Chronique de jurisprudence loi Littoral du mois de juin 2024

par | Sep 3, 2024 | Jurisprudence - Loi littoral, Loi littoral, Publication | 0 commentaires

Partager  :

Résumé : La chronique de jurisprudence relative à la loi Littoral du mois de juin 2024 analyse plusieurs décisions relatives aux notions d’agglomération et de villages existants. À noter également, des décisions sur l’espace urbanisé de la bande de cent mètres et sur les activités économiques et les services publics exigeant la proximité immédiate de l’eau. À signaler également, un contentieux indemnitaire qui doit inciter les communes à la prudence lors de la délivrance de certificats d’urbanisme.

Loi Littoral et SCOT

Application de la loi Littoral aux décisions liées à l’usage du sol et prise en compte du SCOT – cas du SCOT illégal – L’arrêt commune de Landéda (CE, 9 juillet 2021, n° 445118, Commune de Landéda) a rappelé que la loi Littoral devait être appliquée en tenant compte des précisions apportées par le SCOT. Cette jurisprudence ne remet  pas en cause l’application directe de la loi Littoral aux décisions liées à l’usage du sol qui est rappelée de manière constante (CE, 29 juillet 1994, n° 85532, Commune de FrontignanCE, 31 mars 2017, n° 392186, SARL Savoie InvestissementCE, 31 mars 2017, n° 396938). Le SCOT ne fait donc pas écran à l’application de la loi. Les précisions qu’il apporte sont appliquées en même temps que les dispositions législatives. Cette nuance n’est pas sans conséquence, en particulier lorsque le SCOT est illégal. Le Conseil d’État rappelle donc que le juge est fondé, de sa propre initiative, à écarter les dispositions d’un SCOT qu’il estime illégal. En pratique, il n’est donc pas nécessaire que les requérants excipent de l’illégalité du SCOT, ni que le juge soulève ce moyen comme étant d’ordre public (CE, 21 avril 2023, n° 456788).

L’arrêt rendu le 7 juin 2024 par la Cour administrative d’appel de Nantes permet d’illustrer l’attitude du juge lorsqu’il est confronté à un permis de construire qui, bien que situé en continuité avec une agglomération définie par le SCOT, se trouve en réalité dans un espace urbanisé de manière diffuse.

Par un arrêté du 4 décembre 2020, le maire de Villers-sur-Mer avait délivré un permis d’aménager pour la création d’un lotissement de deux lots à destination d’habitation individuelle sur un terrain situé rue de Convers.

Les parcelles AB 288 (devenue 528, 529 et 530) et 291, au nord de la rue Convers sur la commune de Villers-sur-Mer (Source Géoportail)

Ces parcelles sont incluses dans les limites de l’agglomération telles qu’elles sont définies par le SCOT Nord Pays d’Auge.

Limite de l’agglomération et localisation du terrain (Source : Annexe cartographique du DOO du SCOT du Nord Pays d’Auge)

Pour la Cour, dans ce secteur, les constructions sont édifiées sur de grandes parcelles. Elle relève qu’il est nettement distinct des zones urbanisées situées au nord-est, du fait de la faible densité d’implantation des constructions et de la présence de parcelles non bâties au nord. Il constitue ainsi une zone d’urbanisation diffuse, en continuité de laquelle les dispositions précitées de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme prohibent toute extension de l’urbanisation.

La Cour en déduit logiquement que le SCOT du Nord Pays d’Auge est illégal en ce qu’il inclut le terrain d’assiette du projet dans les limites de l’agglomération au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. Il ne peut donc pas être pris en compte pour apprécier la conformité du projet à ces dispositions (CAA Nantes, 7 juin 2024, n° 23NT01002).

Application de la loi Littoral au PLU – prise en compte d’un SCOT imprécis – Dès lors qu’un SCOT comporte des dispositions relatives à la mise en œuvre de la loi Littoral, elles doivent être prises en compte pour apprécier la compatibilité d’un PLU avec les dispositions législatives. Les dispositions en question n’ont pas à être précises mais elles doivent être compatibles avec la loi (CE, 29 septembre 2020, n° 423087, Commune du Lavandou).

La Cour administrative d’appel de Bordeaux devait apprécier la compatibilité du PLU de la commune d’Urrugne avec les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. La commune est couverte par le SCOT Sud Pays Basque approuvé en 2005. Ce document n’identifie pas d’agglomération ou village au sens de la loi Littoral, mais il définit de grandes orientations générales en matière de développement résidentiel, et délimite différents secteurs de « renouvellement urbain des villes littorales », « développements urbains des centres-bourgs et des hameaux constitués en polarités secondaires », « espaces de densification du tissu urbain existant » et enfin « habitat diffus ». Pour la Cour, il faut prendre en compte ces éléments, même s’ils sont, selon les termes de l’arrêt, « très généraux », afin d’apprécier la compatibilité du PLU en litige aux dispositions de la loi Littoral (CAA Bordeaux, 27 juin 2024, n° 23BX00840).

Responsabilité des communes et loi Littoral

Responsabilité de la commune en cas de délivrance d’un certificat d’urbanisme pré-opérationnel illégal – Le 3 septembre 2021, des particuliers avaient acheté un terrain (parcelle CY n° 664) sur la commune de Biscarosse après avoir obtenu un certificat d’urbanisme indiquant qu’il pouvait être utilisé pour la construction d’une maison individuelle. En décembre de la même année, le zonage UCg du PLU applicable au terrain avait été annulé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 14 décembre 2021, n° 20BX03693). La Cour avait estimé que cette zone, qui concerne les lotissements qui entourent le golf de Biscarrosse sur la rive ouest de l’étang de Cazaux et de Sanguinet, ne constituait pas une extension de l’urbanisation en continuité avec une agglomération ou un village existant. 

Par un arrêté du 13 septembre 2022, le maire de Biscarosse avait alors refusé la demande de permis de construire au motif que le projet n’était pas conforme aux dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.

La parcelle CY n° 664 sur la commune de Biscarosse (source Géoportail)

Pour la Cour, la commune de Biscarosse a commis une faute en approuvant ce classement dans son PLU et en délivrant un certificat d’urbanisme positif. La Cour relève que même si ce certificat d’urbanisme mentionnait que la commune était soumise à la loi Littoral, cela n’est pas suffisant pour exonérer la commune de sa responsabilité.  Un certificat d’urbanisme doit en fournir une assurance sur la constructibilité d’un terrain ; il ne peut pas se limiter à rappeler que la loi Littoral s’applique sur la commune sans en tirer de conséquences concrètes. La Cour condamne, par conséquent, la commune de Biscarosse à verser aux requérants une provision de 358 214,40 euros correspondant à la perte de valeur du terrain, aux frais de notaires, aux honoraires de négociation, aux honoraires de l’architecte et au préjudice moral (CAA Bordeaux, 4 juin 2024, n° 24BX00217).

Agglomérations, villages et autres secteurs déjà urbanisés

Notion d’urbanisation – extension d’une construction – Le Conseil d’Etat a rappelé que l’extension d’une construction au sens de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme doit présenter un caractère limité au regard de sa taille propre, de sa proportion par rapport à la construction et de la nature de la modification apportée. À défaut de respecter ces conditions, les travaux d’agrandissement seront qualifiés d’extension de l’urbanisation et soumis au principe de continuité avec les agglomérations et les villages existants (CE, 30 avril 2024, n° 490405). Cet arrêt est commenté dans la chronique d’avril 2024.

L’arrêt rendu le 4 juin 2024 par la Cour administrative d’appel de Marseille permet d’illustrer ce principe. Par un arrêté du 21 avril 2021, le maire de la commune de Monacia-d’Aullène a refusé de délivrer un permis de construire en vue de la réalisation d’une maison d’habitation sur la parcelle cadastrée section D n° 1212. Ce projet venait surélever une cave semi-enterrée destinée à l’affinage de charcuterie qui avait été autorisée par un arrêté du 11 août 2018. En première instance, le Tribunal administratif de Bastia avait estimé que ce projet devait être qualifié d’extension d’une construction et qu’il ne tombait donc pas sous le coup de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme.

La Cour administrative d’appel de Marseille devait toutefois statuer dans un contexte juridique modifié par la jurisprudence du Conseil d’État. Contrairement au Tribunal administratif, elle a jugé qu’alors même qu’il n’aura ainsi pas pour effet de modifier l’emprise au sol, ce projet était assimilable à une nouvelle construction en tant qu’il consiste à juxtaposer verticalement par rapport à la construction existante qui présente une destination agricole, un logement autonome. Ce n’est donc pas tant l’importance de l’extension qui est prise en compte par la Cour que sa nature qui consiste à ajouter une habitation à un bâtiment à usage agricole. La Cour considère également que le projet de logement n’est pas nécessaire à l’activité agricole, si bien qu’il ne peut pas bénéficier de la dérogation au principe de continuité de l’article L. 121-10 du code de l’urbanisme. La requête dirigée contre l’arrêté de refus de permis de construire a donc été rejetée (CAA Marseille, 4 juin 2024, n° 23MA00710).

Notion d’agglomération ou de village existant – La Cour administrative d’appel de Nantes juge que le secteur de Kerangales sur la commune de Bénodet ne peut pas être qualifiée d’agglomération, de village ou de secteur déjà urbanisé dans la mesure où il ne comporte qu’une trentaine de constructions implantées de manière éparse (CAA Nantes, 4 juin 2024, n° 22NT00923). 

La parcelle C n° 1208 au lieu-dit Kerangales sur la commune de Bénodet

Agglomération et village existant – La même Cour juge, en revanche, que le secteur de la Gaudichais, sur la commune de Cancale, constitue un village. Ce secteur comporte une quarantaine de constructions densément implantées sur plusieurs rangs autour d’un espace central et de voies publiques. Il présente un nombre et une densité suffisants de constructions pour qu’il puisse être regardé comme un village existant. Conformément aux principes dégagés par l’arrêt « Commune de Landéda » (CE, 9 juillet 2021, n° 445118, Commune de Landéda), la Cour tient compte du SCOT du pays de Saint-Malo qui identifie la Gaudichais parmi les 19 villages du territoire (CAA Nantes, 4 juin 2024, n° 22NT02894). Le recours dirigé contre le permis de construire autorisant la construction d’un abri de jardin de 34 mètres carrés est donc rejeté.

La parcelle D n° 379 sur laquelle l’abri de jardin est édifié (source Géoportail)

Agglomérations et villages existants – Par un arrêté du 19 octobre 2020, le maire de la commune du Teich ne s’était pas opposé à la division en trois lots d’une parcelle CP n° 0045 située au lieu-dit « Champ de Nérac ». Par un second arrêté du 12 novembre 2020, le maire avait délivré un certificat d’urbanisme déclarant cette opération réalisable. Le préfet de la Gironde avait alors saisi le Tribunal administratif de Bordeaux qui avait annulé ces deux décisions.

La Cour a une analyse différente. Elle relève que le quartier de Balanos, dans lequel se situe le projet, est distant de plus de trois kilomètres du centre-bourg du Teich dont il est séparé par de vastes espaces naturels et par l’autoroute A660. Toutefois, ce quartier se compose d’un groupe de constructions d’environ 150 maisons regroupées de manière dense et continue le long de la rue de Balanos et des rues adjacentes à cette voie. Il est desservi par les réseaux et se caractérise par un nombre et une densité significative de constructions. Il doit par suite être regardé comme un village ou une agglomération existants au sens de ces dispositions. La Cour souligne que cette qualification est acquise quand bien même le quartier de Balanos ne comporterait pas de lieux collectifs à disposition des habitants (CAA Bordeaux, 6 juin 2024, n° 22BX00866 et CAA Bordeaux, 6 juin 2024, n° 22BX00865).

La parcelle CP n° 45 sur la commune de Biscarosse (source Géoportail)

Agglomérations et villages existants – prise en compte du PADDUC – La Cour administrative d’appel de Marseille juge qu’un terrain situé à trois kilomètres du village de Pianottoli-Caldarello et qui n’est entouré que de quelques constructions dispersées n’est pas en continuité avec une agglomération ou un village. Conformément à la jurisprudence, la Cour prend en compte les définitions de l’agglomération et du village données par le PADDUC dans la mesure où elles sont suffisamment précises et compatibles avec la loi (CE, 16 juillet 2010, ministre de l’Écologie du Développement et de l’aménagement Durables, req. n° 313768). Le Blog avait consacré un article à ce dispositif particulier.

La parcelle D n° 1506 située au lieu-dit Baca sur la commune de Pianottoli-Caldarello (Source : Géoportail)

Agglomérations et villages existants – Application à une DUP – La Cour administrative d’appel de Nantes rappelle que si un arrêté portant déclaration d’utilité publique n’a pas directement pour objet d’autoriser des opérations de travaux ou d’aménagements, il a pour effet de permettre la réalisation de telles opérations. Ainsi, le préfet ne peut légalement déclarer d’utilité publique le projet de création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) dont les opérations de travaux ou d’aménagements ne seraient pas compatibles avec les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme. En l’espèce, la Cour juge que les parcelles n° 430, 431, 1123 et 1129 qui font partie de la ZAC sont en continuité de l’agglomération (CAA Nantes, 14 juin 2024, n° 23NT01019).

Les parcelles B n° 430, 431, 1123 et 1129 faisant partie de la ZAC Coeur de Village sur la commune de Saint-Père-Marc-en-Poulet (Source : Géoportail)

Bande littorale de cent mètres

Calcul de la bande de cent mètres – La Cour administrative d’appel de Nantes juge que la distance d’un projet par rapport au rivage peut être établie par un constat d’huissier établi à l’occasion d’une marée de 105. La Cour relève par ailleurs que ce constat est corroboré par la limite terre-mer du site géoportail qui est définie par référence à un document du Service hydrographique et océanographique de la mer (SHOM) et de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN). Le SHOM recommande désormais l’utilisation actualisée de cette délimitation terre-mer bénéficiant d’une amélioration des outils et techniques de mesure, par opposition à celle antérieurement intitulée « trait de côte de Histolitt » qu’il qualifie d’obsolète. Ce point avait été rappelé par la Cour dans un arrêt du 16 janvier 2024 rapporté dans la chronique mensuelle de jurisprudence (CAA Nantes, 4 juin 2024, n° 22NT02276).

Notion d’espace urbanisé – Par un arrêté du 15 avril 2020, le maire de Saint-Cast-le-Guildo avait retiré le permis de construire qu’il avait délivré le 22 janvier pour l’extension d’une maison d’habitation. Le Tribunal administratif de Rennes avait annulé cet arrêté par un jugement du 20 mai 2022. En appel, la Cour administrative d’appel de Nantes confirme l’illégalité de l’arrêté de retrait. Elle relève que le terrain d’assiette du projet supporte déjà une maison d’habitation, et est bordé, au nord, par une parcelle supportant également une construction à usage d’habitation et de commerce, à l’ouest par une importante parcelle comprenant deux immeubles atteignant une hauteur de R + 3, au sud par plusieurs maisons, et à l’est, en direction de l’océan, par un vaste parking bitumé et aménagé prolongé par une construction à usage de discothèque. Au sud du terrain d’assiette du projet, la parcelle mentionnée supportant deux immeubles est prolongée par une parcelle supportant une maison et un imposant immeuble suivis, le long de la même allée de Pen Guen, par un habitat pavillonnaire. Dans ces conditions, l’espace doit être qualifié d’urbanisé (CAA Nantes, 4 juin 2024, n° 22NT02276).

Vue depuis la voie publique au droit de la parcelle (source : Google)

Activité économique ou service public exigeant la proximité immédiate de l’eau – L’article L. 121-17 du code de l’urbanisme dispose que les règles d’inconstructibilité de la bande littorale de cent mètres ne s’appliquent pas aux activités économiques ou aux services publics exigeant la proximité immédiate de l’eau. La Cour administrative d’appel de Nantes juge qu’une construction destinée à abriter une activité de sauvetage en mer, comprenant notamment une base de vie pour les sauveteurs complétée par le dépôt de matériels d’intervention tels que des bateaux nécessaires à cette activité mais également une activité de lutte contre les pollutions marines par le stockage de barrières anti-pollution peut bénéficier de ces dispositions. La Cour ajoute que la nécessité de la proximité de la mer pour ces activités résulte des conditions mêmes d’exercice de ces missions et du fait qu’elles doivent être assurées, si besoin, en urgence (CAA Nantes, 4 juin 2024, n° 22NT02309). La Cour administrative d’appel de Nantes précise également que les dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme ne sont pas applicables aux activités qui bénéficient de l’article L. 121-17.

La station de sauvetage en mer sur la commune de Saint-Cast-le-Guildo (Source Géoportail)

Share

À PROPOS

Présent à Brest et à Paris, le cabinet d’avocats LGP conseille collectivités, professionnels et particuliers en droit public et en droit de l’urbanisme. Plus de 30 années de pratique nous ont permis d’avoir une expertise sur la loi Littoral. Ce blog nous permet de partager nos connaissances et notre passion pour cette matière.

SUIVEZ NOUS

NOTRE  BLOG SUR LE  DROIT DE L’URBANISME

NOTRE  BLOG COMMANDE  PUBLIQUE ET URGENCE SANITAIRE

NOS DERNIÈRES PUBLICATIONS