Nombre de pétitionnaires dont le permis de construire est visé par un recours considèrent celui-ci comme « abusif ». Comment obtenir une condamnation pour recours abusif ?

 

Les recours contre les permis de construire peuvent (et c’est souvent le cas) s’inscrire dans un contexte de conflit de voisinage. Ajoutons à cela des délais de recours souvent longs (18 à 24 mois en première instance, 12 à 18 mois en appel), pour un permis de construire qui sera peut-être finalement jugé parfaitement légal…

Il y a de quoi s’agacer !

Certains pétitionnaires, ou collectivités, souhaiteraient alors pouvoir engager une action pour recours abusif.

 

L’intérêt à agir contre les permis de construire

 

Rappelons tout d’abord que le code de l’urbanisme (article L.600-1-2) restreint les possibilités d’agir contre les permis de construire.

Exception faite des associations (et du Préfet), les particuliers doivent justifier que le projet attaqué « est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » de leur bien.

En clair, le requérant doit démontrer que le projet viendra bien le gêner : perte de vue, d’ensoleillement, d’intimité…

Une fois cette démonstration faite, le requérant est alors recevable à agir contre le permis de construire. Cela ne signifie pas son recours entraînera l’annulation du permis de construire ; mais simplement que son recours sera bien examiné par le juge administratif.

Faute d’intérêt pour agir, le recours est rejeté – sans même examiner la légalité du projet de construction.

 

Le recours abusif est réprimé par l’article L.600-7 du code de l’urbanisme

 

L’article L.600-7 du code de l’urbanisme prévoit :

 

« Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. »

 

Concrètement, dans le cadre d’un recours contre un permis, le pétitionnaire peut produire un mémoire demandant la condamnation du requérant à lui verser une indemnisation, compte tenu du caractère abusif du recours.

Ces dispositions semblent donc tout à fait adaptées pour permettre la sanction des recours abusif. 

Hélas, bien peu de jurisprudences ont admis les prétentions indemnitaires formées sur ce fondement.

Il n’est en effet pas dans la pratique des juridictions administratives de prononcer de telles sanctions.

La portée utile de cet article est donc, à ce jour, très limitée.

 

Les recours abusifs peuvent être sanctionnés par la juridiction civile 

 

L’article L.600-7 du code de l’urbanisme n’est toutefois pas le seul levier pouvant être actionné afin de faire condamner un usage abusif du recours contre un permis de construire.

Le juge civil peut en effet être saisi d’un recours, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, pour obtenir une indemnisation lorsque le recours contre un permis de construire occasionne un préjudice excessif. 

 

Le recours abusif contre un permis de construire sanctionné par le juge civil…

 

C’est dans ce cadre que le Tribunal de grande instance de Grenoble (aujourd’hui, Tribunal judiciaire) a, le 13 décembre 2018, rendu un jugement condamnant les requérants à l’encontre d’un permis de construire (RG 13/04870, décision non publiée sur Legifrance).

S’agissant de l’un de ces requérants, Monsieur C., le Tribunal a retenu que la gêne invoquée par le requérant n’était pas véritablement établie, celui-ci ne disposant déjà pas d’une vue dégagée avant le projet.

Il a par ailleurs considéré que les arguments présentés « n’avaient que pour objectif le retarder le projet », projet au demeurant d’intérêt public dans la mesure où il prévoyait des logements sociaux :

 

recours abusif contre un permis de construire

 

La condamnation est lourde, les requérants (Monsieur C. et Monsieur F.) étant condamnés à verser plus de 160 000 euros au bénéficiaire du permis de construire :

 

 

… Alors même que l’intérêt pour agir avait été retenu par le juge administratif

 

En pratique, il est d’usage de considérer que, en cas d’intérêt pour agir reconnu, aucun comportement abusif du requérant ne sera retenu.

Or, la Cour administrative d’appel de Lyon avait pour sa part retenu l’intérêt pour agir du requérant, Monsieur C. (ensuite condamné pour recours abusif).

La Cour administrative d’appel avait par ailleurs écarté la demande formée par la société pétitionnaire au titre de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme (CAA de LYON, 27/12/2016, 14LY04078) :

 

« 32. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’action introduite par M. C…, qui dispose d’un intérêt à contester le permis de construire délivré à la société Icade Promotion Construction portant sur un projet de construction de trois immeubles d’habitation assez importants de quarante-huit logements à proximité immédiate du logement qu’il occupe en qualité de locataire, excèderait, en l’espèce, la défense de ses intérêts légitimes ; qu’en conséquence, les conclusions présentées par la société Icade Promotion Construction sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme doivent être rejetées ; »

 

On signalera que le second requérant, Monsieur F. (également condamné par le Tribunal de grande instance) n’était, lui, pas partie en appel, son intérêt pour agir n’ayant pas été reconnu devant le Tribunal administratif. 

Monsieur F. n’avait donc pas poursuivi son action devant la Cour administrative d’appel.

Il est pourtant également condamné par le Tribunal de grande instance de Grenoble, au même titre que Monsieur C ., requérant qui avait saisi la Cour administrative d’appel (et dont l’intérêt pour agir avait été retenu).

 

On retiendra de ces décisions la différence majeure d’appréciation entre le Juge administratif et le juge civil… et le conseil à adresser aux pétitionnaires : mieux vaut saisir le Tribunal judiciaire qu’espérer une éventuelle indemnisation par le Juge administratif, sur le fondement de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme.

 

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