Une urbanisation linéaire peut-elle constituer un espace urbanisé de la bande de cent mètres ?

par | Déc 24, 2021 | Jurisprudence - Loi littoral, Loi littoral | 0 commentaires

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Résumé : La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge qu’une urbanisation linéaire ne constitue pas un espace urbanisé au sens de la loi Littoral. L’hésitation était possible car le lieu-dit comporte une soixantaine de constructions groupées ainsi que des commerces. La Cour relève également que le classement de ce secteur parmi les agglomérations et les villages du SCOT n’interdit pas l’application directe des dispositions de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme (CAA Bordeaux, 17 décembre 2021, n° 19BX04425 et 19BX04480).

L’article L.121-8 du code de l’urbanisme dispose que l’extension de l’urbanisation doit se réaliser en continuité avec les agglomérations et les villages existants. Le Conseil d’État a rappelé « qu’il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d’autres, dans les zones d’urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages » (CE, 9 novembre 2015, n° 372531, Commune de Porto-Vecchio).

Même si ces dispositions ne sont pas formellement applicables dans la bande de cent mètres, la jurisprudence a pris soin de rappeler qu’un espace urbanisé au sens de l’article L 121-16 du code de l’urbanisme devait être caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions (CE, 13 mars 2017, req. n° 395643). Or, ces critères de nombre et de densité sont précisément ceux de l’agglomération ou de village existants. Il y a donc, de fait, identité entre la notion d’agglomération ou de village au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme et celle d’espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 du même code.

Si l’application du critère de nombre et de densité significatifs ne pose pas de difficulté particulière en présence d’un espace qui comporte au moins une quarantaine de constructions édifiées sur plusieurs rangs et structurées par des voies publiques principales et secondaires (voir par exemple cette décision), elle est plus délicate lorsque l’urbanisation, bien qu’importante, est réalisée de manière linéaire.

Dans l’affaire commentée dans cet article, le maire de Lacanau avait accordé un permis de construire pour la réalisation d’une maison d’habitation sur un terrain situé 5 allée du petit Moutchic. Saisi par des propriétaires voisins du projet, le tribunal administratif de Bordeaux avait annulé cet arrêté. Les pétitionnaires ainsi que la commune de Lacanau avaient alors fait appel de ce jugement.

Le quartier du Moutchic à Lacanau (carte géoportail interactive)

Pour la Cour administrative d’appel de Bordeaux, même si l’espace en question comporte un nombre important de constructions et de commerces, il ne peut pas être qualifié d’espace urbanisé :

« Il ressort des pièces du dossier que le quartier du Moutchic comporte une soixantaine d’habitations individuelles de type pavillonnaire situées le long des voies publiques de l’allée du petit Moutchic et de l’avenue de la Plage, ainsi que quelques restaurants, des équipements nautiques et un camping. Toutefois ce quartier d’urbanisation diffuse est éloigné des agglomérations de Lacanau Océan et du bourg de Lacanau et ne saurait être regardé comme un village au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme dès lors qu’il ne constitue pas un espace urbanisé caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions, au sens des dispositions précitées du code de l’urbanisme » (CAA Bordeaux, 17 décembre 2021, n° 19BX04425 et 19BX04480).

Même si l’arrêt ne le relève pas expressément, l’urbanisation très linéaire de ce secteur a certainement joué un rôle majeur dans le refus de le qualifier d’espace urbanisé.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux retient également l’attention car il écarte la qualification d’agglomération ou de village faite par le SCOT des lacs Médocains. Dans ce document, le secteur du Moutchic fait partie des agglomérations et des villages qui ont vocation à s’étendre.

Le quartier du Moutchic fait partie des agglomérations et des villages du SCOT des lacs Médocains (secteur gris clair)

Dans un important arrêt du 9 juillet 2021, le Conseil d’Etat, confirmant un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, a rappelé que dès lors qu’une commune était couverte par un SCOT comportant des dispositions mettant en œuvre la loi Littoral, la conformité des décisions liées à l’usage du sol avec les articles L. 121-1 et suivants du code de l’urbanisme devait tenir compte des précisions apportées. Cet arrêt novateur pose plusieurs questions notamment liée au rôle du juge en présence d’un SCOT illégal.

La cour administrative d’appel de Bordeaux y était justement confrontée dans la mesure où le SCOT des lacs Médocains classe le secteur du Moutchic en village. Pour la cour, le SCOT peut être mis à l’écart sans que les requérants n’aient à soulever son illégalité par la voie d’exception :

« il appartient à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d’autorisation d’occupation ou d’utilisation du sol de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de la conformité du projet avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral. Il en va ainsi alors même que le plan local d’urbanisme, en compatibilité avec les orientations des schémas de cohérence territoriale, aurait ouvert à l’urbanisation la zone dans laquelle se situe le terrain d’assiette. Aussi, les circonstances que le plan d’occupation des sols de la commune de Lacanau ait classé le terrain d’assiette de la construction dans une zone UCa constructible et que le schéma de cohérence territoriale des lacs Médocains ait qualifié le quartier du Moutchic de village ne font pas obstacle à ce que la demande de permis de construire en litige soit appréciée directement au regard de l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme précité ».

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux méritait donc d’être relevé. A la fois car il rappelle qu’une urbanisation linéaire n’est pas un espace urbanisé mais également parce qu’il apporte une contribution à la mise en oeuvre de la jurisprudence « Commune de Landéda ».

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