Lorsqu’un agent conteste une sanction disciplinaire, et que l’exécution de cette sanction est suspendue par le juge des référés, que peut faire l’administration ? Doit-elle se résigner à réintégrer son agent, y compris lorsque l’intérêt du service s’y oppose ? Peut-elle prendre une seconde sanction dans l’attente du jugement au fond ? Doit-elle alors nécessairement renoncer à obtenir gain de cause au fond, et retirer la première ?
A travers cette problématique, ce sont plusieurs principes qui doivent être conciliés :
- L’intérêt du service, d’abord. Dans certains cas, le maintien de l’agent sanctionné est simplement inenvisageable. Or une suspension à titre conservatoire ne saurait être une solution pérenne, dès lors qu’elle ne peut durer que quatre mois, là où il faudra attendre en moyenne un an et demi pour un jugement au fond.
- Le principe de non bis in idem, ensuite, en application duquel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. Or le juge des référés ne peut que suspendre l’exécution de la première sanction, il ne peut pas l’annuler et ainsi la faire disparaître de l’ordonnancement juridique. Si l’administration prend une seconde sanction, l’agent est, il est vrai, visé simultanément par deux sanctions à raison des mêmes faits.
- Le caractère exécutoire et obligatoire des décisions du juge des référés. Il s’oppose naturellement à ce que l’administration ignore purement et simplement les conséquences de l’ordonnance de référé et/ou reprenne immédiatement la même sanction. Toutefois, il est acquis de longue date qu’il est possible de reprendre la même décision une fois purgée du vice relevé par le juge des référés, qu’il s’agisse d’une irrégularité dans la procédure ou d’une disproportion dans le choix de la sanction.
Cette situation n’est donc pas inextricable, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat en décembre dernier dans un décision éclairée par des conclusions de la Rapporteure publique Dorothée Pradines.
« Lorsque le juge des référés a suspendu l’exécution d’une sanction en raison de son caractère disproportionné, l’autorité compétente, peut, sans, le cas échéant, attendre qu’il soit statué sur le recours en annulation, prendre une nouvelle sanction, plus faible que la précédente, sans méconnaître ni le caractère exécutoire et obligatoire de l’ordonnance de référé, ni le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits »(Conseil d’Etat, 22 décembre 2023, Ministre de l’éducation, de la jeunesse et des sport c/ M. V., n°462455).
Pour cause, si les deux sanctions coexistent bel et bien juridiquement, il est excessif d’en déduire que l’agent subit une double peine, dès lors que la première est entièrement privée d’effet. Il est ainsi inutile de retirer la première sanction, ce qui priverait d’ailleurs l’administration du droit d’en défendre la légalité, en entraînant de facto un non-lieu à statuer sur l’instance au fond.
Entre la décision du juge des référés et celle des juges du fond, il n’y a donc pas de cumul effectif des deux sanctions. Mais ce cumul renaît immédiatement dans l’hypothèse où la première sanction est confirmée par le juge.
Une nouvelle série de questions se pose alors : une des deux sanctions concurrentes disparaît-elle, et, dans l’affirmative, laquelle ? Cette disparition est-elle automatique, par le seul effet de la lecture du jugement, ou l’administration doit-elle prendre l’initiative de la retirer, et, dans ce cas, dans quels délais ?
Le Conseil d’Etat répond également à ces interrogations en réaffirmant « l’obligation de retirer l’une ou l’autre des sanctions ». Non seulement la caducité de l’une des sanctions résulte bien d’un acte positif de retrait, mais l’administration a le choix de retirer la première, plus sévère, ou la seconde, plus clémente. Pour mémoire, l’administration n’aura pas à se préoccuper de respecter un délai de 4 mois pour le retrait, puisqu’une sanction peut être retirée à tout moment (article L. 243-4 du code des relations entre le public et l’administration).
Si le Conseil d’Etat ne précise pas dans quels délais ce retrait doit intervenir, il ressort des conclusions de la Rapporteure publique qu’il y a lieu de retenir un délai raisonnable, qu’elle préconise de “réduire au strict minimum” dans le cas des sanctions, afin que l’agent concerné n’en subisse aucune conséquence négative. Autrement dit, si bis in idem il y a, c’est temporairement et uniquement dans la limite de ce qu’il est humainement possible de faire pour élaborer et rendre exécutoire un acte administratif dans les meilleurs délais.
Prenons l’exemple de l’agent d’une commune qui aurait fait l’objet d’une révocation, par décision du 1er janvier 2024. Le 20 janvier, l’exécution de cette sanction est suspendue par le juge des référés en raison du son caractère disproportionné. Le 1er février 2024, le maire prononce une exclusion de deux ans, dont un an avec sursis, à effet immédiat. L’agent ne conteste pas cette seconde sanction. Le 1er janvier 2025, le juge du fond rejette le recours au fond contre la sanction de révocation, qu’il juge proportionnée, contrairement au juge des référés.
Le maire a donc pris deux décisions autant légales l’une que l’autre et peut choisir celle qu’il maintient et celle qu’il retire : Soit l’agent est révoqué, de manière rétroactive, au 1er janvier 2024 (auquel cas la commune devient débitrice d’un arriéré d’ARE d’un an…). Soit le maire retire la sanction de révocation et maintient l’exclusion temporaire. L’agent ne subit pas de conséquences négatives de cette situation de « double sanction » puisque qu’en définitive, il n’avait quoi qu’il arrive plus droit à un traitement à compter du 1er janvier 2024.
Cette décision du Conseil d’Etat est donc aisément applicable aux sanctions de révocation et de mise à la retraite d’office, mais sa mise en œuvre pourrait s’avérer plus délicate dans le cas des sanctions qui n’entrainent pas la fin de la relation de travail.
Imaginons en effet que le maire renonce plutôt à la révocation, et que l’agent soit réintégré au terme de son année d‘exclusion. Quelques années plus tard, le même agent commet une nouvelle faute disciplinaire, ce qui lui vaut cette fois une exclusion de 20 jours.L’agent conteste à nouveau cette sanction devant le juge des référés, à nouveau avec succès. Le maire décide donc de prendre immédiatement une sanction plus faible en le radiant du tableau d’avancement. Environ un an plus tard, le juge du fond rejette le recours en annulation et confirme la légalité de l’exclusion. Le maire a le choix entre :
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- Confirmer l’exclusion temporaire, auquel cas l’agent doit être rétabli sur le tableau d’avancement, mais exécute, un an après les faits, une exclusion de 20 jours qui peut avoir perdu son sens ;
- Maintenir la radiation du tableau d’avancement, auquel cas l’exclusion est retirée et l’agent doit percevoir son traitement pour les journées d’exclusion qu’il a exécutées dans l’attente de la décision du juge des référés. Il n’est d’ailleurs pas impossible que l’agent ait entièrement exécuté cette sanction dans ce laps de temps.
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Il s’agit donc, pour l’administration, de réévaluer, suite à la décision du juge du fond, non plus laquelle des décisions était la plus juste mais celle dont le maintien est le moins pénible à mettre en œuvre.
A retenir :
Lorsqu’une l’exécution d’une sanction est suspendue par le juge des référés, l’administration peut prendre sans délai une sanction plus faible.
Si le juge du fond confirme finalement la première sanction, elle maintient la sanction de son choix et retire l’autre, dont elle devra donc effacer les conséquences rétroactivement.
Cette faculté de choix est intéressante lorsque la sanction initiale consistait en une révocation ou une mise à la retraite d’office. Mais dans les autres cas, la réparation des conséquences de la sanction finalement retirée peut-être délicate à mettre en œuvre. Il n’est ainsi pas toujours opportun de prononcer une seconde sanction sans connaître le sort définitif de la première ou sans retirer la sanction initiale pour ne pas gêner l’exécution de la seconde.
Cette décision du Conseil d’Etat se veut autant pragmatique que juste, puisqu’elle tient compte des contraintes internes de l’administration, sans porter atteinte aux droits des agents.
Pragmatique, elle l’est d’ailleurs à double titre. En effet, dans cette même décision, le Conseil d’Etat réaffirme la portée élargie du droit des agents à communication de leur dossier, y compris des témoignages recueillis à charge contre lui, tout en nuançant les conséquences d’un refus de communication de ces témoignages. Elle réintroduit dans la jurisprudence un pouvoir d’appréciation permettant au juge de ne sanctionner ce refus que s’il a effectivement privé l’intéressé de la garantie d’assurer utilement sa défense, permettant ainsi à l’administration de préserver l’anonymat de la parole de ses agents-témoins dans les situations les plus tendues.