Résumé : La Cour administrative d’appel de Lyon analyse l’application conjointe du principe d’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et les villages existants et de celui d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. Appliquant les principes de l’arrêt « Commune de Porto-Vecchio », elle juge que des constructions édifiées sur de vastes parcelles composent un paysage formé de résidences individuelles qui comporte un nombre et une densité significative de constructions. Le terrain se situant également en espace proche du rivage, la Cour applique cette fois les principes de l’arrêt « Commune de Lancieux » et juge que le projet entraîne une extension de l’urbanisation qui présente toutefois un caractère limité. Dès lors que ce projet est conforme au SCOT, la Cour juge qu’il n’a pas a être motivé par le PLU (CAA Lyon, 4 janvier 2022, n° 20LY02605).
Par un arrêté du 23 septembre 2017, le maire de Nernier a accordé un permis de construire pour la construction de deux maisons jumelées d’une surface de plancher de 297,72 m² sur des parcelles cadastrées section A n° 526, 210 et 209, sises au 430 chemin du Moulin. Le préfet de la Haute-Savoie a déféré cette décision devant le tribunal administratif de Grenoble qui l’a annulée par un jugement du 20 juillet 2020. Le pétitionnaire et la commune ont demandé à la Cour administrative d’appel de Lyon d’annuler ce jugement.
Les parcelles n° 209, 210 et 526 (carte géoportail interactive)
Le projet étant situé dans les espaces proches du rivage, la Cour administrative d’appel de Lyon devait donc se prononcer sur le respect du principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants et sur celui d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage.
L’application du principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants
L’article L. 121-8 du code de l’urbanisme dispose que l’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et les villages existants. Pour l’application de ces dispositions, le Conseil d’Etat a jugé que les constructions étaient possibles en continuité des zones urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significative de constructions (CE, 9 novembre 2015, n° 372531, Commune de Porto-Vecchio). Le blog a régulièrement commenté des décisions en la matière.
Au cas présent, l’hésitation était possible car le terrain d’assiette du projet n’est pas situé directement en continuité du centre de Nernier. Il se situe dans le prolongement d’un lotissement d’une vingtaine de constructions qui est lui-même à l’écart du centre. Il est, en outre, séparé de ce lotissement par un terrain non bâti et par une haie dont on sait qu’ils peuvent parfois entraîner une rupture dans la continuité. Pour la Cour administrative d’appel de Lyon, ces circonstances n’interdisent pas de juger que le projet se situe en continuité d’une agglomération ou d’un village existant :
« Le projet est situé en limite Est de l’agglomération de Nernier. Il s’insère dans un secteur bordé, au nord, par le chemin du Moulin et au sud par une zone boisée qui délimite un secteur d’habitat diffus. La parcelle n° 526 est déjà bâtie et contiguë à deux parcelles bâties à l’Est. Si ces constructions sont édifiées sur de vastes parcelles elles composent néanmoins un paysage formé de résidences individuelles. L’existence d’une haie d’arbres à l’Ouest des parcelles ne constitue pas une coupure entre deux zones mais borne des terrains supportant des constructions et forme une clôture végétale. S’il n’existe aucune construction au nord et au sud des parcelles d’assiette du projet, ces dernières se situent au sein d’un espace urbanisé comprenant notamment plus à l’Ouest un lotissement de près d’une vingtaine de lots. Plusieurs maisons jumelées existent aussi à proximité des parcelles en litige. Les terrains du projet sont en continuité avec celles-ci et sont situés dans un espace interstitiel entre ces espaces construits. Dans ces conditions, le nombre et la densité des constructions alentours permettent de regarder le projet comme se situant en continuité de l’agglomération de Nernier ».
La question de la continuité avec les agglomérations et les villages existants étant réglée, la Cour s’est ensuite attachée à celle de l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage.
L’application du principe d’extension limitée dans les espaces proches du rivage
Aux termes de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage doit présenter un caractère limité. Sur ce point, l’arrêt est intéressant car il analyse de manière méthodique le respect de ces dispositions en vérifiant tout d’abord si le terrain d’assiette du projet est situé en espace proche du rivage. Il vérifie ensuite si le projet entraîne une extension de l’urbanisation et si celle-ci présente un caractère limité. Enfin, il contrôle la conformité du projet au SCOT ou sa justification par le PLU.
Le terrain est-il situé en espace proche du rivage?
En 2004, le Conseil d’État a rappelé que la délimitation des espaces proches du rivage devait reposer sur des critères de co-visibilité, de distance et de nature des espaces (CE, 3 mai 2004, n° 251534, Barrière). Cette définition a été affinée à l’occasion d’un recours dirigé contre la DTA des Bouches-du-Rhône. A cette occasion, le Conseil d’État a rappelé que pour déterminer si une zone peut être qualifiée d’espace proche du rivage, trois critères doivent être pris en compte : la distance séparant cette zone du rivage, son caractère urbanisé ou non et la co-visibilité entre cette zone et le plan d’eau (CE, 3 juin 2009, n° 310587, Commune de Rognac).
Conformément à ces principes, la Cour administrative d’appel de Lyon admet sans difficulté que le terrain d’assiette du projet se situe en espace proche du rivage :
« Il ressort des pièces du dossier que le projet est situé à environ 200 mètres du rivage. Le terrain, au nord, séparant le projet du rivage est vierge de toute construction. L’existence de quelques végétaux entre le rivage et le terrain d’assiette ne permet pas d’exclure toute co-visibilité. La parcelle litigieuse est de plus identifiée comme faisant partie des espaces proches du rivage par la carte annexée au document d’orientations générales (DOG) du schéma de cohérence territoriale du Chablais. Ainsi, le terrain d’assiette du projet doit être regardé comme un espace proche du rivage du lac Léman au sens des dispositions précitées de l’article L. 146-4 II du code de l’urbanisme ».
Le projet entraîne t-il une extension de l’urbanisation ?
La jurisprudence a précisé les modalités d’application de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme dans les espaces urbanisés. Le Conseil d’Etat a jugé qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une extension de l’urbanisation au sens de l’article L.121-13 du Code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions. La décision ajoute que la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi (CE, 7 février 2005, n° 264315, Société Soleil d’or et Commune de Menton). Le principe a été rappelé en 2007 par le Conseil d’État qui a jugé qu’il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, d’examiner si le projet qui lui est soumis, élargit le périmètre urbanisé ou conduit à une densification sensible des constructions (CE, 12 mars 2007, n° 280326, Commune de Lancieux). Dans ce dernier arrêt, le Conseil d’État précise qu’il faut tenir compte de l’ensemble des caractéristiques du quartier et pas seulement de celles du compartiment de terrain dans lequel le projet se situe.
Autrement dit, toute construction en espace urbanisé n’est pas nécessairement une extension de l’urbanisation. Ce ne sera pas le cas si les frontières de l’espace bâti ne sont pas étendues et si le projet n’a pas pour effet d’en modifier les caractéristiques. C’est par exemple le cas dans des affaires que le blog avait commentées ici ou là. En pareille hypothèse, la question du caractère limité de l’extension de l’urbanisation et celle de la justification par le PLU ou le SCOT ne se poseront pas.
En l’espèce, la Cour relève que le projet de construction est plus dense que les constructions voisines. Elle en déduit alors que le projet entraîne une extension de l’urbanisation :
« le projet consiste en la réalisation de deux maisons jumelées d’une surface de 297,72 m², au sein d’un quartier qui est composé de maisons individuelles, souvent bordées d’espaces boisés, et qui comprend un lotissement de près d’une vingtaine de lots. Il a donc pour effet d’augmenter sensiblement la densité des constructions dans ce quartier en limite d’agglomération. Le projet constitue ainsi une extension de l’urbanisation au sens de la loi littoral. »
Une telle extension de l’urbanisation n’est pas interdite, mais il faut tout de même s’assurer qu’elle présente un caractère limité.
L’extension de l’urbanisation est-elle limitée ?
La méthode d’appréciation du caractère limité d’une extension de l’urbanisation est résumée par le Conseil d’État dans la formule suivante « le caractère limité de l’urbanisation (…) s’apprécie compte tenu de l’implantation, de l’importance, de la densité et de la destination des constructions envisagées » (CE, 2 octobre 2006, n° 271327, Société Marcellesi).
Conformément à ce principe, la Cour administrative d’appel de Douai admet qu’un projet de 108 logements bordé par des terrains comportant des constructions présentant un gabarit comparable est une extension limitée de l’urbanisation (CAA Douai, 1er février 2018, n° 16DA00364, Groupement de défense de l’environnement de arrondissement de Montreuil-sur-Mer). A l’inverse, un projet de construction dont la densité est significativement plus importante que celles des constructions sur les terrains environnants n’est pas une extension limitée (CAA Nantes, 29 décembre 2014, n° 13NT02070, Association Kerner entre terre et mer).
L’arrêt est peu explicite sur cette question puisqu’il se borne à affirmer que le projet entraîne une extension limitée de l’urbanisation. La question ne posait toutefois pas de difficulté majeure puisque le projet portait sur la construction de deux maisons jumelées à proximité d’autres maisons individuelles. Il avait certes pour effet d’accroitre la densité en périphérie de l’espace urbanisé ce qui justifie qu’il entraîne une extension de l’urbanisation mais pas au point de dépasser le caractère limité imposé par l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme.
L’extension de l’urbanisation est-elle justifiée ?
Le législateur a encadré la compétence des communes puisque l’extension de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage est soumise à des conditions particulières. L’article L. 121-13 du Code de l’urbanisme distingue trois cas de figure :
- L’urbanisation est motivée et justifiée par le plan local d’urbanisme selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau ;
- L’urbanisation est conforme aux dispositions d’un schéma de cohérence territoriale ou d’un schéma d’aménagement régional ou compatible avec celles d’un schéma de mise en valeur de la mer ;
- L’urbanisation est autorisée par le préfet après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites.
La jurisprudence rappelle de manière constante que ces trois modalités sont exclusives les une des autres. L’extension de l’urbanisation est possible dès lors que l’une des conditions est remplie (CAA Marseille, 9 avril 2018, n° 16MA02373).
En l’espèce, si la Cour administrative d’appel de Lyon relève que l’extension de l’urbanisation n’est pas justifiée par le PLU selon les critères de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme, elle constate que le projet est conforme aux dispositions du SCOT qui sont suffisamment précises :
« Toutefois, le DOG du SCOT du Chablais approuvé le 23 février 2012 comporte une orientation visant à » maitriser et développer stratégiquement l’urbanisation en dehors et dans les espaces proches du rivage « . S’agissant des espaces proches du rivage, il affirme la nécessité de privilégier un développement du bâti en profondeur vers l’arrière de la commune et de freiner une extension parallèle au rivage de part et d’autre de l’urbanisation existante. La carte annexée au DOG du SCOT a ainsi matérialisé des coupures d’urbanisation à l’ouest et à l’est de la commune de Nernier lorsque les abords immédiats du rivage sont dénués de toute construction. Il ressort de cette même carte que les parcelles en litige se situent exactement à la limite d’une coupure d’urbanisation. Le projet en litige se situant toutefois en direction du centre de la commune à l’ouest de la coupure prévue par le SCOT, et au sein d’une zone qui supporte déjà des constructions de même type ainsi qu’il a été décrit au point 3 du présent arrêt est ainsi conforme aux dispositions du SCOT suffisamment précises sur ce point. Dès lors l’extension de l’urbanisation limitée induite par le projet en litige est conforme aux dispositions du SCOT (…).
C’est donc de manière logique que, contrairement à ce que soutenait l’Etat, la Cour juge que l’extension de l’urbanisation n’avait pas à être justifiée par le PLU ou à être précédée de l’accord du Préfet.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon fait donc application de critères classiques que ce soit pour l’appréciation du respect du principe de continuité avec les agglomérations ou les villages ou de celui de l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage. La clarté du raisonnement tenu par la Cour méritait toutefois qu’il soit relevé.