Conseil d’État, 17 janvier 2024, requête n° 467572

Dans une décision 467572 datée du 17 janvier 2024, le Conseil d’État, à travers son interprétation du principe d’indépendance des législations, continue à inviter les auteurs de documents d’urbanisme à se saisir pleinement de leur pouvoir de rédaction et de définition au sein du lexique des plans locaux d’urbanisme.

Les faits étaient les suivants : une société agricole de production de biogaz s’est vu accorder un permis de construire pour une usine de méthanisation par le Préfet sur la commune de Bourg-des-Comptes, près de Rennes en Ille-et-Vilaine.

Un collectif de riverains a porté une demande d’annulation devant le Tribunal administratif de Rennes couplée d’une demande de suspension du permis de construire délivré.

Le débat tournait autour :

  • de l’implantation de l’unité de méthanisation et du respect ou non de la marge de recul prévue par l’article A 3.2.1. du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Bourg-les-Comptes (p.84 du règlement du plan local d’urbanisme) qui permet aux bâtiments d’exploitation agricole de déroger à la marge de recul et, en l’espèce, le pétitionnaire pensait pouvoir bénéficier de cette dérogation ;
  • et donc de la définition de l’activité agricole donnée par lexique du plan local d’urbanisme selon laquelle « Sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l’exploitation d’un cycle biologique de caractère végétal ou animal constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation ».

Cette définition d’activité agricole par le lexique reprend partiellement les dispositions de l’article L.311-1 du Code rural et de la pêche maritime qui définissent la notion d’activité agricole ; le point intéressant étant que, outre la partie sur les cultures marine qui ne concerne que les communes littorales, la partie de la définition non reprise est celle-là même qui concerne la production d’énergie à partir de produit de l’exploitation agricole.

En première instance, le Président du Tribunal administratif de Rennes (TA Rennes, ord., 6 septembre 2022, requête n° 2204126) a suspendu l’arrêté de permis de construire considérant que le fait qu’une unité de méthanisation soit assimilée à un bâtiment agricole par le Code rural et de la pêche maritime était sans effet sur l’autorisation d’urbanisme.

Reprenant la formule consacrée, l’ordonnance du Président affirmait que les dispositions des articles L.311-1 et D.311-18 du Code rural et de la pêche maritime, qui définissent respectivement la notion d’activité agricole et les conditions pour qu’une unité de méthanisation soit considérée comme une activité agricole, « ne sont pas au nombre de celles que peut prendre en compte l’autorité administrative lorsqu’elle se prononce sur l’octroi d’une autorisation délivrée en application de la législation sur l’urbanisme« .

Le principe mis en œuvre par le juge des référés est le principe d’indépendance des législations. Selon ce principe, créé par le Conseil d’État dans sa décision Sieur Piard du 1er juillet 1959 (Rec. CE p. 413), la légalité des autorisations délivrées au titre d’une législation ne peut pas être contestée sur le fondement d’une autre législation.

C’est sur ce point précis que le Conseil d’État est venu apporté une précision dans sa décision du 17 janvier 2024 :

« Il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que, pour apprécier si le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article A 3.2.1 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune était de nature à créer un doute sérieux, le juge des référés du tribunal administratif a relevé que la circonstance que la méthanisation puisse être assimilée à une activité agricole au sens des dispositions des articles L. 311-1 et D. 311-18 du code rural et de la pêche maritime était sans incidence sur la légalité du permis de construire litigieux, délivré en application de la législation sur l’urbanisme. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait, afin de déterminer si le projet litigieux pouvait bénéficier de l’exception aux règles de recul prévue à l’article A 3.2.1 du règlement du plan local d’urbanisme, de recherchersi le projet d’unité de méthanisation en cause pouvait être regardé comme une activité agricole au regard de la définition qu’en donne le lexique du règlement du plan local d’urbanisme de la commune de Bourg-des-Comptes, éclairée par les dispositions du code rural et de la pêche maritime citées au point 5, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a commis une erreur de droit. »

  1. Ainsi, le Conseil d’État censure la position du Président du Tribunal administratif de Rennes en ce qu’il s’est borné à appliquer le principe d’indépendance des législations sans vérifier la définition que donnait le lexique du plan local d’urbanisme de la notion d’activité agricole, éclairée, le cas échéant, par les dispositions du Code rural et de la pêche maritime. Il convient de noter que le Conseil d’État, intervenant en cassation d’une ordonnance de référé mais évoquant l’affaire au fond, écarte la demande de suspension non en considérant qu’il y avait un doute sur la légalité de l’acte, le cas échéant à l’aune du principe qu’il avait lui-même dégagé, mais en s’appuyant sur le défaut d’urgence. Le Conseil d’État ne se prononce pas sur le caractère « lié et nécessaire au fonctionnement de l’exploitation agricole » de l’activité de méthanisation mais l’intérêt de la décision du Conseil d’Etat réside ailleurs.
  1. En effet, nous pouvons noter l’importance donnée par le Conseil d’État au règlement et, en particulier, au lexique du plan local d’urbanisme. Ce lexique permet en effet de cadrer et donc d’avoir une certaine maîtrise sur les notions utilisées dans le plan local d’urbanisme qui peuvent être définies en s’inspirant de notions existantes dans d’autres législations auxquels le Code de l’urbanisme ne renvoie pas expressément.

Cette mise en avant du lexique du plan local d’urbanisme a encore été illustrée récemment dans la décision du Conseil d’État du 9 novembre 2023 (n° 469300) dans laquelle il indique qu’à défaut de précision du plan local d’urbanisme, l’extension d’une construction existante doit s’entendre comme « un agrandissement de [celle-ci] présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ». Nous avons commenté cette décision sur notre blog (« Une extension doit-elle toujours présenter des dimensions inférieures à la construction existante ? »).

En définitive, l’intérêt de la décision du Conseil d’État du 17 janvier 2024 réside :

  • dans la lecture que fait le juge du principe d’indépendance des législations qui présente certaines limites quand une référence – même incomplète et indirecte – est faite à une autre législation que celle du Code de l’urbanisme.
  • dans l’incitation faite aux personnes publiques responsables de la planification urbaine de se saisir à plein du lexique de leurs plans locaux d’urbanisme en procédant, au besoin, à des renvois à des législations autres que celle du Code de l’urbanisme ou, comme en l’espèce, de reprendre – même partiellement – littéralement des notions et définitions posées par une autre législation, que le juge pourra lire à l’aune du texte original.

 

 

 

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