Résumé : Pour inaugurer cette nouvelle série d’articles sur les arrêts qui ont marqué la mise en oeuvre de la loi Littoral, le Blog Loi Littoral revient sur l’arrêt « Société Soleil d’Or » du 7 février 2005. Cette décision importante rappelle que dans les espaces proches du rivage, une opération n’entraîne une extension de l’urbanisation que si elle a pour effet d’étendre un périmètre bâti ou d’en modifier les caractéristiques de manière significative.
Le régime de l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage est défini par l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. Aux termes de ces dispositions, dans les espaces proches du rivage, l’extension de l’urbanisation doit être limitée. Elle doit, en outre, être justifiée par le PLU selon des critères tirés de la configuration des lieux ou de l’accueil d’activités économiques qui exigent la proximité immédiate de l’eau ou conforme aux dispositions d’un SCOT. A défaut, l’accord du préfet dans le département doit être obtenu.
La jurisprudence a hésité sur la notion d’extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions. Elle s’est notamment interrogée sur la qualification à donner aux constructions situées en espace urbanisé. Dans un premier temps, le Conseil d’État a considéré qu’un projet de construction entraînant la création de 66 logements et commerces en centre-ville n’entraînait pas une extension de l’urbanisation (CE, 28 juillet 1999, n°189941, Association Fouras environnement écologie).
Des Cours administratives d’appel ont déduit de cette décision qu’une construction en espace urbanisé ne pouvait pas, quelle que soit son importance, constituer une extension de l’urbanisation (CAA Lyon, 28 avril 1998, n° 94LY1877 et n° 95LY0003, Société Sudinvest et Ville Antibes). Cette solution radicale privait d’effet les dispositions de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme (alors codifiée au II de l’article L. 146-4) et empêchait de fait de contrôler la densification des parties urbanisées des espaces proches du rivage.
Rapidement, le Conseil d’État a mis un terme à cette interprétation restrictive en rappelant que la notion d’extension de l’urbanisation s’appliquait bien dans les espaces urbanisés (CE, 27 septembre 1999, n° 178866 et n° 178869, Commune de Bidart) mais il a fallu attendre l’arrêt « Soleil d’or » du 7 février 2005 pour que la jurisprudence soit clairement établie.
Par un arrêté du 3 juin 2003 le maire de Menton a accordé un permis de construire à la SOCIETE SOLEIL D’OR pour un immeuble de 41 logements assorti de la réhabilitation d’un immeuble existant. Le projet se situe dans le centre de la ville de Menton, à un peu plus de cent mètres du rivage, et il est entouré à l’est et à l’ouest de deux immeubles de sept étages.


Saisi en référé, le Tribunal administratif de Nice avait suspendu cette décision au motif que le projet ne respectait pas les règles relatives à l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. Saisi en cassation par la commune de Menton et par la société pétitionnaire, le Conseil d’Etat a profité de cette affaire pour définir ce qu’il fallait entendre par extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. Pour le commissaire du gouvernement (on parle aujourd’hui de Rapporteur public) Yann Aguila :
« le juge des référés semble considérer que toute construction, par principe, constitue une extension de l’urbanisation.
Mais urbanisation et construction sont bien deux notions distinctes. La notion d’extension de l’urbanisation suppose une dimension suffisamment importante pour que l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme puisse prévoir qu’elle doit faire l’objet d’une justification dans le plan local d’urbanisme lui-même. Confondre urbanisation et construction, c’est un peu confondre acte réglementaire et décision individuelle ».
Il proposa alors au Conseil d’Etat de faire une lecture raisonnable de la loi en rappelant que si les règles relatives à l’extension de l’urbanisation s’appliquent dans les espaces urbanisés, ce ne doit pas être systématique.
Le Conseil d’Etat a fait sienne cette approche en rappelant qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L.121-13 du Code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. La décision ajoute que la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi (CE, 7 février 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune de Menton).
Le principe a été rappelé en 2007 par le Conseil d’État qui a jugé qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis, élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’État précise qu’il faut tenir compte de l’ensemble des caractéristiques du quartier et pas seulement de celles du compartiment de terrain dans lequel le projet se situe.
La mise en oeuvre de l’article L. 121-13 impose donc de se poser plusieurs questions successives : le projet est-il en espace proche du rivage ? Entraîne t-il une extension de l’urbanisation au sens de la jurisprudence « Soleil d’or » ? Si c’est le cas, cette extension est-elle limitée et justifiée par le PLU ou conforme au SCOT ? Le blog avait détaillé cette méthode à propos d’un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon.
La jurisprudence « Soleil d’or » fait donc preuve d’un pragmatisme bienvenu. Elle permet de contrôler le caractère limité des projet importants y compris dans les espaces déjà urbanisés. Elle évite toutefois de soumettre des projets qui n’ont pas d’impact paysager significatifs à l’exigence de justification par le PLU ou à la recherche de la conformité au SCOT qui alourdirait inutilement les procédures.

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La loi Littoral et les énergies renouvelables
La construction juridique du littoral
- L’ordonnance de Colbert sur la Marine de 1681 et la définition du rivage de la mer
- Conseil d’Etat, 3 mai 1858, Vernes, retour sur un arrêt fondateur
- La loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime
- 1973, l’affaire « Kreitmann » et la définition du rivage de la mer
- Août 1976, démission du Premier ministre Jacques CHIRAC, et signature de l’instruction sur la protection et l’aménagement du littoral et des rivages des grands lacs
- La directive d’aménagement national du 25 août 1979