La possibilité pour un agent de cumuler sur une même période des traitements et une pension de retraite versée rétroactivement est validée par le juge administratif depuis 2018. Dont acte pour la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNARCL) qui a décidé que ce cumul ne passerait pas par elle : à compter du 1er février 2024, elle ne prononcera plus de radiation des cadres à effet rétroactif.

 

Aux origines du problème

La mise à la retraite pour invalidité résulte d’un arrêté de l’autorité territoriale, pris après avis du Conseil médical, et avis de la CNARCL pour les agents titulaires dont les obligations de services sont supérieures à 28 heures hebdomadaires.

Lorsque l’invalidité est due à une maladie non professionnelle (maladie ordinaire, longue maladie ou maladie longue durée) il peut malheureusement arriver que l’agent ait épuisé ses droits à congés avant que la CNARCL n’ait eu le temps de rendre un avis sur la mise à la retraite. Il faut en effet compter environ 6 mois pour l’instruction du dossier.

A épuisement de ses droits à congés, l’agent est placé en disponibilité d’office à titre conservatoire et ne perçoit qu’un demi traitement.

Dans ce cas, et pour assurer le placement de l’intéressé dans une situation régulière sans interruption entre la fin des traitements et le début de la mise en paiement de la pension de retraite, la CNARCL peut fixer une date rétroactive de versement de la pension (article R. 36 du code des pensions civiles et militaires de retraite).

Compte-tenu du versement rétroactif de la pension, certains employeurs publics ont alors entrepris de recouvrer les demi-traitements versés sur la même période.

Or, en 2018, le Conseil d’Etat, est venu préciser que la rétroactivité de l’admission à la retraite ne donne pas le droit à reversement des demi-traitements, ces derniers n’ayant pas un caractère provisoire :

«  Considérant, d’autre part, que la circonstance que la décision prononçant la reprise d’activité, le reclassement, la mise en disponibilité ou l’admission à la retraite rétroagisse à la date de fin des congés de maladie n’a pas pour effet de retirer le caractère créateur de droits du maintien du demi-traitement prévu par les dispositions citées au point 4 ; que, par suite, en jugeant que le demi-traitement versé au titre de ces dispositions ne présentait pas un caractère provisoire et restait acquis à l’agent alors même que celui-ci avait, par la suite, été placé rétroactivement dans une position statutaire n’ouvrant pas par elle-même droit au versement d’un demi-traitement, la cour administrative d’appel de Paris a fait une exacte application de ces dispositions ; ». Conseil d’Etat (9 novembre 2018, Commune de Perreux-sur-Marne, n°412684).

Après quelques hésitations des juges du fond, cette solution est désormais généralisée. En ce qui concerne la mise à la retraite, il est même précisé :

« Il s’ensuit, plus particulièrement, que lorsque l’agent est admis rétroactivement à la retraite et qu’à ce titre il bénéficie effectivement d’un versement d’arriérés de pension, son employeur n’est pas pour autant en droit de demander le reversement de ces demi-traitements qui restent acquis à l’agent » Tribunal administratif de Rennes, 4 mai 2023, n°2102394.

 

Une solution radicale

Début 2024, la CNARCL a publié sur son site internet un court billet intitulé « Invalidité : Suppression de la rétroactivité de la date de radiation des cadres ».

Aux termes de ce billet : « la date de radiation des cadres retenue par le service gestionnaire de la CNRACL ne peut être antérieure à la date d’émission de l’avis favorable*, sauf en cas de limite d’âge ».

Derrière cet astérisque, c’est notamment à la décision du Conseil d’Etat de 2018 qu’il est fait référence.

On en déduit que dès lors que le juge a acté que les demi-traitements étaient définitivement acquis à l’agent, la CNARCL a estimé qu’il n’était plus nécessaire de verser la pension de manière rétroactive.

Dans un flash info communiqué aux employeurs en janvier, la CNARCL indiquait que « la date de radiation des cadres retenue par le service gestionnaire de la CNRACL sera fixée au plus tôt le 1er jour du mois suivant la date de l’avis favorable. Exemple : Pour un dossier dont l’avis favorable est émis le 4 février 2024, la date de radiation des cadres est fixée au plus tôt, le 1er mars 2024. »

Sur son propre site internet mis à jour en mars 2024, il est désormais prévu que la date de radiation des cadres sera fixée au plus tôt un mois après la date de l’avis favorable rendu par la CNARCL. Pour reprendre l’exemple donné par la CNARCL : « pour un dossier dont l’avis favorable est émis le 4 février 2024, la date de radiation des cadres est fixée au plus tôt, le 04 février [NDLR : le 4 mars, il s’agit certainement d’une erreur de plume] 2024 ».

Pour les agents concernés, cette décision implique une perte de revenus puisque la pension de retraite ne viendra plus combler rétroactivement les quelques mois de leur fin de carrière pendant lesquels ils risquent de ne plus percevoir qu’un demi traitement.

Pour les employeurs publics, qui sont de toute manière tenus au versement du demi-traitement, cette décision n’a pas d’impact financier. En revanche, elle risque de cristalliser les tensions autour de l’arrêté de radiation de cadres et par conséquent de générer du contentieux, au moins jusqu’à ce que ce nouvel état du droit soit ancré dans la pratique.

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