Résumé : Le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions relatives à la continuité avec les agglomérations et les villages existants, à l’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage et celles qui interdisent toute construction dans la bande littorale de cent mètres, devaient être appliquées de manière cumulée. En conséquence, les espaces urbanisés de la bande de cent mètres font partie des espaces proches du rivage et les constructions ne sont possibles qu’à la condition qu’elles n’entraînent pas une densification significative de ces espaces. La Cour administrative d’appel de Nantes apporte des précisions sur cette notion et juge que l’extension d’un bâtiment existant qui augmente d’un tiers la surface de plancher existante prévoit une densification significative de l’espace urbanisé et ne peut donc pas être considérée comme une extension limitée de l’urbanisation (CAA Nantes, 12 janvier 2021, n° 19NT03512, Commune de Trébeurden).
L’arrêt que vient de rendre la Cour administrative d’appel de Nantes s’inscrit dans la saga contentieuse liée au projet de rénovation de la Potinière (un ancien hôtel-restaurant dont une carte postale d’époque illustre cet article) sur la commune de Trébeurden. La Cour était saisie de la légalité du refus de permis de construire pour la rénovation, l’agrandissement, la démolition partielle du bâtiment et la création de douze logements.
La potinière aujourd’hui (image Google interactive)
Ce refus, annulé en première instance par le Tribunal administratif de Rennes, était fondé sur la méconnaissance de l’article UC 11 du règlement du plan d’occupation des sols, de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme et sur celle de l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme. C’est ce dernier motif qui retient l’attention du blog car il permet de faire le point sur les modalités d’application des dispositions relatives aux espaces proches du rivage et aux terrains situés à moins de cent mètres de la mer.
Le dispositif de protection et d’aménagement mis en place par la loi Littoral en 1986 repose sur 3 dispositions principales :
- sur l’ensemble du territoire de la commune, l’article L.121-8 du code de l’urbanisme dispose que l’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et les villages existants et, depuis la loi ELAN, à l’intérieur des secteurs urbanisés. Ce principe connaît des exceptions par exemple au profit des activités agricoles ou des éoliennes,
- dans les espaces proches du rivage, l’article L. 121-13 du code de l’urbanisme prévoit que dans les espaces proches du rivage, l’extension de l’urbanisation doit être limitée – notion qui peut être définie par le SCOT – et être justifiée par le PLU,
- enfin, l’article L. 121-16 du code de l’urbanisme interdit toute construction ou installation en dehors des espaces urbanisés de la bande de cent mètres.
La question de l’articulation de ces dispositions a été réglée en 2018 par le Conseil d’État : « il résulte de ces dispositions, sous réserve des exceptions qu’elles prévoient, notamment pour les activités agricoles, que, dans les communes littorales, ne peuvent être autorisées, dans les zones situées en dehors des espaces déjà urbanisés, que les constructions réalisées en continuité soit avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, et, s’agissant des espaces proches du rivage, à la condition qu’elles n’entraînent qu’une extension limitée de l’urbanisation spécialement justifiée et motivée et qu’elles soient situées en dehors de la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage. Ne peuvent déroger à l’interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu’ils n’entraînent pas une densification significative de ces espaces » (CE, 21 juin 2018, req. n° 416564).
Il est donc clair que le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants et celui d’extension limitée de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage, se cumulent. Ce n’est pas une nouveauté car cette logique avait été rappelée dès 2001 (CE, 10 janv. 2001, Blanc, req. n° 211459). Dans les espaces proches du rivage, la seule continuité avec une agglomération ou un village ne suffit pas, encore faut-il que le projet de construction ou le zonage du document d’urbanisme entraîne une extension limitée de l’urbanisation.
Lorsqu’un terrain est situé dans la bande de cent mètres, les modalités du cumul de ces trois dispositions sont différentes.
Dans la logique posée par l’arrêt du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Nantes a rappelé que les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme n’y étaient pas applicables. Le système demeure toutefois cohérent. En effet, si le principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants ne s’applique pas dans la bande de cent mètres, la jurisprudence a pris soin de rappeler qu’un espace urbanisé au sens de l’article L. 121-16 devait être caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions (CE, 22 février 2008, Bazarbachi, req. n° 280189, CE, 13 mars 2017, req. n° 395643). Or, ces critères de nombre et de densité sont précisément ceux de l’agglomération ou de village existants (CE, 9 nov. 2015, Commune de Porto-Vecchio, req. n° 372531). La jurisprudence exclut donc qu’un espace urbanisé au sens de la bande de cent mètres soit apprécié de manière plus souple qu’une agglomération ou un village. La solution inverse serait paradoxale car elle permettrait des constructions dans la bande de cent mètres alors qu’elles seraient interdites à l’intérieur des terres. Le blog avait consacré un article à cet arrêt.
Pour ce qui est des espaces proches du rivage, le Conseil d’Etat avait déjà rappelé que le fait qu’un terrain soit situé dans un espace urbanisé de la bande de cent mètres ne le dispensait pas de respecter le principe d’extension limitée de l’urbanisation (CE, 5 févr. 2001, SA SEERI Méditerranée, req. n° 211875). Les articles L. 121-13 et L. 121-16 du code de l’urbanisme doivent donc être appliqués conjointement. La notion d’extension limitée de l’urbanisation s’apprécie cependant de manière un peu différente lorsque le terrain est situé dans la bande de cent mètres. Puisque l’extension des espaces urbanisés est interdite, les seules constructions autorisées se situent nécessairement à l’intérieur du périmètre bâti. Aussi, pour le Conseil d’Etat, une opération de construction dans un espace urbanisé de la bande de cent mètres sera jugée commune une extension limitée de l’urbanisation dès lors qu’elle n’entraîne pas une densification significative de cet espace.
Il n’existe pas beaucoup de décisions permettant d’apprécier cette notion de « densification significative ». Dans un arrêt du 5 février 2019, la Cour administrative d’appel de Nantes avait jugé qu’un projet qui conduit à une extension importante de la construction existante, dont la surface est portée de 84 m² à 362 m², n’entraîne pas pour autant une densification significative de l’espace urbanisé dans lequel il s’insère.
Dans l’affaire qui est ici commentée, le projet consistait a étendre de manière significative un bâtiment existant situé dans un quartier pavillonnaire.
36 rue de Trozoul à Trébeurden (carte géoportail interactive)
Pour la Cour administrative d’appel de Nantes :
« il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, situé dans la bande littorale des cent mètres, consiste à étendre significativement le bâtiment existant en vue d’aménager et d’édifier un immeuble de cinq niveaux comportant douze logements et des surfaces en rez-de-rue susceptibles, ainsi qu’il a été dit au point 5, d’accueillir ultérieurement des commerces. Ce projet aura pour effet d’augmenter d’un tiers la surface de plancher existante, qui passera de 608 à 915 mètres carrés, ainsi que d’étendre l’emprise au sol à près de 80 % de la surface totale de la parcelle du fait de la création d’un niveau qualifié d' » entresol « , espace couvert qui sera situé en rez-de-rue, sous une » dalle paysagée « , alors que les constructions avoisinantes, essentiellement composées d’habitations de type pavillonnaire, présentent une emprise au sol comprise entre 10 et 30 %, à l’exception d’un immeuble de logement collectif qui présente une emprise de 46 %. En outre, alors que les constructions avoisinantes sont implantées en retrait de l’alignement, ce qui participe au caractère aéré de l’urbanisation, le projet litigieux s’implante à l’alignement de deux voies publiques, générant un front bâti de plusieurs dizaines de mètres sur la rue de Trozoul. De même, le projet prévoit l’édification d’un immeuble de cinq niveaux contrastant avec les volumes restreints de deux à trois niveaux des constructions de cette rue. Enfin, si la demande de permis de construire mentionne une surface de plancher de 915 mètres carrés, la surface bâtie totale du projet excèdera les 3 000 mètres carrés, soit une surface nettement supérieure à celle de la majorité des bâtiments du quartier. Dans ces conditions, eu égard à son implantation, son importance et sa densité, le projet en litige prévoit une densification significative de cet espace urbanisé situé dans la bande littorale des cent mètres et ne peut être regardée comme une extension limitée de l’urbanisation » (CAA Nantes, 12 janvier 2021, n° 19NT03512, Commune de Trébeurden).
L’arrêt est intéressant car il rappelle que si des constructions nouvelles ou des extensions de constructions existantes sont possibles dans un espace urbanisé de la bande de cent mètres, la sensibilité de cet espace qui jouxte le rivage interdit les projets qui s’écarteraient trop des formes urbaines du quartier.
Sources : archive départementale des côtes d’Armor – Google – géoportail