hiérarchique s’était appuyée sur le compte-rendu d’intervention des équipes de sécurité d’un site pour sanctionner un agent qui avait agressé un de ses collègues et enduit sa tenue de travail de soude liquide, ce alors même qu’il avait lui-même porté plainte pour avoir été menacé de mort par ce même collègue à l’aide d’un marteau, sans qu’il n’en rapporte la preuve et sans qu’il ne s’en soit plaint à quiconque (Tribunal administratif de Lyon, 30 décembre 2022, n°2200379).
Le principe de loyauté de l’administration à l’égard des agents publics n’empêche pas l’administration de pouvoir engager une agence de détectives privés pour enquêter sur le comportement d’un agent dans sa vie privée. En l’espèce, il s’agissait de confirmer des soupçons selon lesquels l’agent exerçait une activité privée lucrative durant ses congés (Conseil d’État, 16 juillet 2014, n°355201).
L’autorité hiérarchique peut donc légalement engager un détective privé afin d’enquêter sur un comportement d’un agent qui porterait atteinte à son obligation de dignité et, par extension, à la réputation de l’administration.
Le juge administratif exerce un contrôle de la proportionnalité de la sanction à la faute au regard de la gravité de la faute, des fonctions exercées par l’agent, de la publicité de l’affaire pour analyser l’atteinte à la réputation de l’administration.
Le Conseil d’État a par exemple considéré que des propos racistes tenus par un policier sur un groupe de discussion WhatsApp qui comprend tous les collègues du service justifient une révocation eu égard à la gravité des propos, à la nécessité d’une exemplarité particulière pour un policier et à la publicité des propos (Conseil d’État, 28 décembre 2023, n°474289 précité).
Existe aussi la possibilité de suspendre l’agent de ses fonctions, pendant un délai de 4 mois, lorsque les faits sont suffisamment graves et qu’il y a nécessité d’écarter l’agent dans l’intérêt de la protection du service (article L.531-1 du Code général de la fonction publique).
Cet impératif de protéger le service est rappelé notamment par une circulaire du ministre de l’Éducation nationale consacrée à la protection du milieu scolaire et à la lutte contre les violences scolaires (Circulaire ministère de l’Éducation nationale, NOR MENB0100656C, du 15 mars 2001).
La mesure de suspension y est décrite « comme particulièrement appropriée dès lors qu’une mise en examen pour des faits de violences sexuelles a été prononcée à l’égard d’un fonctionnaire du ministère de l’Éducation nationale« . Elle permet également l’émergence de la vérité et garantit le retour de la sérénité dans la vie scolaire.
Une suspension peut aussi être décidée à l’égard d’un agent pour des faits commis en dehors de l’exercice des fonctions dès lors qu’ils nuisent à l’image du service (Cour administrative d’appel de Lyon, 1er décembre 2015, n°14LY00725).
En définitive, dans l’intérêt du service, des mesures de suspension ainsi que des sanctions disciplinaires proportionnées peuvent être prises afin de préserver la réputation de l’administration.