Résumé : au sommaire de la chronique de jurisprudence du mois de février 2023, plusieurs décisions sur les notions d’agglomérations et de villages existants notamment appréciées à travers les dispositions du PADDUC ou du SCOT. En matière d’espace proche du rivage, la Cour administrative d’appel de Toulouse a rendu un arrêt intéressant à propos d’un important ensemble immobilier en front de mer. A noter aussi, deux arrêts du Conseil d’Etat sur l’application de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.
Loi Littoral et PADDUC
Agglomérations et villages existants– Dans le PADDUC, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu’il constitue, à l’importance et à la densité significative de l’espace considéré et à la fonction structurante qu’il joue à l’échelle de la micro-région ou de l’armature urbaine insulaire. Un village est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l’espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l’organisation et le développement de la commune. La jurisprudence a précisé que la loi Littoral devait être appliquée à travers le prisme des dispositions du PADDUC dans la mesure où elles sont à la fois précises et compatibles avec la loi (CE, 16 juillet 2010, ministre de l’Écologie du Développement et de l’aménagement Durables, req. n° 313768).
Pour l’application de ce dispositif, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que le lieu dit « Sorbella » est majoritairement constitué d’habitats pavillonnaires et de constructions à usage touristique implantés le long de la route départementale D 55. Ce secteur, au sein duquel la densité des constructions n’est pas significative, ne joue pas de fonction structurante à l’échelle de la micro-région ou de l’armature urbaine insulaire. Il ne peut, dès lors, être qualifié d’agglomération. La Cour ajoute que si le terrain d’assiette du projet se situe à proximité immédiate de la mairie de Pietrosella, d’un office notarial et d’un hôtel, ces quelques indices de vie sociale ne permettent pas à eux seuls de caractériser l’existence d’un village alors que la plupart des services publics et des commerces de proximité de la commune sont installés à plusieurs kilomètres, près de la plage du Ruppione. Dès lors, et compte-tenu de la trame et de la morphologie de l’urbanisation, qui s’étend sans structuration particulière ni densité significative le long de la route départementale D 55 qui suit le littoral, le secteur où s’implante le projet ne peut être qualifié de village au sens de ces dispositions (CAA Marseille, 6 février 2023, n° 21MA00916).
La parcelle AD n° 0490 au lieu dit Sorbella sur la commune de Pietrosella (carte interactive géoportail)
Dans le même contexte, la Cour administrative d’appel de Marseille devait se prononcer sur un secteur qui comporte des maisons d’habitation essentiellement occupées pendant la saison touristique et quelques commerces mais qui ne dispose d’aucun service administratif ou lieu public, d’aucun équipement urbain autre que ceux de voirie, d’aucun édifice cultuel. Au regard du peu d’indices de vie sociale au sein de ce secteur la Cour juge qu’il ne peut être regardé comme constituant un village au sens des dispositions précitées de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme telles que précisées par le PADDUC (CAA Marseille, 6 février 2023, n° 21MA02009).
La parcelle F 1590 actuelle 0009 (à droite de la voie la plus à l’est) dans le lotissement Punta d’Oro sur la commune de Porto-vecchio (carte interactive géoportail)
Notion de continuité avec une agglomération ou un village – Le PADDUC dispose que pour être en continuité de l’urbanisation existante, l’extension urbaine doit être en contiguïté avec les fronts urbains de la forme qu’elle étend et ne peut donc en être séparée par une distance trop importante, ou par une coupure comme un espace agricole ou naturel, une voie importante ou un obstacle difficilement franchissable. A cet égard, le PADDUC précise qu’ « au-delà d’une bande de 80 mètres d’espace naturel ou agricole, la continuité est difficile à établir » et qu’est également constitutif d’une rupture : « un espace agricole ou naturel, une voie importante (…), une rupture de la forme urbaine, du rythme parcellaire et bâti ».
La Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’un terrain situé à plusieurs centaines de mètres du centre du village de Calenzana, même s’il jouxte une vingtaine de constructions elles-mêmes situées à une distance moyenne de plus d’une centaine de mètres des premières constructions du front urbain du village, dont elles sont en outre séparées par la route départementale D. 151A, n’est pas en continuité d’une agglomération ou d’un village au sens des dispositions du premier alinéa de l’article L. 128-1 du code de l’urbanisme telles que précisées par le PADDUC (CAA Marseille, 27 février 2023, n° 22MA01722).
Les parcelles J n° 191 et 192 au lieu dit Triginajosur la commune de Calenzana (carte interactive géoportail)
Agglomérations, villages et secteurs déjà urbanisés
Notion d’extension de l’urbanisation – Le SCOT du pays de Saint-Brieuc dispose que l’extension de l’urbanisation dans les hameaux n’est pas possible et que seule une densification de l’urbanisation est permise (DOO du SCOT du pays de Saint Brieuc, page 17). Comme de nombreux documents d’urbanisme de la même période, ce SCOT est fondé sur l’idée, un temps admise par les juridictions, qu’une construction située au sein d’un espace bâti (en dent creuse), n’étend pas l’urbanisation. Les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme qui visent « l’extension » de l’urbanisation ne sont donc pas applicables. Le Blog avait rappelé cette jurisprudence désormais révolue. Aujourd’hui, les juridictions considèrent que toute construction, y compris dans un espace urbanisé, entraîne une extension de l’urbanisation. Les possibilités de constructions au sein des hameaux existants qui sont prévues par les documents d’urbanisme sont donc privées d’effet. Par un arrêt du 12 janvier 2021, la Cour administrative d’appel de Nantes avait neutralisé cette disposition illégale du SCOT du pays de Saint-Brieuc en jugeant qu’elle ne pouvait s’appliquer qu’à des espaces comportant un nombre et une densité significatifs de constructions pouvant donc être qualifiés d’agglomération ou de village (CAA Nantes, 12 janvier 2021, n° 20NT00061). Autrement dit, seuls les « hameaux » du SCOT assez importants pour être qualifiés d’agglomération ou de villages pouvaient être classés en zone constructibles par les PLU. Cette affaire avait été rapportée dans la chronique de jurisprudence de janvier 2021.
Le Conseil d’Etat (CE, 17 février 2023, n° 450707) est d’un autre avis mais il n’a semble t-il pas compris la logique de la disposition en question du SCOT du pays de Saint Brieuc. Pour la haute juridiction, la notion de hameau utilisée par le SCOT renvoie non pas à celle d’espace urbanisé densifiable de la jurisprudence antérieure mais à celle de hameau nouveau intégré à l’environnement. Partant de ce postulat erroné, c’est de manière logique qu’il annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes pour erreur de droit. Le hameau nouveau intégré à l’environnement ne se définit en effet pas comme un espace comportant un nombre et une densité significatifs de constructions mais comme une zone délimitée par le document local d’urbanisme, dans laquelle celui-ci prévoit la possibilité d’une extension de l’urbanisation de faible ampleur intégrée à l’environnement par la réalisation d’un petit nombre de constructions de faible importance, proches les unes des autres et formant un ensemble dont les caractéristiques et l’organisation s’inscrivent dans les traditions locales (CE, 3 avr. 2014, n° 360902, Commune de Bonifacio, L. Prieur, La notion de hameau nouveau intégré à l’environnement dans la loi Littoral. À propos de l’arrêt du Conseil d’État « Commune de Bonifacio » du 3 avril 2014 : Revue juridique de l’environnement 2015, p. 743, n° 4). Le blog avait commenté ce dispositif.
Notion d’agglomération ou de village – La Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’un espace qui comporte une cinquantaine de constructions desservies par plusieurs voies de circulation constitue une agglomération ou un village existant (CAA Marseille, 2 février 2023, n° 21MA01179).
Les parcelles AB n° 0041, 0111 et 0042 sur la commune du Lavandou (carte interactive Geoportail)
Notion d’agglomération ou de village – prise en compte du SCOT – Le Conseil d’Etat a précisé que les dispositions de la loi Littoral devaient être appliquées aux autorisations d’urbanisme en prenant en compte les dispositions des SCOT dès lors qu’elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral (CE, 9 juillet 2021, Commune de Landéda, n° 445118).
Dans ce contexte, la Cour administrative d’appel de Bordeaux relève que le document d’orientations générales du schéma de cohérence territoriale de la Pointe du Médoc identifie la zone Vensac Océan comme un village. Elle ajoute que ce secteur comporte une cinquantaine de maisons d’habitation groupées desservies par plusieurs voies internes. Il présente un nombre et une densité significatifs de constructions, et peut donc être qualifié de village au sens de l’article L. 121-8 (CAA Bordeaux, 2 février 2023, n° 21BX01437 et 2 février 2023, 21BX01439).
Les parcelles A n° 1758 (dossier 21BX01437) et n° 1756 et 1757 (dossier 21BX01439) sur la commune de Vensac (carte interactive Geoportail)
Continuité avec une agglomération ou un village (cas des zones d’activités) – Le Conseil d’Etat confirme qu’un parc photovoltaïque constitue une extension de l’urbanisation qui est soumise au principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants. La Cour administrative d’appel de Marseille avait annulé l’autorisation délivrée par le Préfet de l’Aude au motif que le parc photovoltaïque jouxtait une zone d’activité ne comportant que des bâtiments épars et des bassins de décantation et d’évaporation. Le Blog avait analysé cet arrêt. Pour le Conseil d’Etat, cette « vaste zone industrielle de plus de cent hectares, dont 50 hectares sont occupés par l’usine de conversion et de purification du minerai d’uranium de la société Orano, avec 24 hectares de surface bâtie comportant plusieurs bâtiments, et une dizaine de bassins de décantation et d’évaporation » comporte un nombre et une densité significatifs de constructions (CE, 17 février 2023, n° 452346, Société Soleil participatif du Narbonnais). L’arrêt est intéressant car il confirme que pour les zones d’activités, la qualification d’agglomération ou de village doit prendre en compte l’emprise artificialisée et pas seulement le nombre de bâtiments. Cette décision peut être rapprochée de la position de la Cour administrative de Nantes qui fait une analyse similaire.
Continuité avec une agglomération ou un village (urbanisation linéaire) – La Cour administrative d’appel de Douai juge qu’un terrain n’est pas implanté dans l’enveloppe urbaine du village de Dondeneville, ni en continuité de cette enveloppe qui est délimitée au sud-ouest, à une centaine de mètres du terrain d’assiette du projet, par la dernière rangée d’habitations édifiées de part et d’autre du chemin du fond des vallées. La Cour ajoute que le projet sera implanté sur une parcelle non bâtie, bordée à l’est et au sud par des terrains supportant des maisons d’habitation mais contiguë au nord à la parcelle non bâtie cadastrée ZL n° 338 et à l’ouest à des terrains agricoles non bâtis. Dans ces conditions et alors que le secteur dans lequel s’inscrira le projet présente deux rangées de constructions du même côté du chemin du fond des vallées, mais sans aucune construction de l’autre côté de chemin, il ne peut pas être regardé, par sa densité et son nombre de constructions, comme une agglomération ou un village au sens des dispositions précitées de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme (CAA Douai, 16 février 2023, n° 22DA00391). La Cour relève également que le terrain ne peut pas être regardé comme faisant partie d’un secteur déjà urbanisé car il ne comporte pas de voies secondaires et que les constructions sont édifiées d’un seul côté de la voie.
La parcelle ZL n° 0339, 0111 et 0042 sur la commune d’Octeville-sur-Mer (carte interactive Geoportail)
Saisine de la CDNPS – Le dernier alinéa de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme dispose que l’autorisation d’urbanisme est soumise pour avis à la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Elle est refusée lorsque ces constructions et installations sont de nature à porter atteinte à l’environnement ou aux paysages. La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que cet avis ne doit être recueilli que pour les constructions dans les secteurs déjà urbanisés et non pas pour les constructions situées en continuité des agglomérations et des villages existants (CAA Bordeaux, 2 février 2023, n° 21BX01437 et 2 février 2023, 21BX01439).
Espaces proches du rivage
Notion d’extension limitée de l’urbanisation – La Cour administrative d’appel de Toulouse juge qu’un projet de construction d’un hôtel de 105 chambres et d’une résidence de 81 logements, tous deux en R+4, constitue une extension limitée de l’urbanisation. La Cour prend en compte l’environnement bâti existant et les dispositions du SCOT (CAA Toulouse, Syndicat des copropriétaires de la résidence Estany, n° 21TL02109). Le Blog a commenté cette décision.
Espaces remarquables et caractéristiques
Notion d’espace remarquable – Le Conseil d’État rappelle régulièrement que la proximité d’une parcelle avec un espace remarquable ne suffit pas à ce qu’elle bénéficie également de cette protection. Ce ne sera le cas que si cette parcelle fait partie d’une unité paysagère justifiant, dans son ensemble, la qualification de site ou paysage remarquable à préserver (CE, 30 mai 2018, n° 408068, Commune de Sète). Conformément à cette logique, la circonstance qu’un terrain jouxte un espace boisé n’en fait pas un espace remarquable dès lors qu’il est relativement peu boisé et qu’il jouxte plusieurs parcelles bâties (CAA Marseille, 2 février 2023, n° 21MA01179). Cette décision est illustrée plus haut.
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Image d’illustration, le Conseil d’Etat par Marie-Lan Nguyen