L’érosion côtière, un risque potentiel pour la sécurité publique
L’érosion côtière peut constituer un danger pour la sécurité publique et justifier un refus de permis de construire sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
Que prévoit l’article R.111-2 du code de l’urbanisme ?
L’article R.111-2 du code de l’urbanisme permet de s’opposer à un projet lorsque celui-ci est exposé à un risque naturel.
Plus précisément, cet article donne la possibilité à l’autorité administrative en charge de la délivrance des autorisations d’urbanisme de refuser un permis de construire « lorsque les constructions (…) sont de nature à porter atteinte (…) à la sécurité publique ». Il est d’ordre public c’est-à-dire applicable même lorsque le territoire est couvert par un document d’urbanisme local.
Dans cette décision, le juge administratif indique que l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut refuser un permis de construire en se fondant sur l’article R.111-2, en tenant compte de la probabilité de la réalisation des risques ainsi que de la gravité de leurs conséquences s’ils se réalisent.
Comme le risque de submersion marine (Conseil d’État, 10 décembre 2020, 432641), l’application de l’article R.111-2 au risque d’érosion côtière s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle mais encore rarement retenu par le juge administratif (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 5ème Chambre, 3 novembre 2020, 18BX04220 ; Cour administrative d’appel de Bordeaux, 1ère Chambre, 9 juin 2022, 20BX01964).
La prise en compte du risque « accru » d’érosion côtière
Pour fonder sa décision et justifier l’application de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme, le juge a apprécié ce risque d’érosion côtière au regard des éléments scientifiques disponibles (études, méthode FEMA – Federal Emergency Management Agency) et en prenant en compte les caractéristiques de la zone (espace dunaire, forte houle) et de la construction (plans de masse, fondation du bâtiment) dans lequel s’insère le projet.
La méthode FEMA est une méthodologie américaine des années 90 relative à l’évaluation et la gestion des risques naturels tel que l’érosion. Elle est utilisée dans le cadre d’analyse d’aléas et de vulnérabilités des infrastructures. Au cas d’espèce, elle a mis en évidence un recul ponctuel de 15 mètres pour un évènement tempétueux de niveau centennal.
Ce recul de 15 mètres est apparu avec l’étude de 2017 menée sur le site démontrant un recul moyen de 30 cm par an ainsi que des reculs ponctuels importants lors de fortes tempêtes. En 1961, un recul de 10 mètres avait été constaté. En mars 2008, un recul de 3 mètres du trait de côte avait été observé à environ trois cents mètres au nord de la parcelle. Puis, au cours de l’hiver 2013-2014, un recul de 5 à 10 mètres avait été relevé. C’est donc de cette manière que la bande de précaution de 15 mètres tout au long du littoral a été calculée.
Ainsi, compte tenu des caractéristiques de la zone du projet et des données scientifiques disponibles, la Cour administrative d’appel retient que le caractère inexorable du phénomène d’érosion marine observé sur le tronçon concerné fait courir un risque élevé de destruction de la construction. Elle en déduit donc que le maire de Siouville-Hague a commis une erreur manifeste dans l’appréciation des règles de l’article R.111-2 en acceptant de délivrer le permis de construire.
L’annulation de permis de construire s’impose malgré la possibilité d’un enrochement
Lorsque le risque lié à l’érosion côtière est avéré, reste-t-il possible d’obtenir une autorisation d’urbanisme en se prévalant d’un dispositif de protection ? Dans cette affaire, la Cour répond par la négative s’agissant d’un ouvrage d’enrochement.
L’enrochement nécessitait une autorisation d’occupation du domaine public
Un dispositif de protection par enrochement de la dune était prévu dans le projet et le maire avait assorti son arrêté de permis de construire d’une observation visant à ce que les pétitionnaires se rapprochent de l’État pour obtenir une autorisation d’occupation temporaire (AOT) du domaine public.
Toutefois, cet ouvrage n’existait pas à la date de délivrance du permis de construire, l’AOT n’ayant même pas été sollicitée.
La Cour en déduit que le maire, en accordant l’autorisation d’urbanisme, a commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article R 111-2 du code de l’urbanisme.
Cette solution ne surprend pas puisque « nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit » (article L.2132-3 du code général des propriété des personnes publiques).
Un dispositif insuffisant pour obtenir un permis de construire
L’enrochement envisagé aurait dû faire l’objet d’une demande d’autorisation d’occupation temporaire (AOT) auprès des services de l’État compétents.
Ceci étant, sur le fond, les juges considèrent, même s’ils reconnaissent que les ouvrages d’enrochement présentent une certaine efficacité contre l’érosion dunaire, que dans le cas présent, le risque d’érosion côtière ne pouvait pas être prévenu par cet enrochement compte tenu de l’implantation du projet.
La Cour souligne même, en se fondant sur une étude produite aux débats, que ce type de protection amplifie l’aléa de franchissement des paquets de mer, déjà qualifié de fort sur la parcelle concernée.
En d’autres termes, il a été jugé que l’enrochement prévu n’était pas une solution efficace et que de surcroît, ce type de dispositif aggraverait le risque de submersion marine.
Cela explique que face à ce constat, certaines communes ont fait le choix de retirer des enrochements et/ou s’essaient à d’autres solutions pour protéger les dunes.
Cour administrative d’appel de Nantes, 8 novembre 2024, 22NT03570